mois. Ces récoltes font fouvent ravagées par les
ouragans , les fauterelles, & les rats dont rifle fourmille
; c’eft ce qui a obligé les Hôllandois de l’abandonner,
& depuis ce tems ils.l’appellent rifle aux
rats. On y ramafle aüfli du coton , on y fabrique de
l’indigo & du fucre, mais on n’a pas le talent de le
bien raffiner ; fur les habitations , on trouve très-
peu de fruits. Ce font des ananas, des oranges ame-
res, des citrons , des pommes d’acajoux, des enan-
gles , des bananes, des gouïaves , & de trës-
mauvaifes pêches, dont l’efpece provient du cap
de Bonne-Efpérance , nous n’avons point ici de
fruits d’Europe ; on a voulu y élever des pommiers*
mais on n’a pu y réuffir. On éleve auflî fur ces habitations
toutes fortes de beftiaux , de la volaille de
toute efpece, & on y voit beaucoup de lievres, de
la poule pintade, & de la perdrix. On voit de même
dans les forêts du cerf, du fanglier, des chevres fau-
vages, des troupeaux de linges, des perroquets de
plufieurs efpeces, des pigeons ramiers , des tourterelles
, & des chauves-fouris d’une efpece tout-à-fait
finguliere : elles font de la grofleur d’un fort corbeau
* leur tête reflemble, en petit, à celle du renard,
& leur poil à celui du blereau ; leurs ailes font réunies
avec leurs pattes, ainfique les petites chauves
fouris de France, mais la ttflure en efl beaucoup
plus forte & plus brune : pour l’ordinaire elles ne
font qu’un petit qu’elle alaitent, & le portent attaché
à leurs mammelles & fous leur ventre, lorf-
qu’elles volent d’un endroit'à un autre pour aller
chercher à manger.' Quand ces animaux font gras*
on les mange avec autant de délice qu’ils font hideux
, c’e ft-à -d ire qu’on les préféré au meilleur
gibier de l’ifle. Il y a de ces chauves-louris qui font
fi graffes, que quatre luffilent pour remplir une bouteille
de pinte de leur graiflë , on fe fert de cette
graifle préférablement au beurre & au fain-dôux
pour faire à manger : elle efl très-bonne & très-
faine.
Les rivières de ce pays font peu poiflonneufes, on
y trouve feulement de l’anguille, un peu de carpe ,
& une efpece de petite écreviffe, qu’on nomme
chevrette ; mais en récompenfe la mer fuppiée à ce
défaut , en nous procurant de très-bonne tortue,
du lamentin, des coquillages, du poiflon de différentes
efpeces, & en abondance : on trouve aufli
fur les bords de la mer du corail blanc, qui n’a d’atf-
tre propriété que celle de faire de très-bonne chaux
pour bâtir. On voyoit pareillement au tems de l’éta-
bliffement de cette ifle de la tortue de terre ; mais
l’efpece en eft entièrement détruite , & on eftaftuel-
lement obligé d’en envoyer chercher à Rodrigue.
C ’eft une petite ifle éloignée d’environ cent lieues
de celle-ci , qui en fournit en quantité; le bouillon
en eft très-bon , & les fcorbutiques y trouvent en
peu de tems une parfaite guérifon.
Quoique ce pays-ci foittrès-chaud,il fembleroit qu’il
dût y avoir beaucoup d’animaux nuifibles à l’homme
& aux troupeaux ; il n’y en a cependant aucun, c ’eft-
à-dire qu’on n’y voit pas une feule couleuvre , ni de
crocodiles, non plus que de lions , ni de tigres; il y
a feulement une efpece de petits fcorpions , mais la
piquure en eft très peu fenfible, & n’eft aucunement
dangereufe.
