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bataille étoit très-ancienne ; ceux de l’armée du jeune
Cyrus combattirent dans cet ordre à Curtana.
Chaque nation alliée formoit fa phalange plus ou
moins forte, plus ou moins épaiffe , ordonnée à fa
maniéré , & dont la manoeuvre étoit fouvent différente
de celle des autres. La réunion de ces phalanges
fur une feule ligne formoit enfuite la bataille , à
qui l’on donnoit de même en général le nom de phalange.
Ce fut apparemment fur le modèle de ces
petites phalanges que Philippe forma le corps de Macédoniens,
qu’il appelia par excellence la phalange;
il ne la compofa d’abord que de fix mille hommes
choifis : par-là il la rendit au moins égale , en nombre
de combattans, aux plus grandes des phalanges
particulières des différens peuples de la Grece ; mais
il lui procura bientôt fur elles, par fa maniéré de
l’exercer, une fupériorité réelle. Alexandre fe contenta
de doubler la phalange , mais fes fucceffeurs
allèrent plus loin , & Payant portée jufqn’à feize &
vingt mille hommes , ils parurent s’être plus attachés
à la faire nombreufe, qu’à y maintenir l’efprit de
valeur & de difcipline auquel cette troupe avoit dû
toute fa gloire. L’ordre en phalange avoit pour l’attaque
& pour la défenfe une force à laquelle il étoit
bien difficile de pouvoir réfifter.
Lorfqufil s’agiffoit d’attaquer l’ennemi, les rangs
& les files fe ferroient de maniéré que chaque foldat
n’occupoitque trois pieds de terrein. Les piques des
cinq ou fix premiers rangs hériffoient le front de la
phalange ; celles des autres rangs , la pointe haute
& à demi-penchées en avant, fervoient à rompre la
force des traits. La phalange ainfî difpofée s’avançoit
en filence d’un pas lent, égal & mefuré , jufqu’à
cinquante pas de l’ennemi ; alors les foldats
s’animant les uns les autres par des cris extraordinaires
, & excités par le bruit des inftrumens militaires,
commençoiènt à courir de toutes leurs forces, &
arrivoient fur l’ennemi avec une rapidité d’autant
plus étonnante , que les parties de cette maffe n’en
demeurant pas moins unies & ferrées qu’aupara-
van t, la vîteffe acquife par la courfe fervoit à rendre
la violence du choc plus impétueufe & plus
terrible.
Les cris militaires n’étoient point particuliers aux
’ Grecs ; chaque nation avoit le,fien. Leur but étoit
de remplir le foldat d’une nouvelle ardeur au moment
de la charge , & dünfpirer de,l’effroi à l’ennemi.
Au lieu de ces cris , les Grecs ont eu Iong-tems
line forte de chanfon, qu’on peut nommer leur
hymne de, combat. Cet hymne fe chantoir à différentes
reprifes , & avoit plufieurs couplets, mis
fans dpute fur l’air que les inftrumens militaires fai-
foient entendre. Ils chantoient les premiers lorfqu’ils
alloient fondre fur l’ennemi, les autres pendant la
mêlée. 1
Lorfque la phalange vouloir attendre le choc d’un
ennemi fupérieur en forces, les foldats fe ferroient au
point qu’ils n’ôccupoient plus, qu'un pied & demi de
terrein chacun. Dans cet état de condénfation, & le
front dé la troupe toujours hériffé de cinq ou fix
rangs de piques, les phalangiftes du premier rang
croifoient encore leurs boucliers les uns fur les autres
, & fe tenant extraordinairement preffès , éle-
voient devant eux comme Un mur impénétrable, derrière
lequel les foldatsne portoienf que des coups
certains.
La pofition de la.cavalerie dans lés batailles, ainfî
que celle des armés à la légère , vaVioit fuivant les
conjonctures & la volonté des généraux. Ces deux
fortes de troupes ét'oient mifes, ou ënfemble ou fé-
parément, tantôt fur le'front, tàntôf fur les flancs,
tantôt à la queue de l’infanterie pefante : on peut
neanmoins diffinguer. des troupes ou chacune de ces
méthodes a été plus particuliérement en ufage.
