pas à s’appercevoir combien la loi concernant les
fiefs, étoit contraire à la tranquillité de l'état. Conrad
II qui la porta , eut dû en prévoir les funeftes
conféquences. C’eft peut-être à cette loi qu’on doit
rapporter tous les malheurs qui affligèrent fa race.
L ’hérédité avoit été en ufage lous les régnés précé-
dens, mais les empereurs avoient fouvent partagé
les grands fiefs entre plufieurs prétendans. Àinfil’on
avoit fouvent vu la Saxe , la Suabe , la Bavière
pofledées chacune par plufieurs ducs, au lieu que la
loi lembloit avoir ôté aux empereurs cette liberté
q u i, en divilant les grands vaffaux, devoit affermir
le trône. Henri, trop gêné par cette lo i, crut pouvoir
s’exempter de la fuivrte , & lorfque le duché
des deux Lorraines vint à vaquer par la mort de
Goteion I , que Conrad II en avoit invefti, il ne
donna que la baffe à Godefroy , fils de ce duc , &
la haute luccefiivement à Goteion I I , à Albert iffu
d’une illuftre maifon d’Alface , & à Gérard de la
meme famille , tige des princes de la maifon de Lorraine
d’aujourd’hui. L’ambitieux Godefroi ne pouvant
fouffrir de fécond au duché de Lorraine , chercha
tous les moyens de fecouer le joug. L’empereur
lui avoit pardonné plufieurs fois-après l’avoir fait
tomber à fes pieds. Le duc, toujours enivré de fes
projets de vengeance , pàffe en Italie à deffein
d’engager les Normands à féconder fon reffenti-
ment , & à partager ce royaume lorfqu’ils l’au-
roient affranchi de la domination Allemande. L’empereur
ayant tout à craindre des intrigues du rebelle
, paffe les Alpes , & fe faifît de la duchefie
Beatrix , veuve de Boniface, marquis de Tofcane,
que le rébelle avoit époufée depuis fa fuite en
Italie , & l’amena avec lui en Allemagne , après
avoir forcé fon perfide époux d’y rentrer. Ce rébelle
conferva la baffe Lorraine malgré fes intrigues
& fes révoltes. Conrad I , duc de Bavière ,
implora vainement la même clémence. Cité à la
diete de Mersbo\trg, il fut dépofé, & ne put être
rétabli. Une guerre malheureufe termina le regne
de Henri III. Le chagrin qu’il en conçut, caufa fa
mort. Vittor II, qui pour lors étoit auprès de lui,
reçut fes derniers foupirs, & facra fon fils Henri IV,
âgé pour lors d’environ fix ans. L’empereur avant
fa mort avoit eu une entrevue avec Henri I , dans
laquelle ils renouvellerent l’alliance entre l’Allemagne
& la France. On prétend que ces princes
fe féparerent ennemis. La fierté de Henri I I I rend
ce fenîimenî probable. A l’entendre, il n’y avoit
point de prince en Europe qui ne dût lui rendre
hommage ; on le vit fur le point de déclarer la
guerre à l’Efpagne qu’il prétendoit être fief de l’empire.
Tout-puiffant dans Rome , il difpofa de la
papauté comme d’un fimple bénéfice. Il nomma
ïucceffivement Clément I I , Damaffe I I , Léon IX ,
Viôor II ; mais fi ce prince difpofa à fon gré du Saint-
Siege , les pontifes à leur tour prétendirent difpo-
fer de l’empire. Telles font les prétentions que nous
allons voir éclater fous le regne fuivant. Henri I I I
eut de fon premier mariage avec l’impératrice Cune-
linde , fille de Canut, roi de Danemarck, Béatrix
qui mourut abbeffe de Gandersheim , & de fon
fécond avec l’impératrice Agnès , fille de Guillaume
, comte de Poitou, Mathilde , qui fut femme
de Rodolphe de Reinfelden^, duc de Suabe, & depuis
élu empereur contre Henri IV ; Judith mariée
à Boleflas , duc de Pologne ; Sophie , femme de
Salomon , roi d’Hongrie ; Henri IV fon fucceffeur ;
Conrad, duc de Bavière ; Gifelle morte religieufe ,
& Adelaide , abbeffe de Quedlimbourg. Son corps
fut tranfporté de Benfelt en Saxe , à Spire en Alface,
où l’on célébra fes funérailles.