Comme mes opérations m’obligent à parcourir
toute l’ifle, & à monter fur le fommet de prefque
toutes les montagnes (& les inégalités ) , tant pour
y faire des obfervations, que pour tâcher de découvrir
les endroits de l’ifle qui ne font point encore
connus, j’ai remarqué que l’efcarpement des montagnes
& les inégalités du terrein proviennent de ce
qu’il y a eu autrefois ici un volcan. Voici comment
j’en juge : on voit çà & là aux environs du milieu
de l’ifle maintes cavernes d’une profondeur énorme,
les unes pleines d’eau , .& les autres feches , qui à
leurs embouchures montrent des pierres totalement
dénaturées & fondues, comme fi elles avoient paf-
fé vingt-quatre heures dans un fourneau le plus
ardent : on y trouve pareillement des morceaux de
mine de fer , qui, du côté où le feu paroît les avoir
touchées, font voir un fer aufli épuré que l’eft celui
qui fort des fourneaux après douze heures de fufion
tandis que la partie oppofée ne paroît nullement endommagée,
& eft très-faine. J’ai aufli remarqué que
la terre dés environs de ces cavernes reflembloit à
celle que l’on voit dans les endroits où on a fait
cuire du charbon , j’en ai fait tamifer, & j’y ai
trouvé des grains de fer très-purs; on trouve aufli
aux environs de ces mêmes cavernes , & au bas çle
quelques montagnes , une efpece- de pétrification*
très poreufe & prefqu’aufli légère que la pierre de
ponce, à cette différence près, qui eft que la pierre
de ponce que l’on trouve ici ne plonge jamais dans1
l’eau , & que cette pétrification fe précipite, mais
ce n’eft qu’après avoir nagé au moins fept à huit
heures lur la fuperficie. J’ai comparé dernièrement
un de ces morceaux avec un que l’on m’apporta de
Bourbon, qui provenoit d’une crafle que le volcan
dépofe , il s’eft trouvé être la même chofe & n’en
différer qu’en grofleur, & en ce que celui de Bourbon
, qui étoit de peu de chofe moins gros que le
mien, fe précipita d’un quart-d’heure plutôt. Je
crois , monfieur, que toutes ces chofes bien examinées
prouvent affez que cette ifle a porté autrefois
un volcan.
N’ayant pu, dans le détail que je viens de vous
faire, inférer le commerce que l’on fait ici des efcla-
ves , ni la maniéré dont on les traite , je vais tâcher
de vous en donner une idée. La compagnie arme
ordinairement trois ou quatre vaifleaux par an pour
aller chercher de ces noirs dans différens pays, tels
queMadagafcar, Mofambique &Ia côte de Malabar.
Les vaifleaux qui viennent de France & qui relâchent
en Guinée, nous en apportent du Sénégal ; de même
que ceux qui reviennent de l’Inde, nous en amènent
du pays. Ces noirs fe troquent dans les endroits'
où on les prend, pour des couteaux, des fufils de
la poudre à canon, des petits miroirs, de la toile
bleue , de l’eau-de-vie & quelques piaftres, de forte
que chaque efclave ne coûte pas plus de 25 à 30
livres fur le lieu de l’achat. Quand un vaiffeau en a
fa cargaifon , qui peut monter à cinq ou fix cens, on
les met tous aux fers pour prévenir les révoltes,
car ils ont en idée qu’on ne les acheté que pour les
manger ; on les nourrit comme les matelots jufqu’au
lieu de leur deflination , & lorfqu’ils font débarqués
, on en fait la vente aux particuliers qui les
achètent, depuis 200 livres les enfans, jufqu’à 500
& 600 les plus beaux. Quand ces noirs font fur les
habitations , on en occupe, comme je l’ai déjà dit,
la plus grande partie à la culture des terres , & les
autres au fervice de la maifon ; pour lors ils fe riour-
riffent avec du manioc, qui eft un arbriffeau dont la
feuille approche affez de celle de la vigne , mais plus
veloutée & moins large ; fa racine efl à-peu-près
laiteufe comme le falfifîs, tendre comme des navets
& très-grofle ; il y a de ces racines qui pefent jufqu’à
douze & quinze livres. Pendant que tous les
noirs font au travail, il refte une négreffe à la maifon
, qui n’eft occupée qu’à leur faire à manger,
c’eft-à-dire qu’elle va arracher les racines de manioc,
qu’elle les râpe , les met en farine , & en forme des
galettes qu’elle fait cuire fur une plaque de fer, telle
que celle dont fe fervent les chapeliers pour fouler
leurs chapeaux. G’eft pour lors ce qu’on appelle
caffave à la Martinique. Lorfque les noirs vont le
matin au travail, on leur donne à chacun une de ces
galettes pour leur déjeuner , une autre à dîner, &
une autre à fouper. Ils mangent avec cela une efpece
d’épinars, qu’on appelle ici bredes , qu’ils font cuire
fimplement avec de l’eau , ils y mettent pour tout
aflaiffonnement un peu de fel, & voilà leur nourriture.
