Les glaces de la Suiffe, comme celles du Nord,
font blanchâtres ou bleuâtres: la première de ces couleurs
indique la neige peu altérée par le dégel & le
regel : la fécondé indique la neige mieux fondue &
regelée.
II paraît évidemment que cette glace fondue doit
fournir aux pieds des glaciers une-eau plus légère &
plus pure, toutes les circonftances d’ailleurs égales,
parce que la glace eft plus légère que la neige comprimée,
parce que la neige eft plus légère que l’eau,
enfin parce que la glace de ces glaciers eft plus légère
que toute autre.
D ’ailleurs, il eft certain que les neiges qui tombent
fur les hautes cimes des montagnes, font moins
chargées de parties hétérogènes, terreftres ou minérales
: les eaux qui en découlent doivent donc être
plus pures.
Les gouëtres que portent les habitans de quelques
vallees inferieures, viennent par conféquent, non
des eaux de' neige fondues y comme on l’a fouvent
avancé, mais des eaux qui charrient des molécules
gypfeufes , félétineufés, ou tofeufes ; & peut-être
plus effentiellement de l’air de certains vallons,
chargé de vapeurs, de brouillards, & pas allez fou-
vent renouvelle par des vents falutaires. On voit en
effet dans quelques vallons, aux pieds des hautes
Alpes, des habitans pâles ; & dans les vallons fu-
perieurs ou dans les plaines entre les montagnes,
des hommes grands, bien faits & robuftes. Ceux-ci
boivent cependant de plus_près les eaux des neiges
fondues.
III. Pofitïon & nature des monts neiges. En général,
les plus hauts mpnts de glace de la Suiffe & de la
Savoie font litués du côté du midi. Ceux de la partie
feptentrionale n’ont pas la même élévation. En eft-il
de même dans les autres contrées du globe, oh l’on
obferve de pareils phénomènes ?
Les rochers fur lefquelsportent ces amas de neiges
& de glaces, font certainement de diverfe nature &
de différente compofitiôn. Les deux parties , ou les
deux bandes fehifteufe & marneufe qui, félon M.
Guettard, partagent la Suiffe, l’une du côté du midi
l ’autre du côté du feptentrion , font des fuppofitions
fort légèrement hafardées {Voy. Mém. de Facad. de
Paris ) ; fuppofitions contre lefquelleS ori trouve
bien autant d’exceptions que de faits analogues qui
femblcnt les établir. C’eft ainfi que les philofophes
fabriquent le globe, & arrangent fouvent la terre
dans leur cabinet.
Les hautes montagnes de la Suiffe qui font au
midi, font en partie de roches vitrifiables mixtes
ou furcompofées de diverfes fortes de matières pierl
reufes. C ’eft dans les fiffureS de cés roches vitrefei-
bles que l’on trouve le plus communément les quartz
cryftalUFés & les cryftaux ; ce qui avoit donné lieu à
l’erreur que le cryftal naiffoit d’une glace endurcie.
Vjy. ufages des montagnes , recueil de traités fur P hiß.
nat. de la terre. Parmi ces monts de pierres vitrifiables
, on trouve çà & là des bancs, des couches-, des
montagnes entières de pierres fehifteufes, & d’autres
de pierres calcaires , des marbres, des gypfes.
En général, les monts neigés de la Suiffe & de la
Savoie font au nombre des montagnes les plus hautes
de la terre. Les trois plus élevées de la Suiffe, le
Saint-Gothard, la Fourke, la Corne de la Vierge, ont
prefque l’élévation de celles du Pérou. Voy. Recherches
fur le barqmetrey par M. de Luc, 2 vol. in-40.
