hommes, & autant de chameaux de la caravane dô
la Mecque, comme feroit un coup de foudre.
Ce font là les véritables vents typhoniques, qu’on
nomme auffi champjîn : nous avons trouvé dans Prof-
per Alpin ( Rer. Ægyp. lib. 1. ) que cette appellation
dérive du nom de l’ufurpateur Cambyfe, dont
l’armée fut en partie détruite par un orage femblable ;
mais cette étymologie n’eft affurément point heu-
reufe, puifqu’il y a bien de l’apparence que long-
tems avant la conquête des Perfans, les Egyptiens
employoient déjà, dans un fens figuré;, le mot de
champfah (-2), qui dans fon propre fens défigne le
crocodile, animal qu’on fait avoir été plus qu’aucun
autre l’emblème du typhon, qui étoit, généralement
parlant, le mauvais principe; mais lorsqu’on le per-
fonnifioit, lorfqu’on le repréfentoit fous la forme
gigantefque, foufflant comme un dragon le feu de
Fa gueule fur toute la terre d’Egypte, alors on le qua-
lifioit plus particuliérement par l’épithete, d’aphoph.
( Jablons. Panth. Ægyp. lib. À', cap. a.). Quoique les
dieux 1’eufi’ent jadis foudroyé, il n’en'refpiroit pas
moins dans le lac Sirbon, ou plutôt dans les eaux bi-
iumineufes de ce bourbier, qu’on cônnoît aujourd’hui
fous le nom de Sebaket Bardoil: de-là il en-
voyoit des brouillards étouffons fur la ville de Pelufe
au point que beaucoup de Pelufiotes en croyoient
être pofledés ; & il n’étoit pas rare, comme l’on fait,
de trouver auffi des pofledés autour du lac Afphaltite
en Judée, parce que les vapeurs qui en fortent, font
a peu-près de la même nature que les émanations du
Sirbon. Par une allégorie auffi fingulîere que celles
dont nous venons de parler, les prêtres Egyptiens
difoientque le Typhon avoit de tems en rems, foit
au fond de fon lac, foit dans les environs d’Avaris,
quelque commerce avec une concubine, 6c de ces
acecouplemens ils faifoient naître la race des Juifs,
qui étoient abominables à leurs yeux ( Plut, de I(id. &
OJir.)\ 6c il fout convenir qu’il leur eût été difficile
d’imaginer une origine plus propre àcaraftérifèr un
peuple qu’ils haïfloient.
Nous fommes. entrés dans ces détails, pour faire
concevoir comment un météore, de l’efpece de celui
qu’on vient de décrire, a pu être métamorphofé en
géant, dans le langage figuré des Orientaux ; & par
cet exemple on jugera de tous les autres: car ici un
exemple en vaut mille. 11 y a certainement des my-
thologiftes, comme Noël le Comte &M . l’abbé Ba-
mer, qui ont interprété en un fens moral, ces mêmes
fables que nous venons d’expofer dans un fens phy-
fique ; mais qu’il nous foit permis de dire, fans prétendre
déprimer ces auteurs-d’ailleurs très-eftima-
bles, qu ils n’ont point eu, 6c qu’ils n’ont même pu
avoir fur l’Egypte la millième partie des connoiflances
qu on a acquifes de nos jours, par les recherches les
plus opiniâtres relativement à tous les points de l’hif-
toire de cette contrée célèbre. D ’ailleurs il importe
peu dans quel fens on explique cette énigme, dès
qu’on y reconnoît une allégorie ; car nous ne difeon-
venons point que les êtres moraux n’aient pu être
changés en géansy 6c on en verra la preuve dans ce
que nous rapporterons du culte des Indous.