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^Tandis qu’il n’y eut chez les Grecs que très-peu
d’armés à la légère, & moins encore de gens à cheval
, comme iis ne pouyoient alors rendre beaucoup
de fervice dans une aftion, on les plaçoit derriereles
pefamment armés, fur qui feuls rouloit le poids du
combat, & ils y demeuroient comme en réferve
jufqu’à ce que la phalange oppofée vînt à plier : alors
le viâorieux abandonnoit à la pourfuite des vaincus
fes petites troupes de cavaliers ou d’armés à la légère
, pour achever de rompre & de difperfer l’ennemi
, tandis qu’il fe remettoit lui - même en ordre, Ôc
s’avançoit en bonne contenance, prêt à tenter un
nouvel effort fi l’ennemi fe rallioit.
L’infanterie légère ayant été enfuite augmentée,
fans que l’on touchât encore à la cavalerie, on voulut
.la rendre utile pendant le combat, & comme
elle confiftoit principalement en archers & en frondeurs,
& qu’ils n’avoient aucune arme offenfive, on
fe contenta de les rapprocher du corps de bataille,
à couvert duquel ils envoyoient, par deffus la tête
des phalangiftes, leurs pierres & leurs fléchés contre
l’ennemi. Il faut avouer cependant que dans cette
pofition, leurs coups dé voient être très - incertains ,
& non moins dangereux pour leurs propres troupes
que pour l’ennemi; & qu’avec quelque vigueur qu’ils
fuffent pouffes, étant toujours portés de bas en haut,
ils ne pouvoient jamais tomber fur lui, qu’après avoir
perdu la plus grande partie de leur force. L’expérience
découvrit bientôt aux Grecs ces. inconvé-
niens & leur apprit à tirer de l’infanterie légère un
beaucoup meilleur fervice qu’ils n’avoient encore
fait ; ils l’exercerent avec un grand foin, ils augmentèrent
le nombre des gens de trait, & donnèrent
à la plupart d’entr’eux des armes défenfives, peu
différentes de celles des phalangiftes, mais moins
pefantes. Les armés à la légère ayant acquis, par ce
' moyen, plus de confiance en leurs propres forces,
ils ne craignirent plus de s’expofer au danger: ils
furent donc placés en premières lignes, foit qu’ils
fuffent répandus fur toute l’étendue du front de la
bataille, foit qu’ils n’en couvriffent que le centre ou
les ailes; ils-étoient chargés d’engager le combat,
en faifant tomber fans interruption, fur l’ennemi,
une grêle de traits, de fléchés & de pierres; ils ne
cherchoient pas feulement à repouffer les armés à la
légère qu’ils avoient en face ; ils tâchoient, en tirant
fur la phalange oppofée, de mettre le défordre dans
fes rangs, pour procurer à la leur une viftoire affurée.
Quand ils fe voyoient contraints de plier, ils cédoient
peu-à-peu le terrein, combatrant toujours avec leurs
armes de jet , & fe retiroient par les flancs & par des
intervalles ménagés exprès fur le front de la ligne,
derrière leur infanterie pefante ; & lorfque celle-ci
étoit aux mains, ils reffortoient par les mêmes ou- •
vertures & venoient de tous côtés fondre brufque-
ment fur l’ennemi : s’il étoit enfoncé, ils s’attachoient
àia pourfuite. Les armés à la légère ont long-tems
fiippléé, chez les Grecs, au défaut de cavalerie, Sc
fait une portion très-confidérable de leurs troupes.
Telle fut l’ordonnance générale des armées, lorfque
les Grecs fe furent perfectionnés dans la ta,Clique.
L’infanterie pefante fur huit, douze ou feize de
profondeur, formoit le corps de bataille; la cava-
erie étoit mife de part & d’autre fur les ailes ; .& en
avant de celle-ci les armés à la légère qui en étoient
ainfî protégés. Lorfqu’ils fe fentoient trop Vivement
preffés j la cavalerie s’avançoit pour les foutenir, &
ils fe replioient derrière les efeadrons à la faveur de
leurs intervalles, d’oii ils revenoient enfuite pendant
la mêlée , prendre l’ennemi en flanc & en queue. .