Les montagnes de la Suiffe que les neiges couvrent
fans ceffe, ont au moins 1500 toifes d’élévation au-
deffus de la mer. C’eft-là oh fe trouve le commencement
de la ligne neigée des Alpes, & les fommets
couverts de cette neige permanente, furpaffent encore
cette élévation jufques à 500 toifes & plus. Ce
commencement eft quelquefois unpeu plus haut > ou
: un peu plus bas , felôn les circonftances locales. On
j prétend que flans-les Andes cette ligne neigée eft à la
hauteur de 2434 toifes uniformément tracée ; ces
différences peuvent venir de celle du climat, & de
là chaleur du pied des monts. Il en eft ainfi fur toutes
les montagnes de la Zone torride : plus loin de l’éqtia-
teur âu pic de Ténérife, le terme inférieur confiant
de la neige eft à 2100 toifes. MM. Bouguer & Bernoulli
croient que l’air libre à mille toifes de hauteur
a conftamment un degré de froid au-deffous du
terme de glace. Ainfi la neige pourrait commencer
& tenir à cette hauteur fur toutes les montagnes, fi
les circonftances des vapeurs, la nature du fol & les
vents ne faifoient pas élever cette ligne neigée. En
s’approchant deis pôles, cette ligne doit être plus
baffe qu’en Suiffe , comme en Suiffe elle eft plus
baffe que vers l’équateur. Cette ligne doit encore
être plus haute , toutes les autres circonftances
d’ailleurs égales j près des mers, que dans le milieu
des continens.
Il eft certain que c’eft le degré d’élévation des montagnes
neigées , & la fomme du froid qui y régné qui
entretiennent cette neige à une hauteur plus ou
moins grande, & cette différence naît des circonftan-
| ces locales. Le glacier n’eft pas continu fur les Alpes
; à une hauteur fixe. On paffe en effet le Saint-Gothard,
le Saint-Bernard, la Grimfule ou le mont Grimfel le
Gemmi, le Simplôn, le mont Cénis, fans paffer fur
la glace. L’induftrie des habitans a fu diftinguer les
lieux oh laneige fond dans la faifon chaude, & elle
y a tracé des chemins.
Il eft d’ailleurs des vallons bien couverts du côté
du midi, à couvert du côté du nord , par des monts
plus élevés : la neige fond dans ces vallons, tandis
que dans des vallons plus bas, mais plus expofés au
nord, & oh le foleil du midi pénétré peu , on voit
des neiges & des glaces éternelles. \
Ailleurs même , entre les plus hautes cimes des
monts neigés, il eft des intervalles oh la neige difpa?
roît en été, & oh de nombreux troupeaux vont
paître, tandis que plus bas on contemple des glaces
qui ne fe fondent jamais entièrement : ce qui vient
non feulement de l’expofition par rapport au foleil
mais encore de la nature du terrein qui couvre ce
vallon. La neige fe conferve mieux fur le roc nud
que fur la terre noire & calcaire. Cette terre pénétrée
par les exhalaifons fouterraines ou intérieures & par
les vapeurs extérieures, fait fondre plus aifément la
neige , & devient ordinairement très-fertile.
IV. Accroiffement & diminution des glaciers. Tous
ces amas de neiges & de glaçons diminuent en certaines
années, augmentent en d’autres, & ce phénomène
mérite encore d?être examiné.
Quelques naturaliftes avoient prétendu que cet
accroiffement & ce décroiffement étoient fournis à
certaines réglés & à certains périodes , dont la fup-
pofition a fervi de fondement pour bâtir des hypo-
thefes plus ingénieufes que folides. Telle eft la faute
que l’on commet fréquemment dans l’hiftoire naturelle
, la géographie phyfique & la théorie de la terre :
on imagine des hypothefes d’après des faits faux ou
incertains. Etudions la nature, avant de chercher à
l’expliquer; raffemblons tous les faits, avant que de
tirer des conféquences générales & de former un
fyftême , que des faits mieux obfervés renverferonr.
Voici donc la vérité des faits fimples & leur explication.
Je diftingue les fommets & les vallons fupérieurs
glacés, des inférieurs. L’augmentation de ceux-ïà en
certaines années dépend de deux caufes; de la plus
grande quantité de neige tombée dans les faifons
froides, & de la moindre quantité fondue & écoulée
dans la faifon chaude trop courte. Sur cela , il faut
encore obferver ces deux chofes; l’une qu’à prendre
30 ou 40 ans, ou un nombre d’années plus confidé-
rable , il doit tomber, fomme totale, à-peu-près la
même quantité de neige fur ces fommets 6c ces vallons
élevés, comme la quantité de pluie qui tombe dans
les lieux bas en plaine, dans des tems donnes &
égaux, eft aufli à-peu-près égale. L’autre chofe à
obferver, c’eft qu’il tombe en gros moins de neige
fur ces fommets les plus élevés que fur les vallons
plus bas.