H e n r i IV , ( Hiß. d'A llemagne.') fils du précédent
, d’Agnes de Poitou , IX roi ou empereur
de Germanie depuis Conrad I , X IV empereur
d’Occident depuis Charlemagne.
La vie de ce prince n’offre qu’un tiffu de malheurs
: il avoit à peine fix ans lorfqu’il fut appellé
au trône par la mort de Henri 111. L’impératrice
Agnès, fa mere, s’empara de la régence où elle
fe maintint avec autant de fageffe que de fermeté ,
jufqu’à ce que la calomnie des grands qui l’accu-
foient de fe proftituer à l’évêque d’Ausbourg, fon
principal miniftre, la força de fe retirer dans un
monartere à Rome ( 1063. ). L’empereur après fon
départ eût bien voulu gouverner par lui-mêine ,
mais les archevêques de Mayence , de Cologne &
dé Bremen, fe rendirent maîtres des affaires , & prolongèrent
fa tutelle. On accule ces prélats d’avoir
abufé de fa jeuneffe , en le plongeant dans les voluptés
: mais on doit être bien circonfpeâ en lifant
l ’hiftoire de ce prince. Ceux qui armèrent fes lujets
& fes propres fils pour le précipiter du trône , ne
fe feront point fait un fcrupule de noircir fa mémoire.
Ce fut pendant le miniftere de l’évêque de
Mayence & de fes collègues , que fe formèrent
les orages qu’il ne put difiiper. Les Saxons voÿoient
avec peine fur le trône des ducs de Franconie , 8c
defiroient avec la plus vive ardeur d’y rétablir leur
fouverain. Ils fe rappelloient fans ceffe le fouvenir
du régné glorieux des Oton , & prenoient toutes
les mefures qui pouvoient opérer une révolution
favorable à leurdefir. Ils avoient même formé une
conlpiration pendant le régence d’Agnès , contre le
jeune monarque. Les états qui voulaient que la-
couronne fût élefli ve,fouffroient difficilement qu’elle
fe perpétuât dans la race de Gonrad.Les papes n’igno-
roient pas le mécontentement & les complots des
Allemands contre leur prince ; & ils s’apprêtoient à
en profiter, non-feulement pour fe fouftraire à la
domination.de ces étrangers , mais encore pourfou-
mettre l’empire au facerdoce. Leur premier attentat
contre l’autorité des empereurs, fut de priver
Henri du droit de confirmer l’êleftion des pontifes.
Nicolas II en fit une lo i , & décida dans une afTerâblée
d’évêques Italiens, que déformais les cardinaux
feuls éliroient les papes qui feroient enfuite préfen-
tés au peuple pour être confirmés. Ce fut d’après
ce coupable décret qu’Alexandre II s’affit fur le S.
Siégé , fans confulter la cour impériale. Alexandre
fe prévalut encore de la minorité de Henri, pour
augmenter fa puiffance temporelle. Il fe lia d’intérêt
& d’amitié avec les princes Normands , & les
engagea à fecouer le joug de l’empire dont ils étoient
feudataires. C’eft ainfi que' ceS' princes , dont les
fuccès auroient été moins brillans fans le fecours
des papes , ternirent la gloire de leurs armes.
On les exeuferoit peut-être , fi facrifiant à la gloire
de leur nation , ils euffent brifé leurs liens pour
le rendre vaffaux des pontifes. Ils firent hommage
de leurs conquêtes à Nicolas II qui leur en donna
une nouvelle inveftiture , moyennant une légère
redevance à fon fiege. C’étoit un puiflant appui
pour les papes, déjà maîtres abfolus dans le fpiri-*
tuel. Tel étoit l’état des chofes, \or(ç\vCHenri IV ,
devenu majeur, fort de la captivité où lé retenoient
fes prétendus tuteurs. Ses premiers foins furent de
rétablir la fûreté publique,& d’arrêter les brigandages
deSyOtficiers fubaîternes , que les grands favorifoient
pour caufer une révolution. Lorfqu’il eut vifité
l’Allemagne, il alla à Goflard en Saxe , & y fixa fa
réfidence. Les anciennes fortereffes négligées dans
cette province , fous le précédent régné , furent
rétablies, & l’on en conftruifit de nouvelles. Henri
le^ garnit d’un nombre fuffifafit de troupes. Tout en
lui montroit un prince qui vouloit faire le bien de
fes peuples, & régner avec autorité. Les Saxons
s’apperçurent bientôt que ces fortefeffes s'élevaient
au milieu d'eux, autant pour les contenir dans le
devoir , que pour les défendre contre l’étranger.
