élagués & taillés fuivant leur deftination. Lorfqu ils
auront acquis la force 6c la figure qu’on aura voulu
leur donner , on les enlevera en motte au commencement
d’o&obre pour les placer aux lieux où
ils doivent demeurer. On peut auffi, mais avec plus
de foins 6c de rifques , planter les ifs vers la fin d’a vril
, un peu avant la pouffe à la fin de juin : cette
opération réuflit à merveille : c’eft dans ce mois qu il
convient d’en faire des boutures 6c des marcottes;
les boutures doivent être prifes des branches droites j
de la cime, afin qu’elles forment des arbres plu«
droits : il faut enlever la protubérance qui eft à l’in-
fertion de ces branches, lesfoulager en coupant quelques
bourgeons latéraux, les nettoyer d’environ moitié
de leur longueur, & les enfoncer d’autant dans
une planche de bonne terre fraîche expoféeau nord,
ou iituée fous quelque ombrage.naturel ou artificiel :
on plaquera de la moufle entre ces boutures, & on
les arrofera par les tems très-fecs. Lesifs provenus
de marcottes font les moins droits, ils ne font propres
qu’à être éparpillés dans le fond des maffifs ou
des remifes. Les arbres de boutures formeront des
haies 6c pourront même s’élever en tige.
C ’eft à tort fans doute qu’on accufe Vif de nuire
aux autres arbres par fon voifinage ; cependant j’ai
vu périr nombre de fleurs que j’avois placées entre
des ifs fort rapprochés : ils ont des racines fibreufes
qui deffechent fort la terre ; c’eft-là vraifemblablement
ce qui a occafionné la mort de ces plantes ; mais j’ai
vu croître des ifs dans des maffifs d’autres arbres qui
ne paroiffoient pas fouffrir de leur fociété.
Le bois de 1’*/ eft très - dur 6c très -pliant ; il prend
un fort beau poli, il eft d’un très-beau rouge, 6c nous
n’avons pas de bois qui reffemble plus au bois des
Indes. Les jeunes branches forment des liens excel-
lens. On pourroit planter d'ifs des lieux arides &
anfra&ueux dans la vue de l’utilité, ce feroit la fpé-
culation d’un pere de famille que l’amour fait vivre
dans l’avenir le plus reculé.^.,
On aune variété d?//qui eft panachée, ç’eft-à-dire,
ou l’on voit quelques bourgeons blancs épars fur fon
feuillage, il n’eft pas d’un grand effet 6c fe dépanache
dans les bonnes terres.(AL le Baron d e T s c h o u -
D l . )
I L
ILFORCOMB, ( Géogr.') ville maritime d’Angleterre,
dans la province de Devon, fur le canal de
Briftol. Son port n’eft pas vafte, mais il eft fur 6c
commode : l’on y débarque volontiers au fortir de la
dangereufe mer d’Irlande; & les vaiffeaux deftinés,
foit pour la ville de Barnftaple, foit pour Minehead ,
foit pour Bridgewater, foit pour Briftol même , y
relâchent fans difficultés, quand les vents ne leur permettent
pas d’entrer dans la riviere de T au , ou de
voguer en avant vers la Saverne. Auffi cette ville qui
n’a qu’une feule rue , mais d’un mille de long, eft-
elle pleine de comptoirs à l’ufage de marchands qui
n’y réfident pas, mais qui ont le fiege de leur négoce
dans les lieux que l’on vient de nommer. Long. 13.
00. lat. Si. iS. {D .G .)
ILLIERS, ( Géogr. ) bourg bien bâti, dans une fi-
tuation agréable, du diocefe d’E vreux, fur le ruiffeau
de Caudanne. Le vin du canton, appellé les Châteaux
eVllliers y ne le cede point aux vins de Champagne
en délicateffe : ce qui fait voir l’erreur des géographes
modernes, qui nousdifent hardiment qu’il ne erpît
point de vin en Normandie ; nous pourrions encore
les renvoyer à l’excellent vignoble de Méfulles,
V au x, Haidancour, Ecardanville, paroiffes fituées
à trois lieues d’Evreux.