Quant à l’augmentation des glaces des vallons inférieurs,
elle dépend non feulement de la quantité
de neige qui y tombe immédiatement, mais plus
encore de celle qui fe fond dans les lieux fupérieurs,
& qui fe regele dans ces vallons inférieurs;
Cette augmentation fe fait par couches qui font
vifibles, là oh il fe fait qnelque difruption de la
glace. Hottinguer a le premier obfervé que ces couches
de glaces vont en diminuant d’épaiffeur, que
les plus minces font au-deffous, comme les aubiers
des arbres vont en décroiffant vers le centre ; enfin,
que dans les vallons inférieurs chaque couche eft
comme marquée par une ligne de terre & de fable
qui font defeendus des lieux fupérieurs, ou qui y
ont été portés par les vents. Une nouvelle couche fe
forme l’année fuivante, qui couvre ces impuretés,
& ainfi de fuite. Les couches inférieures font plus
minces, parce qu’elles ont été en partie fondues &
écoulées; l’air & l’eau s’en font d’ailleurs évaporés:
enfin, s’il y a la moindre fiffure, il en dégoutte fans
ceffe de l’eau, dans les heures chaudes de quelques
mois de l’été.
On a obfervé aufli que lorfque les neiges fupé-
rieures des fommets ont diminué durant une année
feche & chaude , les vallons inférieurs deviennent
plus unis, parce qu’une multitude de pyramides &
d’inégalités accidentelles des années précédentes
s’effacen|||r?r
La tradition & quelques doeumens hiftoriques
apprennent que les glaciers de la Suiffe, pendant une
fuite de certaines années, fe font élevés & ont gagné
du terrein en s’étendant horizontalement; mais que
durant d’autres années, ils ont diminué en hauteur
& en étendue. Ainfi je ne doute point qu’il n’y ait
une compenfation ou une circulation qui doit raffurer
les habitans, effrayés quelquefois des progrès que
les glaciers ont fait, félon eux, durant ce fiecle.
On a vu au glacier du Grindelwald, du canton de
Berne, une piece de rocher confidérable qui étoit
tombée d’une cime fupérieure fur un plan de glace,
s’avancer du côté de la gorge inclinée du vallon,
d’environ 50 pas, dans l’efpace de fix ans. Il faut
donc que toute la maffe énorme de la glace, comme
encaiffée dans le creux du vallon, fe foit avancée en
effet. Pour cela, il faut que cette glace ait été dégelée
tout autour des bords & par-deffous, & qu’elle
ait gliffé fur le roc de cette efpece de baflin, en avant
de la gorge. Ces mêmes bords fe font enfuite remplis,
pendant les hivers , de neige qui a pris corps avec la
vieille glace.
Quant à l’épaiffeur a&uelle de ces couches de
• neige & de glace, elle varie félon les lieux, & il
n’eft pas même aifé de la déterminer. Il paraît en
gros que l’épaiffeur de la glace des vallons eft plus
grande que celle des fommets neigés fupérieurs. On
a eftimé l’épaiffeur de ceux-là de 20 à 30 toifes ; tout
cela varie d’une année à l’autre, & inégalement dans
les divers lieux.
Les glaciers du Grindelwald ont certainement
abandonné quelques terreins qu’ils couvraient autrefois.
Il y avoit un portail brillant & majeftueux
de glace, dont fortoit un grand ruiffeau , & ce portail
a difparu. Les glaciers qui gagnent d’un côté pendant
un certain tems, fe retirent donc d’un autre
côté, & s’ils paroiffent s’étendre & menacer certains
lieux, quelques années chaudes diftiperonr, je m’affûte
, ces alarmes. Il eft certain que les neiges fe font
emparées dans le bailliage dTnterlacken de quelques
entre-deux des montagnes, oh l’on pâturait. Elles
Ont aufli occupé un. chemin par oh l’on pafioit de-là
dans le Valais. Un petit village dont le nom étoit
S. Petronelle, a difparu, & les glaces couvrent le
terrein oh étoient placées les habitations» Mais tous
ces accroiffemens font lents, & on verra, je n’en
doute pas, ces glaciers reculer avec plus de promptitude
durant quelques années favorables.
