lendemain il confirma leurs privilèges, ainfi qu’il
l’a voit promis. Pendant que les Barcelonoisyèner-
choient à fe foûftraire à la couronne d’Aragon, les
habitans de Perpignan 8c d’Elne tentoient de s’affranchir
de la domination françoife, pour fe remettre
fous l’obéilîance du roi d’Aragon ; & dans cette
vu e , ils maffacrerent la garnifon françoife. Louis X I
affembla une puiffante armée pour châtier févére-
ment les auteurs de ce maffacre. Jean I I le rendit à
Perpignan, fit rétablir les anciennes fortifications ,
8c en fit faire de nouvelles. Les préparatifs de la
France & la crainte de la vengeance de Louis X I ,
confternerent les habitans de Perpignan, que la pré-
fence de leur nouveau fouverain ne pouvoit raffu-
rer. Jean I I les affembla dans l’églife cathédrale , 8c
leur dit que connoiffant comme eux le prince qu’ils
avoient offenfé, ils n’avoient d’autre moyen d’éviter
fa colere , que celui d’oppofer à fes forces la plus
vigoureufe défenfe ; que quant à lui, il leur promet-
toit 8c juroit de ne point les abandonner pendant la
durée du fiege : ce liege ne tarda point à être formé.
Perpignan fut inverti par l’armée françoife, fous les
ordres de Philippe, comte de Breffe. Les Catalans,
fournis depuis fi peu de tems au roi d’Aragon , parurent
les plus empreffés à fecourir leur fouverain ;
ils prirent les armes,prièrent don Ferdinand de venir
fe mettre à leur tête , & fe mirent en campagne au
nombre de vingt-cinq mille. L’armée des affiégeans
étoit de quarante mille hommes ; mais Jean I I défendit
Perpignan avec tant de valeur, 8c il fut fi bien
fécondé , qu’obligés de lever le fiege, les François
étoient déjà très-affoiblis , lorfque don Ferdinand,
fuivi de l’armée catalane , parta les Pyrénées, 8c
marcha au fecours de fon pere. Le fiege étoit levé
alors, 8c les François fe retiroient : don Ferdinand
les harcela dans leur retraite, 8c affoiblit encore plus
leur armée. Louis X I , irrité contre fes généraux,
renforça de dix mille hommes cette armée , 8c l’envoya
pour la fécondé fois afliéger Perpignan. Jean 11
é oit encore dans cette place , 8c les attaques furent
fit vives , que le roi d’Aragon, craignant de fuccom-
ber , eut recours à un ftratagême fur lequel il ne
comptoit que foiblement, 8c qui pourtant lui réuffit.
Il fit répandre parmi lesafliégeans la nouvelle du fou-
lévement 8c de la réunion de toutes les places qu’ils
avoient laiffées fur leur route 8c dans le voifinage.
Ce faux bruit s’accrédita 8c allarma fi fort les François,
que , dans la crainte d’être invertis eux-mêmes
fous les murs de Perpignan, ils levèrent le fiege, fe
retirèrent en défordre, 8c eurent leur arriere-garde
fort maltraitée. L’inutilité de cette fécondé entre-
prife rebuta Louis XI : il propofa la paix au roi
d ’Aragon ; celui-ci l’accepta, 8c le traité fut conclu à
des conditions en apparence très-fatisfaifantes. Mais
Jean I I qui traitoit de bonne fo i , ne s’apperçut que
trop tard , que le traité que Louis XI avoit fait rédiger
étoit rempli de claufes infidieufes : il envoya
aufli-tôt deux des principaux feigneurs de fa cour à
Paris , avec pouvoir de régler tout 8c de lever les
difficultés, ou plutôt les motifs de guerre qui réful-
toient de ce même traité : mais le rufe Louis XI avoit
tout prévu, 8c ces plénipotentiaires furent par di-
verfes eau fes fi long-tems retardés fur la route, que,
lorfqu’ils arrivèrent à Paris, le roi n’y étoit déjà
plus : ils fe difpofoient à le fuivre ; mais ils furent
retenus , fous divers prétextes, par les miniftres de
France ; 8c pendant qu’ils fe plaignoient à Paris de la
mauvaife foi de ces procédés, l’armée françoife dé-
vaftoit la campagne aux environs de Perpignan, 8c
ruinoit la moiffon , dans la vue d’affamer plus aifé-
ment la ville, lorfqu’ils reviendroientl’aflîéger. Jean
I I ne pouvoit s’oppofer à ces violences, trop occupé
dans Sarragoffe , oit tout étoit en confufion , à
réprimer la violence des factions qui défoloient cette
ville & le royaume. Il reçut cependant quelque
fecours de Naples, 8c ravitailla Perpignan autant
qu’il lui fut poffible. Le roi de Sicile, don Ferdinand,