L’églife & la dîme furent poffédées, au x e fiecle,
par Lentgarde, fille dç Hçrbçrt, comte de Vermandois,
qui les donna à Aves Grandus, fôn parent, &:
celui-ci au chapitre de Chartres, en 906. IUiers èü.
châtellenie 6c baronnie ancienne. Philippe Augufte
prit 1 Uiers 6c fa fortereffe en 1104, fur Simon d’Anet,
6c en donna la confilcation à Pierre de Courtenai,
fon coufin* Robert de Courtenai, Evêque d’Orléans,
le vendit à Philippe de Cahors, évêque d’Evreux en
1273. On voit par une chartre que le fief milliers eft
mouvant du duché.de Normandie, 6c que l’évêque
d’Evreux en eft le feigneur. Recherches fur la France ,
tome I , pag. 3 9 0 , imp, \ j6€. ( C.')
ILLUSION, {Belles-Lettres. Poéfte.) Dans les
arts d’imitation la vérité n’eft rien, la vraifemblance
eft tout ;& non feulement on ne leur demande pas la
réalité, mais on ne veut pas même que la feinte en
foit l’exafte reffemblance.
Dans la tragédie, on a très-bien obfervé que
Villujion n’eft pas complette ; i p. elle ne peut pas
l’être ; 20. elle ne doit pas l’être. Elle ne peut pas
l’être, parce qu’il eft impoffible de faire pleinement
abftra&ion du lieu réel de la repréfentation théâtrale
& de fes irrégularités. On a beau avoir l’imagination
préocupée; les yeux avertiffent qu’on eft à Paris,
tandis que la feene eft à Rome ; 6c la preuve qu’on
n’oublie jamais l’afteur dansle perfonnage qu’il repréfente
, c’eft que dans l’inftant même où l’on eft le plus
ému, on s’écrie : Ah ! que c eft bien joué ; on fait donc
que ce n’eft qu’un jeu ; on n’applaudiroit point Augufte
, c’eft donc Brifard qu’on applaudit.
Mais quand par une reffemblance parfaite il feroit
poffible de faire une pleine illufton, l’art deyroit l’éviter,
comme la fculpture l’évite en ne colorant pas
le marbre, de peur de le rendre effrayant.
Il y a tel fpeûacle dont Villufton tempérée eft
agréable, 6c dont Villujion pleine feroit révoltante
ou péniblement douloureufe: combien de perfonnes
foutiennent le meurtre de Camille, ou de Zaïre, 6c
les convuliions d’Inès empoifonnée, qui n’auroient
pas la force de foutenir la vue d’une querelle fan-
glante ou d’une fimple agonie ? Il eft donc hors de
doute que le plaifirdu fpeôacle tragique tient à cette
réflexion tacite 6c confufe qui nous avertit que ce
n’èft qu’une feinte, 6c qui, par là , modéré l’impreffion
de la terreur 6c de la pitié.
Je fais bien que l’échaffaud eft la tragédie de la populace
, 6c que, des nations entières fe font amufées
de combats de gladiateurs. Mais cet exercice de la
fenfibilité feroit trop violent pour des âmes qu’une
fociété douce 6c voluptueufe amollit, 6c qui demandent
des plaifirs délicats comme leurs organes.
II y a donc deux chofes à diftiriguer dans l’imitation
tragique, la vérité afifolue de l’exemple, 6c la
reffemblance imparfaite de l’imitation. Orofmane,
dans la fureur de fa jaloufie, tue Zaïre, 6c I’inftant
d’après fe tue lui-même de défefpoir: voilà Villufton
qui ne doit pas être complette. Un amour jaloux 6c
furieux peut rendre féroce 6c barbare un homme
naturellement bón, fenfible 6c généreux : voilà la vérité
, dont rien ne nous détrompe, 6c dont l’impreffion
nous refte quand Villufton a ceffé. _
Dans le comique, rien ne répugne à une pleine
illufton; 6c l’impreffion du ridicule n’a pas befoin
d’être tempérée comme celle du pathétique. Mais fi
dans le comique mêmel'illufton étoit complette, le
fpeôateur, croyant voir la nature, oublicroit l’a rt,
& feroit privé par Villufton même, de l’un des plaifirs
du fpeftacle. Ceci eft commun à tous les genres.
Le plaifir d’être ému de crainte 6c de pitié fur les
malheurs de fes fembiables,lc plaifir de rire aux dépens
des foibleffes 6c des ridicules d’autrui, ne font
pas les feuls que nous caufe la feene : celui de voir à
queldégré de force 6c de vérité peuvent aller le génie
& l’art ; celui d’admirer dans le tableau la fupério-
rité de la peinture furie modèle, feroit perdu fi
Villtfton
Villüfioh, étoit complette; 6c voilà pourquoi dans
l ’imitation même en récit, lesacceffoires qui altèrent
la vérité, comme la mefuredes vers& le mélange du
merveilleux, rendent l’illufton plus douce; car nous
aurions bien moins de plaifir à prendre un beau poëme
. pour une hiftoire, qu’à nous fouvenir -confufément
que c’eft une création du génie'.