La compagnie , ainfi que quelques habitans
aifés , donnent deux livres de bled de Turquie à chacun
de leur noirs , par jour ; cette nourriture èft
plus forte que la première, mais on prétend qu’elle
eft moins faine, & il y a des perfonnes qui y préfèrent
la caflave.
Comme ces noirs ne mettent d’autre frein à leur
paffion que celui que la nature leur infpire, on les
marie, pour les empêcher d’aller courir la nuit, les
uns pour chercher des négreffes, & les autres des
noirs ; voilà comment le maître à qui ils appartiennent
fait venir devant lui ceux & celles qui ne
font point encore mariés, il les affortit le mieux
qu’il lui eft poffible, c’eft-à-dire , les Indiens avec les
Indiennes , ceux de Madagafcar avec celles de leur
pays,ainfi des autres; après quoi, il leur demande
s’ils fe veulent pour maris & femmes: fi-tôt-'qu’ils
font convenus, il donne à chaque couple une bouteille
d’eau-de-vie pour la noce, & voilà toute la
cérémonie.
Quoique ces noirs croient ce mariage aufli bon
que celui que nous contraftons en face d’églife , ils
n’en obfervent néanmoins pas les devoirs avec le
même fcrupule, & pour le moindre fujet de mécontentement
, ils favent fort bien fe démarier & fe
pourvoir à leur guife. En voici un exemple : il y a
quelques jours que MM. les Lazariftes eurent la
vifite d’une négreffe qu’ils avoient mariée avec les
cérémonies ordinaires, après l’avoir inftruite, ainfi
que fonmari, fur la religion catholique & fur les
devoirs du mariage: elle adreffa la parole à celui dé
ces meilleurs qui lui a voit adminiftré le facrement;
elle lui préfenta l’encens qu’il lui avoit donné en la
mariant, & lui dit de le reprendre, parce qu’elle ne
vouloir plus pour mari celui qu’on lui avoit donné,.
& qu’elle prévoyoit être plus contente d’un autre
noir qu’elle nomma; on lui fit toutes les représentations
néceflaires en pareil cas , mais tout cela fut
inutile ; après les avoir écoutées avec toute l’attention
poffible, elle jetra fa bague fur une table,
& s’en fut trouver le noir qu’elle demandoit en fécondé
noce, & s’eft mariée toute feule avec lui.
Quand quelques noirs ou négreffes ont commis quelque
faute, on les fait attacher par les pieds & par
les mains fur une échelle, & on leur fait diftribuer
depuis vingt-cinq coups de fouet, pour les petites
fautes, jufqu’à cinq cens pour les plus grandes;’on
ne peut leur en faire donner davantage fans contrevenir
aux ordonnances du roi , mais on peut les
tenir à la chaîne autant de tems que le juge à propos
le maître à qui ils appartiennent: on peut aufli les
faire pendre pour le moindre vol, comme pour
s’être révoltés contre leurs maîtres; mais c’eft un
abus dans lequel les habitations ne donnent guere ; ils
aiment beaucoup mieux s’en défaire au profit de quelqu’un
de leurs confrères, moyennant cinq ou fix cens
livres, que de les mettre entre les mains de la juftice.