fon fils , vint à la tête de quelques troupes à Sarragoffe
, appaifa par l’aâivite de fes foins 8c lafévérité
de fa juftice ( Voye{ F e r d in a n d V , Supplément. ) ,
le défordre qui régnoit dans Sarragoffe, 8c s’en retourna
en Caftille , où de plus importantes affaires
l’appelloient. Tandis que la mort de Henri IV , fur-
nommé Yimpuijfant, rempliffoit la Caftille 8c l’Efpa-
gne entière de troubles, par l’ambition des préten-
dans à la couronne, les François , maîtres du Rouf-
fillon qu’ils ravageoient avec des forces fupérieures,
afliégèoient Perpignan pour la troifieme fois. Jean 11
fit ce qu’il put pour fecourir cette place, qui, malgré
fes efforts, fut obligée de fe rendre à Louis XI par
capitulation, 8c après être convenu que les habitans
feroient libres de fe retirer où ils voudroient ;
ils fe rendirent prefque tous en Catalogne. Louis
X I , ayant réufli dans une infra&ion aufli manifefte
au dernier traité , offrit une treve de fix mois , que
le malheur des circonftances obligea d’accepter. Elle
étoit à peine expirée , que les François recommençant
les hoftilités, eurent les plus grands avantages,
ravagèrent le pays, s’emparèrent des places, s’avancèrent
prefque fur les frontières de la Catalogne,
infulterent la Caftille , 8c tentèrent, mais inutilement
, d’envahir la Bifcaye ; ils furent repoufles par
don Ferdinand , q u i, partant dans cette province ,
eut quelques conférences avec Jean I I , fon pere ,
dont la fituation étoit vraiment déplorable. La licence
, le défordre, l’impunité, les crimes défoloient
l’Aragon, dévafté par une foule de brigands , qui
voloient 8c affaflînoient publiquement dans les villes
8c fur les grands chemins : il n’y avoit plus de fureté ;
8c les états allarmés invitèrent les citoyens à prendre
les armes 8c à former entr’eux des aflbciations pour
défendre le royaume contre ces troupes meurtrières.
Le royaume de Valence étoit dépeuplé par la perte,
qui y faifoit les plus cruels ravages ; les François ,
par la fureur 8c le fuccès de leurs armes, mettoient
le comble à ces calamités : on ne pouvoit leur op-
pofer aucune réfifiance ; 8c les Catalans accablés
étoient dans l’impuiffance de mettre fur pied, comme
ils l’avoient fait tant de fois, des troupes aguerries.
Dans un état en proie aux horreurs de l’anarchie, le
plus cruel des maux eft la perte totale des moeurs ,
l’oubli de l’honneur 8c l’extinttion du patriotisme :
l’amour de la patrie, les moeurs, l’honneur, n’exif-
toient plus en Aragon ; 8c les feigneurs les plus
diftingués, étoient ceux qui donnoient l’exemple &
le fignal de la perverfité. Dans le nombre de ces
mauvais citoyens d’illuftre naiffance, fe diftinguoit,
fur-tout par les fureurs 8c fes atrocités, don Jayme
d’Aragon, qui, fuivi d’une foule de brigands, s’étoit
forcément emparé du duché de Villa-Hermofa. Jean
//, plus irrité des excès de don Jayme, que de la
licence 8c des vices du refte de fes fujets, donna
ordre au vice-roi de Valence de raffembler autant de
troupes qu’il le pourroit, 8c de pourfuivre à toute
outrance ce hardi faâieux. Don Jayme fut afliégé
dans un fort oit il s’étoit retiré : fes brigands le défendirent
; mais les troupes du vice-roi, fupérieures
aux tiennes , prirent la fortereffe 8c le firent prisonnier.
Il fut conduit à Barcelone, oit le roi d’Aragon
lui fit trancher la tête ; Supplice trop doux pour l’énormité
de fes attentats. Cet exemple de rigueur eut les
plus grands effets ; les feigneurs renoncèrent à fomenter
des troubles ; ils rentrèrent peu-à-peu dans
le devoir, 8c le brigandage ceffa. Jean I I efpéroit'
de voir l’ordre 8cle calme fe rétablir; il fe flattoit de
ramener la paix 8c la tranquillité dans fes états , 8c
il devoit délibérer avec don Ferdinand, fur le choix
des moyens qu’il y avoit à prendre ; le lieu de la
conférence étoit fixé à Daroca, 8c le jour étoit dé-
figné, lorfqu’accablé fous le poids des années, Jean
//s’éteignit à Barcelone, le 19 janvier 1479* âgé
de 82 ans, après avoir régné 21 ans fur l’Arragon. Il
fit de grandes fautes ; il effuya He grands malheurs.