Leurs députés vers l’empereur lui traçoient les loix
les plus dures , 8c cenfuroient fes moeurs avec
une extrême licence. Henri , naturellement enclin
aux plaifirs, avoit pour les femmes un penchant
exceffif. Il s’en confeffa à Grégoire VII , qui,
au lieu de l’abfoudre, fe fervit de ce pieux aveu
pour le perfécuter. Les députés de Saxe lui déclaraient
la guerre, sülrefufoit d’abattre les fortereffes ,
de retirer fes garnifons, 8c de congédier fes ministres.
L’empereur reçut cette députation avec froideur
: il n’étoit pas d’un caraftere à recevoir la loi de
fes fûjets. Son efprit étoit calme , 8c fa fermeté
n’étoit point ébranlée par le danger. Il répondit
aux députés qu’il confulteroit les états. Les Saxons
, mécontens de cette réponfe, l’affaillirent
to u t-à - co u p dans Goflard. Ces rébelles étoient
fécondés par Alexandre I I , q u i, conduit par le fameux
Hildebran , mieux connu fous le nom de Grégoire
V I I , leur montroit de loin les foudres dont il
devoit bientôt frapper l’empereur. Sans être foute-
nus par le pontife , les ducs de Saxe 8c de Bavière ,
l ’archevêque de Magdebourg , 8c huit évêques
paroiffent à la tête des rébelles. L’empereur voyant
quel fang précieux alloit inonder l’Allemagne , les
exhorte en vain à rentrer dans le devoir ; fes délais
ne font que groflir l’orage. Les ducs de Suabe, de
Carinthie 8c de Bavière l’abandonnent , 8c pour
donner un prétexte à leur révolte, ils gagnent un
de fes domeftiques qui l’accufe d’avoir voulu le
corrompre pour les affafliner. L’empereur s’offrit
de fe laver de cette odieufe imputation ; mais on
avoit trop d’intérêt à le trouver coupable pour lui
permettre de fe juftifier. On fe prévaut de la calomnie
, on luirefufe les taxes, on fait languir fes troupes
, on rafe, on démolit fes forts 8c les châteaux.
Contraint d’employer la force, il marche en Saxe
contre les rébelles que fa préfence diflipe, 8c il leur
donne la pa ix, content de les avoir fait trembler :
mais bientôt infidèles à leurs fermens, ils le forcent
de voler à de nouvelles viôoires. Henri, vainqueur
par la force de fes armes, perfifte à vouloir les dé-
farmer par fa clémence. Il reçoit en grâce l’archevêque
de Magdebourg , les ducs & les évêques fes
complices, 8c leur conferve leur dignité. Il n’exige
que leur parole pour gage de leur foumiflion. Cette
guerre ainfi affoupie , il fe retire en Alface pour être
plus à portée de veiller fur ce qui fe paffoit en Italie.
Alexandre II étoit mort pendant la guerre civile ;
lés entreprifes de ce pape qui avoit ofé le citer à
fon tribunal, lui faifoient craindre quelque révolution.
Hildebran , né de parens obfcurs, fucceflive-
ment moine de l ’abbaye de Cluny , 8c membre du
facré college, s’étoit fait élire par les Romains fans
confulter les cardinaux. Chancelant fur le Saint-
Siege , il feint de reconnoîtré les droits des empereurs
, 8c députe vers Henri IV pour s’exeufer de
ce qu’il avoit été élu fans l’agrément de ce prince. Il
protefte qu’il eft prêt d’abdiquer , s’il le juge à propos.