ISMÂEL, Dieu qui exauce, ( Hiji.facr. ) fils d’A-
braham & d’Agar, fervante de ce patriarche, que
Sara lui fit prendre pour époufe, afin d’avoir des
enfans par fon moyen. Agar ayant conçu, méprifa
fa maîtreffe ; & celle-ci s’en éfant-plainte à Abraham,
& l’ayant châtiée, elle s’enfuit de la maifon. L’ange
du Seigneur lui apparut dans le défert, & lui dit :
retourne£ à'votremaîtreffe & humiLie[-vous fous fa
main : vous enfanterez un fils que vous nommerez
Ifmail, c’eft-à-dire , le feigneur vous a écouté. Ce
fera un homme fier & farouche, qui dreffera fes
tentes vis-à-vis fes freres, & qui occupera le pays
voifin du leur, Gen. x v j, i z . Cette humeur a paffé
dans fes defeendans, les Ifmaëlites &Sarafîns, peuples
fauvages & vagabonds. Agar revint donc à la
maifon d’Abraham, & elle enfanta un fils qui fut
appelle Ifmail, l’an du monde 2094. Quatorze ans
après, Sara étant devenue mere d’Ifaac, & voyant
Ifmail qui le maltraitoit, fans doute par jaloufie, elle
le fit chaffer avec fa mere. ris étoient l’un & l’autre
errans dans le defert de Berfabee, & l’eau leur ayant
manqué, Ifmail te trouva preffé d’une foif fi violente,
qu’il étoit prêt de rendre l’efprit. Agar, défef-
pérée, le mit au pied d’un arbre & s’éloigna de lui,
ne pouvant fe réfoudre à le voir mourir. Alors, un
ange lui apparut, & lui montrant une fontaine, il lui
recommanda d’avoir foin de fon fils, parce que Dieu
lerendroitpere d’un grand peuple, Y,or(q\x‘Ifmail fut
en âge d’être marié, fa mere lui donna pour femme
une Egyptienne, dont il eut douze fils, defquels for-
îirent les douze tribus des Arabes, qui fubfiftent encore
aujourd’hui. Ses defeendans habitèrent le pays
qui eft depuis Hevila jufqu’à Sur. Ifmail te trouva
à la mort d’Abraham, & le porta avec Ifaac dans
la caverne du champ d’Ephron. Ifmail mourut en
préfence de tous fes freres, âgé de 137 ans, Gen.
xvj. //. 2J. z8. (+.)-
ISMAEL I , ou S CH A H - I sM À E L , (H ifi. de Perfe.)
etoit fils d’Eider qui le premier prit le titre de fehah
qui fignifie roi, quoiqu’il n’eût jamais été revêtu du
pouvoir fouVerain, puifqûe les Turcs occupoierit-
alors lés plus belles provinces de la Perfe. Il eft vrai
qu’il fut toujours à la tête d’une armée pour affranchir
fa patrie de leur domination. Cet Eider laifîa
un fils nommé Ifmail, qu’il confia, en mourant, à
un feigneur de la province de Xilan, en lui prédifant
,qu’il rétabliroit un jour la fplendeur de l’empire Per-
fan. Ifmail développa une raifon prématurée & un
courage héroïque qui furent le préfage de fa gran-,
deur future. Senfible à l’opprefîion de fa patrie, il
envoya dans toutes les provinces des émiflaires pour
fonder les difpofitions des peuples, leur annonçant
qu’il étoit prêt à facrifier la vie pour les affranchir
d’un joug étranger. Les Perfes fortirent de leur abattement,
vingt mille fe rangèrent fous les drapeaux
de leur libérateur, & dès qu’il parut en campagne,
rempreflement fut fi grand , qu’il te vit à la tête de
trois cens mille combattans. La religion lui fournit des
armes pour fûbjuguerlesefprits.LesTurcs, regardés
comme les corrupteurs de 1-alcoran) devinrent l’objet
de l’exécration des peuples qui crurent fervir
Dieu contre lès profanateurs de fa loi. Cette guerre
fa crée donna des feenes d’héroïfme & de cruauté.
Ifmail fut proclamé roi par lefuffrage de fa nation.
Tous les Turcs qui tombèrent entré tes mains ne
rachetèrent leur vie que fous promeffe d’embraffer
la religion des Perfes. Trois provinces enlevées aux
Turcs qui les avoient ulùrpées, formèrent le nouvel
émpire qui prit chaque année de nouveaux ac-
croiffemens. Ifmail après avoir affuré fes frontières
contre les invafions des Turcs, porta la guerre du côté
de l’Orient; il enleva au roi des Indes lafortereffe de
Candahar, qui devint le boulevard de fes états. Cette
conquête fut fuivie de la foumiflion 'd’une province
voifine qui, fans attendre le fort des armes, le prévint
par fon obéiflance. Il retourna chargé de gloire à If-
pahan pour s’y faire conronnerXette cérémonie n’eft
pas aufli pompeufe en Orient que dans l’Eurooe. On
met devant le prince un tapis d’or, les grands lui pré-
fentent la couronne qu’il baife trois fois au nom de
Dieu , de Mahomet & d’Ali, il la remet au grand-
maître du royaume qui- la lui pofefurla tête; enfuite
tous les fpeûateurs crient vive le roi: chacun lui baife
les pieds, luifaitdespréfens, & tout le jour te pafle
en jeux & en feftinis.-Ce fut Ifmail qui fut l’inftitu-
teur de cette cérémonie. Dès que cette folemnité
fut achevée, il tourna fes armes contre le roi de