V. Comparaifon des glaciers de la Suiffe avec ceux
des autres pays. Nous avons déjà vu quelques différences
entre les glaciers de la Suiffe & ceux du Pérou ,
quant à leur hauteur. Il y en a d’autres plus effen-
tielles encore. Il femble en effet, d’après les relations
de M. Bouguer, Figure de la,terre, que l’on peut ef-
calader au haut des Cordelieres, & y placer des in-
ftrumens. Il n’en eft pas ainfi des Alpes ; leurs cimes,
moins élevées, font cependant inacceflîbles pour les
chaffeurs les plus déterminés qui n’y fauroienr pénétrer
, par exemple, depuis la Grimlule jufqu’au Letf*
cherberg, fur un efpace de plus de 20 lieues, Sc
paffer par-là du canton de Berne dans le Valais: c’eft:
enfuivantles contours des vallées que l’on s’y rend.
Les montagnes du Pérou ne font pas non plus fi profondes
, la maffe n’en eft pas fi large, compofées
feulement de deux chaînes, avec une vallée entre
deux. MM. Bouguer & la Condamine font montés
jufqu’à 2476 toifes : le baromètre y étoit à 15 pouces
9 lignes, c’eft-à-dire, à 12 pouces plus bas qu’au
bord de la mer. Voy. le Voyage de l'Amérique d’Antoine
d’Ulloa, & Mémoire de F académie royale des
Sciences de Paris, 1^44.
La plupart de ces monts neigés du Pérou ont été,
ou font encore des volcans. La neige fond fur ceux
qui pouffent des flammes. Dans nos Alpes, on ne
voit aucune trace de volcan. On y trouve bien des
entonnoirs fréquens, dans les lieux toujours- couverts
de neige comme dans ceux oh elle fond , mais
ce ne font que des affaiffemens des voûtes de quelques
cavernes. Dans plufieurs de ces entonnoirs,
l’eau s’engouffre pour fe rendre dans des grottes ou
des canaux fouterrains, qui font les réfervoirs des
fources permanentes.
Le volcan marqué par M. de Lifle fur le mont
Cheville, n’exifte point: jamais ce lieu n’a jette ni
feu , ni matières inflammables ; on y voit feulement
quatre rochers énormes & irréguliers, nommés
diablerets. Ils forment une des hauteurs qui conflit
tuent la vallée d’Einfenda. Le plus méridional de ces
diablerets, celui qui confine au mont Cheville, eft
compofé par des blocs de rochers qui repofent fur
des graviers. Ces rochers mal affurés & gercés , fe
décompofent & s’éboulent continuellement. M. de
Haller a été deux fois au mont Cheville, & il a vu
des rochers qui tomboient des cimes du diableret,
du côté du Valais. En 1714 , une quantité prodi-
gieufe de ces rochers fe précipita à la fois, écrafa le
bétail & les habitans, & combla le lit d’une riviere
qui, faute d’écoulement libre, a formé un lac exi-
ftant encore. Mais le féu n’eut aucune part à ce bou-
leverfement, & on peut fans doute s’en rapporter
à un obfervateur tel que M. de Haller.
Les glaciers des vallons helvétiques éprouvent,
il eft vrai, quelquefois des tremblemens. De grandes
furfaces de glace font fubitement ébranlées avec
bruit ; mais ces tremblemens naiffent d’un vuide qui
s’eftfait par-deffous, par la foiite de la neige & l’écoulement
de l’eau, ainfi que nous l’avons déjà
dit. L’air dilaté dans ces vuides caufe un vent, ce
vent ébranle quelquefois toute la maffe continue
de la glace. P ’autres fois ce vent fend la glace, &