L’empereur, trompé par cette foumiflion apparente
, envoie fon chancelier qui le confirme, 8c
le maintient dans fa dignité. Mais Hildebran n’eft
pas plutôt affermi, qu’il fait éclater les deffeins qu’il
avoit conçus depuis long-tems , 8c qu’il avoit inspirés
à Alexandre fon predéceffeur. C’étoit un génie
vafte 8c opiniâtre dans fes projets, ardent, impétueux
, mais trop artificieux pour que la chaleur de
fon génie nuisît à fes deffeins. Nourri dans les disputes
, il poffédoit toutes les fubtilités de l’école ;
ami 8c confident de plufieurs papes , il étoit verfé
dans toutes les intrigues des cours : à ces dangereu-
fes qualités Hildebran joignoit une grande auftérité
de moeurs qui tenoit moins à fes vertus qu’à fa polif
tique ; la dureté de fon cara&ere étoit conforme à
fes principes, 8c fon ambition neconnoifloit aucune
borne. Tel étoit l’hydre que Henri avoit à combattre,
hydre qu’il fut vaincre, mais dont le fouffle en
produifit d’autres, fous lefquels il devoit fuccomber,
ainfi que fes fucceffeurs. Hildebran qui vient de
reconnoître le droit de Henri pour la confirmation de
fon fiege, lui contefte celui de difpofer des préla-
tures. II attaqe ce droit incOnteftable comme un
abus, 8c prétend qu’il n’appartient qu’à lui feul. On
fent aifément quel étoit fon but : une fois qu’il feroit
devenu maître dans la nomination aux bénéfices ,
dont plufieurs donnoient rang de prince , il n’y
auroit placé que des perfonnes dévouées à fes intérêts
, 8c fe feroit acquis un pouvoir abfolu dans l’empire.
Henri s’oppofe à ces prétentions, 8c menace
le pape : mais celui-ci fe fait un appui des Saxons ;
8c accufant l’empereur de plufieurs crimes , il veut
l’obliger de fe rendre à Rome, & de fe juftifier.
Henri bat les Saxons, releve les fortereffes qu’ils
avoient détruites , 8c ufant des droits de fes prédé-
ceffeurs, il dépofe le pape dans un concile compofé
de vingt-cfhatre évêques, & de tous les princes de
l’empire. Grégoire VII étoit perdu , fi l’empereur
eût pu conduire fon armée à Rome ; mais il étoit
toujours retenu par les mouvemens des Saxons. Le
pape qui connoit la raifon qui le retient, 8c toujours
afluré de la proteâion des princes Normands,
éxeommunie l’empereur, 8c le dépofe à fon tour :
Je lui défends, dit cet audacieux pontife , de gouverner
le royaume Teutonique 8c l’Italie , & je délie
fes fujets du ferment de fidélité. Telle eft la première
entreprife des papes fur le temporel des rois.
Des légats fe répandent aufli-tôt dans toutes les
cours d’Allemagne , appuient par des promeffes les
excommunications du pontife, 8c foufflent dans tous
les coeurs l’efprit de révolte qui les anime. Henri fe
voit tout-à-coup abandonné': ceux qu’il croit les plus
fideles s’arment contre lui de fes propres bienfaits ;
& ces mêmes évêques qui venoient de dépofer le
pape, l’établiffent juge de leur fouverain.Ils l ’in-
viterent à venir à Ausbourg jouir des droits qu’il
s’arroge. L’empereur voyant qu’il avoit tout à craindre
de cette affemblée, fonge à en prévenir les fuites.
II paffe en Italie, non pas en appareil de triomphe
comme fes prédéceffeurs, mais avec un petit nombre
d’amis qui l’engagent à cette démarche, la feule
que l’hiftoire lui reproche. Arrivé à Canoffe, forte-
reffe de la dépendance de la comtefle Mathilde, fa
coufine, qui le perfécutoit, perfuadée que la caufè
du pontife étoit celle de Dieu, il demande à parler à
Grégoire qui le fait attendre pieds nuds trois jours
entiers dans une cour, pendant un froid rigoureux ,
n’ayant qu’un feul habit de laine, 8c ne prenant que
le foir quelques alimens greffiers. L’orgueilleux
pontife paroît enfin , & il lui demande à genou pardon
de fon courage qu’il ternit par cette démarche.
Il le prie de l’abfoudre de l’excommunication, &
promet de fe trouver à Ausbourg où il fe foumettroit
i à fon jugement ; cependant une lueur de fortune lui
fait aufli-tôt révoquer fes fermens , que la néceflîté
lui arrache. Les familiarités du pape & de la comtefle
Mathilde feandalifoient les efprits: leur intimité étoit
fi grande, que bien des gens croyoient que l’amour y
■ avoit quelque part. Les feigneurs d’Italie étoient
bien moins allarmés de la proftitution de la com-
teffe, que de l’exceflive puiffance du pape auquel
elle venoit de faire une donation de tous fes biens
qui étoient immenfes. Tous fe rendent auprès de
Henri, qui les conduit aufli-tôt au fiege de Canoffe.
On vit alors, dit un moderne, ce qu’on n’a voit point
■ encore vu , un empereur Allemand fecouru par
l’Italie, & abandonné par l’Allemagne. Mais tandis
que les Italiens & le pape font affligés dans Canoffe,