Le Typhoé des Grecs & des Latins efl; indubitablement
le même fpe&re mythologique que le Typhon
des Egyptiens ; mais fon hiftoire, en paffont de l’Afrique
en Europe, a été altérée: on en a fupprimé
des circonftaoces, on y en a ajouté mille autres : on
ne pouvoir d’ailleurs l’enfevelir dans le lac Sirbon,
que les Grecs ne connoifloient que confufément;
mais on l’enterra fous. l£Étna, que les Grecs con-
(a) I l y avoir différens dialefles en Egypte, puifqu’on trouve
meme dans les livres Coptes amfah & pamfap, pour défigner le
crocodile. Temfach efl un mot Arabe qu’il ne faut pas introduire
dans le texte d H érodote, au lieu du terme quon y li t , comme
quelques faYaqg l ’om vou|a,
noifloient ; & cette particularité indique précifément
que les effets de la nature ont toujours du concourir
plus au moins avec la fable pour l’appuyer 6c lui
donner du corps. Il n’eût point été poflible de tranf-
porter depuis Phlegra dans la Macédoine , jufqu’au
rivage de la Campanie une armée de géans : g-parcV
Tiydy-ruv ; comme parle Sophocle, fi le foufre qui
s’enflamme fous terre fur ce rivage de la Campanie,
dans un endroit que les Italiens nomment aujourd’hui
Solfatra, & qui eft un volcan épuifé, n’eût favorifé
une tradition fi merveilleufe : mais une partie du
Campus Phlegræus , qui brûloit encore, ou qui fu-
moit encore depuis que la foudre y avoit terraffé ces
énormes mortels, rendoit la chofe probable ; & il n’a
fallu que découvrir par hazard dans les environs,
quelques grands os foffiles, pour que la chofe foit
devenue vraie aux yeux de ceux même qui préîen-
doient n’être point peuple. Or qu’on ait trouvé des
os foffiles dans cette partie de l’Italie la plus voifine
du Campus Phlégræus , ou du champ brûlé, cela eft
hors^ de doute, par la quantité qu’on en a vu ra£
femblée à Pouzzol, oit, au xv i* fiecle, un poëte
eut la hardieffe de graver fur ces os de mauvais vers
latins, par lefquels on voit qu’il attribuoit, fans au-*
cune efpece de doute, ces fragmens à des corps hu$j
mains.
Titanum ingentïa membra
Hîc quales hominum ttjlijicantur avos.
De tout ceci il réfulte que c’eft autour des lacs bitumineux
, auprès des volcans, au pied des montagnes
d’où il defeenddes torrens dans les terreins ful-
phureux, ou enfin dans les terreins à tourbes, d’où
il fort des feux follets, ou qui s’enflamment même
entièrement comme la tourbière des Juhons, que
les anciens ont logé lés géans : c’eft-là qu’ils ont combattu,
c’eft-là qu’ils ont été détruits ou débellés ,
fans ceffer de vivre, comme Typhoé, qui gémiffoit
encore fous le poids de l’Etna. Ces obfervations
réunies prouvent indubitablement qu’on a perfonni-
fié des météores & des phénomènes, 6c qu’il ne faut
petît-être pas plus croire à l’exiftence dès géans ,
qu à croire à l’exiftence des fées, dont quelques-unes
ont également été produites par des effets naturels,
dont la caufe a dû refter profondément cachée dans
les fiecles d’ignorance & de barbarie ; 6c il fuffira de
citer ici la fée Morgane, fur laquelle le leéteur pourra
confulter l’article où nous avons développé plus en
détail l’origine de cette chimère.
En nous procurant toutes les connoiflances poffi-
bles fur le local d’un canton du Pérou, où les Américains
plaçoient la demeure on la patrie des géans
du nouveau monde, nous avons vu que les. chofes y
font précifément arrangées comme elles dévoient
l’être pour confirmer notre explication.
V ’rs une pointe qui £ avance en mer y & qu*on a nommée
le cap de Sainte-Hélene, on trouve,. dit Za-
rate, quelques veines d’oà. fort une efpece de bitume, qui
reffemble fort à de la poix ou à du goudron, & quon
emploie aux mêmes ufages : les Indiens qui habitent en
ce{ lieux affurent qiï 'üy a eu autrefois affe£ près de là
des géans.
Les phyficiens conviennent prefque généralement
aujourd’hui que l’origine des fubftances bifumineufes
eft due à des plantes & à des arbres entaffés dans le$
entrailles de la terre par de grandes révolutions; 6c
on conçoit que des matières fi combuftibles peuvent
de tems en tems s’enflammer par l’ardeur du foleil,
à-peu-près au centre de la zone torride; car il ne
paroît point que le cap de Sainte-Hélene doive être
reculé au-delà du cinquième degré dans la latitude
méridionale. D ’ailleurs on y a découvert auffi des
pierres calcinées, des laves, des tas de cendres,
6c les EfpagnoJ^ ont nommé tout c.e diftriét, la tierra
Qntmada ; ce qui revient, comme H H , mot I
pour mot ; au Campus Phlcgrxus de la Campanie , &
au Phlegra de la Macedoine.
