genres, qui renferment chacun une multitude d’ef-
peces, félon la diverfité des circonftances:- i° . les
monts de neige & de glace : z°. les vallons glacés :
3°. les glaciers formés au-deffous par la fonte 8c le
regel des neiges. Lçs premiers font les plus élevés;
îes féconds occupent les entre-deux des montagnes;
les troifiemes naiffent des féconds, fous mille formes
différéntes. Entrons dans quelque détail fur ces trois
genres.
i° . Sur les plus hautes cimes des montagnes dont
les fommets fe cachent dans les nues, où la neige
ne fe fond qu’un peu à la furface, c’eft une neige
pure accumulée defiecleen fiecle, affaiffée , comprimée
, dont l’humidité a été enlevée par les vents.
Dans les heures les plus chaudes de quelques beaux
jours de l’é té , la furface en eft un peu fondue :
Cette fuperficie regele auffi-tôt, dans la nuit, 8i forme
,une croûte plus ferme. Tel eft le premier genre
des glaciers : on pourrait les appeller monts net-
gés.
Souvent cette neige endurcie, comme une calotte
ou une cuiraffe, couvre un mont qui paraît
ifolé : quelquefois auffi c’eft une fuite de cônes
énormes qu i, à différentes hauteurs, offrent des
pointes toujours blanches, 8c qui font les pointes
même des rochers, qui fervent d’appui à ces neiges
éternelles, dont ils font couverts.
Dans le circuit de ces montagnes il y a d’autres
fois des pentes douces, ou des efpeces ae plates-formes
, 8c de terraffes couvertes auffi de neige ; elle
fond 8c regele ; l’eau des fommets y parvient 8c fe
congele auffi : delà des couches alternatives de neiges
8c de glaces. M. Grouner appelle ces pentes
douces 8c ces terraffes des champs de glace.
Lorfque la fonte des neigesfupérieures eft un peu
confidérable, les pentes fe fillonnent, 8c il en naît
le long de ces pentes, des inégalités, des taillades,
des pointes, des pyramides, 8c des variétés bizarres.
Toutes ces variétés & ces accidens forment
autant d’efpeces différentes dans ce premier genre
■ de glaciers. -
.2.0. Je paffe au fécond genre plus varié encore.
Tntreces monts il y a des intervalles ou des vallons,
qui font plus élevés que les vallées inférieures, 8c
qui font auffi remplis de neige. Rarement il pleut fur
ce s vallons., mais il y tombe de la neige dans toutes
les faifons de l’année. Cependant les rayons du foleil
dans les grands jours, réfléchis par les monts neigés,
fondent la furface de cette neige, qui regele durant la
nuit. Voilà une croûte de glace fur laquelle il va
retomber de la neige à quelques jours delà. Par ces
alternatives il s’eft formé à la longue une ftratifica-
tion de neige compaâe & de glace opaque, qui a
extrêmement élevé le vallon. Si cette maffe eft fou-
lenue tout autour, ou comme encaiffée, il ne peut
y avoir d’écoulement que par deffous, au travers
des fiffures du ro c , dans l’intérieur même de la montagne.
Si le vallon fe comble jufqu’à un bord ou une
gorge, l’ecoulement extérieur de la neige fondue
commencera à fe faire par-là.
Quelquefois ce vallon offre en été une furface
unie, comme celle d’un lac gelé, où les yeux éblouis
fe perdent dans l’etendue d’une furface de plufieurs
lieues. C’eft ainfi que l’on a vu celui que l’on traverfe
dans le Valais, depuis Charmontanaà Viefch, qui
a environ 14 lieues.
D ’autres fois ces vallons, élevés, offrent en été plufieurs
fortes d’irrégularités: il y en a fur-tout trois
efpeces principales.