Ses revers provinrent de fes fautes , fes injuftices
en provinrent aufli ; mais il fut plus foible qu’injufte ;
crédule 8c non méchant. Il aima trop aveuglément
fes femmes , 8c fur - tout dona Jeanne Henriquez,
fa fécondé époufe, marâtre cruelle 8c violente, qui
le porta à perfécuter le prince don Carlos, fon fils,
contre léquel il n’eût jamais agi, fi la perfide Jeanne
ne lui eût perfuadé que don Carlos étoit coupable
des plus noires trahifôns. Outre fes deux femmes,
Jean eut aufli plufieurs maîtreffes 8c beaucoup de
bâtards : ce n’eût encore rien été ; mais par malheur,
il eut pour ces maîtreffes autant de confiance qu’il
en avoit eu pour dona Jeanne Henriquez. Il mourut
fort âgé , 8c à fa mort encore il aimoit paf-
fionnément une maîtreffe catalane. Aimer éperdument
les femmes, n’eft dans un roi qu’une foi-
bleffe : mais n’agir que d’après leurs confeils, croire
à leurs délations, les laiffer gouverner, les laiffer
difpofer des charges 8c des dignités, c’eft dans un
fouverain le plus pernicieux des vices. ( L. C. )
J e a n I , roi de Léon 8c de Caftille, ( Hijloire
cTEfpagne. ) La vittoire ne fuivit pas toujours les
étendards de Jean 1 , 8c cependant il fe couvrit de
gloire, lors même qu’il fut obligé de céder l’honneur
du triomphe à la force ou à la lupériorité de fes ennemis
;iln e fut point heureux dans toutes fes entre-
prifes, 8c cependant il eut l’approbation |>ublique,
dans celles même qui ne lui réuflirent point, parce
qu’il n’en tenta aucune qui ne fût avouée par la plus
exafte juftice , parce qu’il ne fit rien qu’après avoir
confulté l’équité, 8c que la plus fage prudence
guidant toutes fes démarches, il .n’étoit refponfa-
ble , ni des caprices de la fortune , ni du hazard des
événemens. Engagé, malgré lu i, pour la défenfe de
fes peuples dans des guerres cruelles, il ne fatigua
point fes fujets par des contributions accablantes,
& ne fe fervit point du prétexte , fi fouvent employé
, des befoins de l’éta t , pour furcharger la
nation d’impôts ; aufli le chérit-elle autant qu’il l’aima
lui-même ; 8c peu de fouverains ont eu pour
leurs fujets l’affe&ion généreufe 8c folide que Jean I
eut pour les fiens. Dévoué prefque dès fon enfance
aux fureurs de Pierre le Cruel fon oncle, il fuivit
dans leur fuite , dans leurs malheurs , comme dans
leur fortune, le roi Henri II fon pere, 8c l’infante
Eléonore d’Aragon fa mere, fille de Pierre IV , roi
d’Aragon, furnommé/c Cérémonieux ( Voye^ Pie r r e
Le Cruel, 8c H e n r i I I , Supplément. ). Quand la férocité
de Pierre , fes crimes 8c fes affaflinats, la fortune
8c les voeux de la nation, eurent enfin placé
Henri II fur le trône, ce bon roi, fécondé par Jean
fon fils, répara, fit même oublier les malheurs du
régné fanguinaire, orageux 8c farouche de Pierre
le Cruel. Jean alors étoit parvenu à la feizieme année
de fon âge ; 8c les Caftillans remplis d’eftime 8c
d’admiration pour fes vertus , fes talens , fa valeur
8c fa rare modération, applaudirent aux noeuds qui
le lièrent à dona Léonore, infante d’Aragon. Quatre
ans après cette alliance, une mort imprévue enleva
le roi Henri II à la nation qui eût été inconfo-
lable de cette perte, fi elle eût été moins perluadée
de retrouver dans celui qui alloit prendre les rênes
du gouvernement, les talens fupérieurs 8c les éminentes
vertus du grand roi dont la mort venoit de terminer
les jours. Aufli fut-ce aux acclamations du peup
le , que J ean l, âgé de vingt ans, monta fur le
trône , 8c fut folemnellement couronné à Burgos,
le 25 juillet 1379* Quelques preuves que Jean eût
données de fa valeur 8ic de Ion habileté dans la feiençe
des combats, il préféroit la paix à la célébrité que
donne l’éclat des conquêtes ; & rempli du généreux
defir de rendre fes fujets heureux 8c fon royaume
floriffant, il employa les premiers tems de fon régné
à étouffer, par de traités heureux, les femences ide
guerre qu’il y avoit encore entre la Caftille 8c es
nations voifines. Dans cette vue, il accepta les pro-
pofitions pacifiques que le roi de Grenade, Mohamet*
Guadix-Abulhagen lui fit faire par fes ambaffadeurs.