Cette conformité fi frappantej entre des endroits
de l’ancien & du nouveau monde, oh d doit avoir
égaleme'nï'éxifté fauro.t etre 1 effet du
hazard : car le hazard ne peut combiner tant de circonftances,
& les arranger «fuite avec une preci-
fion auffi grande que-l’eft celle dont nous parlons.
Mais les idées des hommes peuvent fe rencontrer en
perfonnifiant fous'les mêmes formes les memes ob-
fetsv & cela eft encore très-vrai par rapport aux
ionftellations : cet amas d’étoiles, qui a paru repre-
fenter une ourfe aux yeux des Sauvages.de la Grece,
a auffi paru repréfenter une ourfe aux yeux des Sait;
vages du Canada, qui ne defeendent point des Hel-
léniens, quoi qu’ en puifle dire le P. Lafiteau.
Les Efpagnols, en creufant aux environs de Porto
Veiio, fitué près dé Ces fontaines de bitume, dont il
eft queftion dans teifécit dè Zarate, y ont déterré
auffi de grands offemens, qui ont appartenu à des
baleines échouées, ou à des quadrupèdes dont 1 efpece
s’étoit éteinte en Amérique, & alors ils ont ete
autant perfuadés de l’èxiftence des géans _du Pérou,
que lès Péruviens eux - mêmes pouvoient l’etre. T eile
eft vraifemblablement la fource de toutes les abfur-
dités, que quelquesvoyageurs ont infefees dansleurs
relations touchant la taille monftrueufe des Patagons
qu’on a voulli trouver plus près de la Tierra del
Fuego , dont le nom reffemble beaucoup à celui du
canton dont nous venons de parler, ce ft-à -dire,
de la Tierra Quemada ou de la terre brûlée. Si les
feux nofturnés font aujourd’hui moins apparens^ou
moins remarquables dans la Tierra del Fuego, qu on
l’aflura en quelques routiers dreffés vers l’an 1590,
c’eft que cette île , dont l’interieur nous eft ablolu-
ment inconnu, peut contenir des volcans qui ont .
plus travaillé & plus éclaté en un tems qu’en un autre ;
car que la fimple fumée qui fortoit de la cabane de
quelques Sauvages, ait foit impofer à cette île le
nom de la Terre de feu, comme des auteurs le prétendent,
cela n’eft point probable.
Lorfque Paul Lucas, envoyé à grands frais par
Louis X IV , dans l’ Afie & l’Egypte, pour en décrire
les monumens & les particularités > ofa publier à fon
retour, qu’il avoit découvert, dans les environs de
Tharfe, la ville des géans ou la ville de Nembrot, il
révolta contre lui toute l’Europe, & les enfans même
n’ajouterent aucune foi au rapport de ce romancier
infigne, qui avoit pris auffi la couleuvre Hérédy
de la Thébaide pour un démon. Mais de nos jours,
l a ’fable des Patagons hauts de dix à douze pieds ,
a été reçue avec une crédulité à laquelle on ne fe
feroit jamais attendu dans un fiecle auffi éclairé que
le nôtre : cependant on favoit qu’il s’étoit écoulé
deux cens cinquante ans depuis l’époque de la première
relation, qui parle de ces prétendus géans de
la Magellanique, fans qu’on eût jamais montré un
feul individu de cette efpece en Europe: les offemens
qu’on y a produits pour des débris de fque-
lettes Patagons, ont été reconnus par des anatomiftes,
& on a vu clairement que c’étoient des os de boeuf,
tel que celui que Turner rapporta de l’Amérique.