La fcience militaire des Grecs n’éclate pas feulement
dans leurs ordres de bataille , & de leurs évolutions,
on l’admire encore dans leurs retraites &
dans leurs marches ; tout leur art, lorfqu’ils fe
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retiroient devant un ennemi fupérieur, confiftoit pref-
que dans l’ordre quarré , dont ils determinoient la
grandeur fur le nombre des troupes & la nature du
terrein qu’il falloit traverfer : ordinairement c’étoit
un quarré à centre plein, quand ilstnarchoient fans
bagages, & à centre vuide pour les y: enfermer,
quand ils enavoient avec eux. Ils plaçoient aux côtés,
extérieurs du quarré l’infanterie pefante, & au-de-
daqs de celle-ci leurs armés à la légère; la cavalerie
étôit à la tête & à la oueuè de la marche. S’ils
manquoientde cette arme; ils formoient une arriere-
gardé compofée de tout ce qu’il y avoit de jeunes
gens robuftes & courageux, &c ils y ajoutaient un
autre corps compofé de même & mêlé d’armés à la
légère.
Les marches ordinaires fe faifoient communément
fur une feule colonne ; dans celles de jour le rang
des troupes étoit toujours réglé fur la nature des
lieu x ; s’ils étoient couverts, difficiles & montagneux,
les armés à la légère s’emparoient des bois,
des hauteurs , & de tous les poftes embarraffés ; en
plaine, la cavalerie précédoit tout & couvroit l’infanterie.
Dans les marches de nuit.on avoit attention
que tout ce qui fe remuoit le plus difficilement fût à
la tête de l’armée ; ainfi l’infanterie pefante marchoit
la première; après elle venoient les armés à la légère
& le bagage., fuivis de la cavalerie.
Soit que les Grecs; préteridiffent rendre la tête des
marches plus affurée., ou qu’ils vouluffent plutôt
prévenir le trop grand alongement des colonnes ,
chaque corps nedéfiloit point fes différentes troupes
l’une à la fuite de l’autre, mais par plufieurs à la fois,
mifes chacune fur une feule file: par exemple, fi le
terrein le permettait, tous les chefs d’une troupe
d’infanterie de cent Ôu de deux cens hommes, &
dans là cavalerie tous les commandans d’efeadrons
marchoient fur le même front, fuivis chacun de leur
troupe fur une feule file. Lorfque le .chemin deve-
noit plus étroit, ou qu’i l falloit paffer par un défilé,
les troupes qui l’avoient en face paffoient les premières;
& toujours dans le même ordre; les autres
les fuivoient à leur tour, & fe remettoient
en front avec elles auflï-tôt après, on obfervoit le
même ordre dans les.troupes particulières: elles dé-
filoient par files & non par rangs: par ce moyen,
les parties les plus fortes d’un corps ou d’une troupe
s’engageoient les premières dans les endroits difficiles
, & la marche s’en faifoit plus légèrement. Conformément
aux mêmes principes, ils changeoient
l ’ordre de marche, lorfqu’ils avoient plus à craindre
pour les flancs ou la queue que pour la tête; les
troupes alors formoient quelquefois plufieurs colonnes,
& au lieu de défiler par le front, elles marchoient
par l’aile , ayant leur chef-de-file fur la
droite ou fur la gauche, & fe tenant prêtes à faire
face de tous côtés.
Les jeunes gens chez les Grecs, étoient à peine
fortis de l’enfance, qu’ils apprenoient à fe fervir
avec adreffe & avec force des différentes armes qui
étoient en ufage dans ces temps - là , à tirer de l’arc,
à lancer le javelot, à manier la pique, l’épée & le
bouclier : ils prenoient enfuite des leçons de taftique
chez d’autres maîtres entretenus pour cet effet aux
dépens du public, de même que les premiers. La danfe
même contribuoit à leur procurer cette force & cette
foupleffe de membres fi néceffaire dans les combats.