Pour mieux m’entendre, imaginez une perfpeâive
fi parfaitement peinte, que de loin elle vous femble
être réellement ou un morceau d’architefture, ou un
payfage éloigné ; tout l’agrément de l ’art fera perdu
pour vous dans ce moment, 6c vous n’en jouirez que
lorfqu’en approchant vous vous appereevrez que le
pinceau vous en impofe. Il en eft de même de toute
efpece d’imitation : on veut jouir en même tems 6c
de la nature 6c de l’art ; on veut donc bien s’apperce-
voir que l’art fe mêle avec la nature. Dans le comique
même il ne faut donc pas croire que la vérité de
l’imitation en foit le mérite exelufif, & que le meilleur
peintre de la nature foit le plus fidele copifte : car
fi l ’imitation étoit une parfaite reffemblance, il fau-
droit l’altérer exprès en quelque chofe, afin de laiffer
à l’ame le fentiment confus de fon erreur, 6c le plaifir
fecret de voir avec quelle adreffe on la trompe. Il
eft pourtant vrai qu’on a plus à craindre de s’éloigner
de la nature que d’en approcher de trop près ; mais
entre la fervitude 6c la licence il y a une liberté
fage, 6c cette liberté confifte à fe permettre de choifir
& d’embellir en imitant: c’eft ce qu’a fait Moliere
auffi bien que Racine. Ni le Mifantrope, ni VAvare,
ni le Tartufe ne font de ferviles copies : dans les détails
comme dans l’enfemble , dans les caraéleres
comme dans l’intrigue, ce font des compofitions plus
achevées qu’on n’en peut voir dans la nature ; la perfection
y décele l’art, 6c l’on perdroit à ne pas l’y voir :
pour en jouir il faiit qu’on l’apperçoive.
Mais jufqu’àquel point cette imitation peut-elle
être embellie, fans que l’altération nuife à la vraifemblance
& détruife l’illufton? Cela tient beaucoup
à l’opinion, à l’habitude, à l’idée que l’on a des poffi-
bles ; 6c la réglé doit varier félon les lieux 6c les
tems. La vérité même n’eft pas toujours vraifem-
blable, 6c à moins qu’elle ne foit très-connue, elle
n’eft point admife, fi la vraifemblance n’y eft pas.
Dans les chofes communes il eft aifé de cçnferver la
vraifemblance, mais dans l’extraordinaire 6c le merveilleux,
c’eft une des plus grandes difficultés de
l ’art. Voye^ V r a i s e m b l a n c e , Suppl.
Quel eft cependant cette demi - illufton, cette erreur
continue, 6c fans ceffe mêlée d’une réflexion
qui la dément; cette façon d’être trompé & de ne
l’être pas? C ’eft quelque choie de fi étrange en apparence,
& de fi fubtil en effet, qu’on eft tenté de Le
prendre pour un être de raifon ; 6c pourtant rien de
plus réel. Chacun de nous n’a qu’à fe fouvenir qu’il
lui eft arrivé bien fouvent de dire, en même tems
qu’il pleuroit ou qu’il frémiffoit, à Mérope : Ah !
que cela eft beau ; ce n’étoit pas la vérité qui étoit
belle : car il n’eft pas beau qu’une femme aille tuer
un jeune homme, ni qu’une mere reconnoiffe fon fils
au moment de le poignarder. C’etoit donc bien de
l’imitation que l’on parloit; 6c pour cela il falloit fe
dire à foi même, C’eft un menfonge; 6c tout én le
difant, on pleuroit 6c on frémiffoit.
Pour expliquer ce phénomène , on a dit que Villufton
6c la réflexion n’étoient pas fimultanees, mais
alternatives dans l’ame: hypothefe inutile ; car fans
ces ofcillations continuelles 6c rapides de l’erreur à
la vérité, leur mélange aétuel s’explique, 6c l’on va
voir qu’il eft dans la nature.