On favoit encore que les voyageurs, qui prétendent
avoir vu une race prodigieufe au fud du nouveau
monde, étoient des matelots ou des aventuriers obf-
curs , ignorans dans l’hiftoire naturelle, & ignorans
dans toutes les parties des fciences ; & malgré cela
la fable des géans étoit adoptée avidement, hormis
par un petit nombre d’hommes raifonnables, qu’un
écrivain a ofé combattre par trois differtations qui
font déjà tombées dans l’oubli. Mais peut-on citer
' une fable , quelque groffiere qu’elle foit, qui n’ait
pas été défendue par des differtations, par des volûmes,
par des atteftations, par des témoins, &c
enfin, par des fermens? car l’erreur, qui a quelquefois
des martyrs, trouve en tout tems des apo-
logiftes. Nous fommes aujourd’hui convaincus, que
la defeription d’un voyage fait,autour du monde
dans le vaifléau le Dauphin % n’a pas été écrite par le
chef d’efeadre Byron, comme on l’a cru même en
Angleterre: c’eft à un anonyme très-inconnu dans
la république des lettres,, qu’il faut imputer ce;ie
compilation, où l’on trouve des détails puériles fiir
les Sauvages delà Patagonje, 6c une préface remplie
de faits merveilleux, 6c de quelques extraits
de la Gigantologie du P. Torrubia, qui dit avoir vu
une paylànne née dans l’Eftremadoure, laquélle s’embarqua
en 1701, pour l’Amérique où elle parcourut
à pied plus de quinze cens lieues de terrein1 , Jes fau-
vages Arovenarès l’enleverent & la marièrent à leur
cacique, de là elle tomba, on ne fait comment, entre
les mains des Patagons, qui la retinrent pendant fix
ans : à fon retour elle affura au P. Torrubia que ces
barbares étoient hauts de dix à douze pieds, 6c que,
quand leurs époufes acçouchoient d’enfons nains., ils
en faifoient d’abord des efclaves pour les vendre à
leurs voifins,; parce que chez eux on ne fouffroit
jamais aucun nain. Qu’un moine Efpagnol ‘ ait fait
imprimer en Efpagne de telles àbfiirdités, cela ne
nous étonne pas, 6c n’étonnera vraifemblablement
perfonne : mais qu’on ait traduit ce roman de la
Payfanne de l’Eftremadoure en Anglois, pour l’inférer
dans le voyage du chef d’efeadre Byron, où
les philofophes efpéroient de trouver des obfervations
intéreffantes , cela eft furprenant. Cependant on
fe tromperoit beaucoup, fi l’on s’imaginoit que les
relations de Pigafetta 6c de fes femblables, au fujet
de la grande taille des indigènes de la Magellanique ,
foient écrites avec plus de jugement 6c de faine critique
que la Gigantologie du P. Torrubia, ou les lettres
du jéfuite Nunnez, qui attefta, en 1555, que la
garde du corps des empereurs de la Chine étoit toute
compofée de géans ; tandis qu’il feroit difficile de
trouver dans la garnifon de Pékin, foit parmi les
Tartares Mantcheoux, foit parmi les Chinois, des
hommes de la taille des grenadiers, telle qu’elle eft
fixée par les ordonnances militaires de l’Europe. II
faut que cet exagérateur Nunpez ait juge de la garde
des empereurs, par les ftatues qu’il avoit vues à
Canton, 6c dont quelques-unes font certainement
taillées fur des proportions très - coloffales ; & comme
il e~ft commun d’en trouver de cette efpece à l'entrée
des pagodes de Foé, deffervies par les bonzes,
il y a lieu de préfumer, que c’eft par un effet de la
religion indienne, qui a infetté à-peu-près toute la
Chine, que le goût de ces ftatues s’y eft répandu c
car on fait que les bramines de l’Inde ne donnent jamais
de fête au peuple fans y faire paroître des repré-
fentations de géans, & les peintures qui ornent leurs
temples, font chargées défigurés femblables. Comme
nous avons aujourd’hui des copies de ces tableaux,
beaucoup plus fideles que celles que le P. Kircher a
inférées dans fa China illufirata, de l’édition d’Am-
fterdam ; il eft aifé de s’appercevoir que tous éeS
géans Indiens font des vices ou des vertus perfonnf-
fiées. Le moifafour, ou le mauvais principe y paroît
quelquefois en pygmée, & quelquefois en géant>
fuivant que le fens de l’emblème l’exige. Plufieurs
favans ont cru que toutes ces allégories font venues
de l’Egypte dans l’Inde, mais M. Holwell croit au
contraire, qu’elles font venues de l’Inde en Egypte;
6c nous dirons ici en paffant que ces deux fyftêmes
nous femblent également faux & deftitués de toute
efpece de preuve hiftorique. Au refte, toutes les
fois qu’il eft queftion d’hommes d’une ftature déme-
furée dans les légendes des Manichéens, dans celles
des Parfis, dans les livres fanatiques des Japonois,