Ils en avoient ; c’étoit la pyrrhique dont les diverfes
attitudes n’étoient que la pure expreflion de tous les
mouvemens qu’exigeoient l’attaque & la défenfe,
félon les différentes armes dont on fe fervoit. Ces
exercices, auxquels préfidoient les rois & les citoyens
les plusdiftingués, embraffoi.ent généralement
toutes les manoeuvres propres à chaque efpece de
troupes. Si l’on notoit. d’infamie le citoyen quirefufoit
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de porter les armes, jufqu’à lui interdire l’entrée des
temples, l ’éclat des récompenfes les engageoit à préférer
l’honneur à la vie & à s’expofer aux plus grands
périls, par le feul amour de la gloire : ces récompenfes
étoient telles qu’il les faut à un peuple qui ne con-
no.ît d’autres biens que la liberté, & d’autre grandeur
que celle det l’ame; des funérailles publiques, des
éloges^des ffatues, des couronnes. Les places, les
édifices publics étoient remplis de peintures & de
ftatues qui fervoient à éteçnifer la mémoire des
grandes aftions; & les environs des villes étoient
couverts de monumens érigés à l’honneur dès citoyens
morts les armes à la main en combattant pour
la patrie. Apres un combat, on ne manquoit jamais
de faire une recherche exaâe des a&ions dignes de
blâme ou de récompenfe ; on donnoit à celles-ci
de jufte éloges, & l’on prononçôit des peines contre
les autres. On célébroit enfuite,-pendant l’hiver, les
funérailles de ceux qui étoient morts fur le champ
de bataille, & cette cérémonie étoit terminée par
une oraifon funebre.
Tant que des maximes fi fages animèrent le courage
des G reçç, ce peuple demeura libre & triompha
de fes voifins; mais une aveugle indolence, la paf-
fion des fpe&acles, & la foifdes richeffes les ayant
enfin corrompus, ils fubirent le joug de leurs ennemis
, & chaque république fuccomba plutôt ou plus
tard, félon que la difcipline militaire s’étoit plus ou
moins conferyée chez elle. Koyé^ nos planches de l'Art
militaire, Tactique des Grecs, dans ce Suppl. (Fl)
MILIEU à prendre entre les obfervations, ( Arith. )
Ce fujet me paroît être devenu un de ceux qui font
le plus du reffort d’un ouvrage tel que celui ci. Le
Dictionnaire raifonné des Sciences, &c. femble pro-,
mettre au mot A r i t h m é t i q u e de le traiter au mot
M o y e n , mais on n?y trouve pas fon attente remplie
; je tâcherai de fuppléer du moins en partie à
cette omiflion.
Quand on a fait plufieurs obfervations d’un même
phénomène, & que les réfultats ne font pas tout-à-
ràit d’accord entr’eu x, on eft lûr que ces obfervations
font toutes, ou au moins en partie peu exaâes ,
de quelque fource que l’erreur puifle provenir; on
a coutume alors de prendre le. milieu entre tous les
réfultats, parce que de cette maniéré les différentes
erreurs fe répartiffant également dans toutes les obfervations,
l’erreur qui peut fe trouver dans le ré-
fultat moyen devient aulfi moyenne entre toutes les
erreurs. Il n’eft pas douteux que cette pratique ne
foit très-utile pour diminuer l’incertitude qui naît de
l’imperfeâion des inftrumens & des erreurs inévitables
des obfervations ; mais il eft aifé de s’apper-
cevoir qu’elle ne la diminue pas autant qu’on le defi-
reroit, & qu’elle eft fufceptible à plus d’un égard
d’être perfeâionnée, parce qu’en prenant Amplement
le milieu arithmétique, on ne tient pas compte
du plus ou moins de probabilité de rèxattitude des
obfervations, des différens dégrés d’habileté des ob-
fervateurs, &c. Différens grands géomètres ont entrepris
cette utilé recherche, ils l’ont confidérée fous
différens points de vue, & l’ont traitée plus ou moins
en détail ; il eft fort à fouhaiter que les aftronomes,
les phyficiens & généralement tous les obfervateurs,
profitent des réfultats de ces recherches dans la dif-
cuffiôn de leurs obfervations.
Le pere Bofcovich a été conduit à méditer fur
cette matière, lorfqu’il a cherché à tirer l’ellipticité
moyenne de la terre de tous les dégrés connus , en
fe propofant la folution du problème fuivant : Etant
donné un certain nombre de dégrés, trouver la correction
qu'il faut faire a chacun d'eux, en obfervartt ces trois
conditions ; la première, que leurs différences foient proportionnelles
aux différences des Jinus verfes d'une latitude
double i la fécondé, que la font me de corrections