La treve fut renouvellée entre les deux états, 8c elle
dura pendant tout le cours des régnés des deux monarques.
Celui de Caftille envoya, dans le même
tems, des ambaffadeurs au roi de Portugal, Ferdinand
, le plus inconftant des hommes, le plus
inconféquent des rois. Jean lui fit offrir la paix , 8c
elle fut acceptée à des conditions ridicules, 8c que
l’amour de la concorde fit approuver par les états
des deux royaumes f Voyt[ Ferdinand, roi de
Portugal. Supplément. ). Mais quelques précautions
que le roi de Caftille eût prîtes, Tinconftance de
Ferdinand rompit toutes fesmefures ; 8c Jean apprit
avec chagrin, mais fans étonhement, que peu de
jours après les conclufions de la paix, le roi de Portugal
avoit négocié un traité avec Richard II , roi
d’Angleterre, 8c avec le duc de Lancaftre, qui for-
moit depuis long-tems des prétentions fur la couronne
de Caftille, 8c qui venoit d’être invité à fe
rendre à Lisbonne avec une flotte affez formidable,
pour faire valoir fes prétentions. Jean I ne perdit
point le tems à demander raifon à Ferdinand de fa
mauvaife foi : il mit fes troupes en état de marcher,
fit les plus grands préparatifs, 8c fit fortifier toutes
les places frontières menacées de l’invafion des Portugais.
Pendant qu’il fe difpofoit ainfi à repouffer des
agreffeurs injuftes, il fut informé qti£ l’infant don
Alphonfe fon frere, entretenoit une correfpondance
fecrete 8c criminelle avec le roi de Portugal ; il voulut
s’affurer de fa perfonne ; mais prévenu à tems ,
Alphonfe s’évada, s’enfuit dans les Afturies, 8c s’enferma
dans Gijon. Le roi l’y fuivit, 8c alloit l’aflié-
ger, quand Alphonfe prit le fage parti de venir implorer
fa clémence , 8c défavouer les faits qu’on lui
imputoit. Jean voulut bien fe contenter de ce défà-
veu , lui rendit fon amitié ; 8c tournant toutes fes
forces contre Ferdinand, réfolut de l’attaquer par
mer 8c par terre. Le roi de Portugal, enivré de l’ef-
pérance de conquérir la Caftille , envoya une puiffante
flotte infulter le port de Séville. L’attaque ne
fut point heureufe : cette flotte fut battue, difperfée,
8c fon amiral, don Juan Alphonfe , frere de la reine
de Portugal, fut fait prifonnier. Encouragé par ce
fuccès , Jean 1 alla former le fiege d’Almeida , dont
il fe rendit maître. Mais pendant que par ces triomphes
il fe difpofoit à de plus éclatantes viftoires, la
flotte Angloife arrivoit devant Lisbonne ; en forte
que ces deux puiffans alliés réunis, paroiffoient devoir
inévitablement l ’emporter fur les Caftillans ;
mais bientôt la méfintelligence divifa les Anglois 8c
les Portugais. Jean inftruit de ce défaut de concorde
, forma le projet d’une expédition hardie , 8c
dont le fuccès termineroit cette guerre à fon avantage.
Il rélolut d’aller bloquer le port de Lisbonne, 8c
d’intercepter tous les nouveaux renforts que les Anglois
pouvoient envoyer aux Portugais. Il fe prépa-
roit à cette expédition, lorfqu’il apprit que l’infant
don Alphonfe abufant de fes bontés, venoit de paffer
à Bragance avec quelques feigneurs, fujets aufli infidèles
que lui. Cette trahifon ne dérangea rien à fes
opérations, il bloqua Lisbonne : 8c cette ville fut fi
fort menacée, que Ferdinand allarmc en fortit avec
toute fa cour. Après avoir réufli au gré de fon attente
dans cette expédition , Jean s’en retournant en Caftille
, fit ordonner à don Alphonfe 8c à fes partifans,
de rentrer i.nceffamwcnt dans le devoir, fous peine