L’ame eft fufceptible à la fois de diverfe^impref-
fions, comme lorfqu’on entend une belle mufique,
& qu’en regardant,une jolie femme on boit d’un
vin délicieux : ces trois plaifirs /ont diftinttement
Tome I II•
& fimültanément goûtés. Ils fe nuifent pourtant l’un
à l’autre; & moins les impreffions limultanées fout
analogues, moins le fentiment en eft v if; en forte
que fi elles font contraires , le partage de la fenfibilité.,
entr’elles eft quelquefois fi inégal, que l’une effleure
à peine l’ame, tandis que l’autre s’en faifit & la pénétré
profondément-.
En vous promenant à la campagne, qu’un objet
vous frappe & vous plonge dans la méditation, rous
les autres objets que vous appereevrez pafferont fuc-
eeffivement devant vos yeux fans vous diftraire.
Vous les aurez vus cependant, & chacun d’eux aura
laifle fa trace dans le fouvenir. Que fera-t-il donc
arrivé ? Qu’à chaque inftant l’ame aura eu deux pen-
fées, l’une fixe & profonde, l’autre légère fugitive*.
Au contraire, je vous fuppofe plus légèrement occupé;
l’idée qui vous fuit, ne laiffe pas d’être continue
6c toujours préfente ; mais l’impreffion accidentelle
de nouveaux objets eft d’autant plus
vive à fon tour, que la première eft moins .profonde*
C’eft ainfi qu’au fpe&aele deux penfées font pré-
fentes à l’ame ; l’une e ft , que vous êtes venu voir
repréfenter une fable, que le lieu réel de l’aâion eft
une fale de fpeélacle, que tous ceux qui vous environnent
viennent s’amufer comme vous, que les
perfonnages que vous voyez font des comédiens ,
que les colonnes du palais qu’on vous repréfente font
des couliffes peintes ; que ces feenes touchantes ou
terribles que vous applaudiffez font un poëme com-
pofé à plaifir. Tout cela eft la vérité. L’autre penfée
eft Villufton; favoir que ce palais eft celui de Merope,
que la femme que vous voyez fi affligée eft Mérope
elle-même, que les paroles que vous entendez font
l’expreffion de fa douleur. O r , de Ces deux penfées
il faut que la derniere foit la dominante ; 6c par con-
féquent le foin commun du poète, de l’a&eur 6c du
décorateur doit être de fortifier l’impreffion des vrai-
femblances, & d’affoiblircelle desréalités. Pour çela
le moyen le plus fur, comme le plus facile ,• feroit de
copier fidèlement &: fervilement la nature, & c’eft-là
tout ce qu’on a fit faire quand le goût n’étoit pas formé*
Mais je l’ai dit fouvent, je le répété encore; la nature a
mille détails qui feroient vrais, qui rendroient même
l’imitation plus vraifemblable, 6c qu’il faut pourtant
éloigner, parce qu’ils manquent d’agrément ou d’intérêt
ou de décence , & que nous cherchons au
théâtre & dans l’imitatioq poétique en général, une
nature exquife , curieufe 6c intéreffante. Le fecret
du génie n’eft donc pas d’affervir, mais d’animer fon
imitation : car plus Villujion eft v ive 6c forte, plus
elle a«it fur l’ame , 6c par conféquent moins elle
laiffe de liberté à la réflexion 6c de prife à la vérité*
Quelle impreffio.n peuvent faire de légères invrai-
femblances fur des efprits émus , troublés d’éton*
nement 6c de terreur?. N’avons-nous pas vu , de,
nos jours, Phedre expirante au milieu d’une foule
de petits maîtres ? N’avons - nous pas vu Mérope, le
poignard à la main, fendre la preffe de nos jeunes
feigneurs, pour percer le coeur à fon fils ? 6c Mérope
nous, faifoit frémir , 6c Phedre nous arrachoit des
larmes. C’eft fur ces exemples que fe fondent ceux
qui fe moquent des bienféances 6c des vraifem-
biances théâtrales ;, maîs fi dans ces moîhens de ^r°u*;
file & de terreur l’ame trop occupée du grand intérêt
de la feene, ne ffiit aucune atténtion à fes irrégularités
, il y a des momens .plus tranquilles, où le bon
fens en eft blefle; la réflexion reprend alors tout fon
empire ; la vérité détruit 1 illufton : o r , 1 illufton une
fois détruite ne fe reproduit pas l’inftant d’après avec
la même force ; 6c il n’y a nulle c,omparaifon entre
un fpettacie où elle eft foutenue , 6c un fpeâacle
où., à chaque inftant, on eft trompé 6c détrompé.
Villufion, comme je l’ai dit, n’a pas befoin d’être
J Ë B b b