Cefont d’abord quelquefois des élévations monfi '
trueufes, qui font comme de petites montagnes,
formées fur le plan du lac. Ce ne font que des avalanches
ou layanges de neige, qui font tombées des
foaaiûgts enviroojians, & qui après avoir groffi durant
leur ehûte, fe font arrêtées fur la furface plane
du lac gelé. La chaleur du foleil les arrondit, leur
donne une forme conique, ou pyramidale, ou-irrégulière
, qui tient jufques à ce que la chaleur plus
grande d’un autre été les fonde , ou leur faffe changer
de forme ; 8c c’eft ainfi que l’afpeâ de ces glaciers
eft li muable, que les deferiptions d’une année
reffemblent peu à celles d’une autre. Voilà la caufe
de cette première efpece d’irrégularités.
Quelquefois ces vallons font ouverts aux vents
qui accumulent la neige, lorfqu’elle tombe dit c ie l,
ou lorfqu’élle eft enlevée des fommets fupérigurs ,
ou enfin lorfqu’elle fond : il en réfulte comme des
ondes, des gradins, des bancs, ou bien de petits
monts élevés, avec quelqu’efpece de régularité pour
la pofition& la hauteur. Voilà une fécondé efpece
d’irrégularités très-variées fur la furface des vallons.
Vous croiriez quelquefois voir les ondes d’un lac
agité par une tempête furieufe, 8c qui ont été fubi-
tement furprifes 8c endurcies par une congélation
foudaine 8c fimultanée. Tel a paru quelquefois le
grand glacier du Grindelwald 8c celui de Viefch.
C’eft ainfi que j’ai vu au mois de février 1773 »
après une bife forte ou un vent du nord froid, qui
avoit duré plufieurs jours, 8c qui avoit fait defeendre
le thermomètre de Réaumur à 7 degrés & demi au-
deffous de la congélation, les bords du lac d’Y ver-
don gelés à la diftance de quelque cens pas des
bords. La bife avoit amoncelé les ondes, qui s’é-
toient congélées, 8c avoient formé une triple 8c
quelquefois une quadruple chaîne de petits monts
de glace , recouverts d’un peu de neige : ces monticules,
rangés afl’ez régulièrement, fur des lignes à-
peu-près parallèles, mais non pas droites, avoient
de 3 jufqu’à 5 pieds de hauteur, 8c préfentoient
en petit l ’image des grands glaciers, que je voyois
dans le même tems éclairés par un beau foleil. Le foleil
d’un été chaud effacera fur les Alpes tous ces
brillans objets, 8c l’année fuivanîe préfentera un
fpeétacle différent, 8c de nouvelles formes. Telles
font les vraies caufes, bien Amples, de tant de foi*
mes 8c de changemens divers de ces glaciers, fur lesquels
on a formé tant d’hypothefes imaginaires.
Enfin ces lacs gelés des valfons fe fendent à leur
furface pendant l’été: ces fentes font plus ou moins
étendues & profondes, & forment une troifieme
efpece d’irrégularités , encore très-variées chaque
année , 8c d’une année à l’autre. Cette glace ne fe
fend jamais fans bruit & fans éclat, qui eft fouvent
affez grand pour être réfléchi & répété par les échos
fréquens & diftinéls d’alentour : les voyageurs curieux
& les payfans voifins ne peuvent entendre
quelquefois ces longs éclats fans furprife 8c fans
admiration. Plus d’une fois auffi ces fentes ont fer-
vi de triftes tombeaux aux voyageurs ou aux chaf-
feurs imprudens, 8c les auteurs Suiffes ont confer-
vé l’hiftoire finguliere de ces accidens, dont quelques
perfonnes font réçhappées par leur induftrie ,
accompagnée de courage, ou par un efpece de miracle.
Quelques - unes de ces fentes fe font par le
moyen de la neige fondue fur la furface, qui trouve
une veine , où la neige, par l’effet de quelque
circonftance, eft moins comprimée, 8c la glace moins
épaiffe , avec de l’air par-deflous. Cet air dilaté par
la chaleur, s’échappe avec effort & j^r conféquent
avec bruit.
D ’autres fois ces fentes, fur-tout celles qui vont
jufqu’au fond , font caufées par une chaleur fouter-
raine, occafionnée ou par la chaleur intérieure du
globe, ou par quelque fource chaude , ou par
quelqu’effervefcence locale d’un amas de pyrites
fulfureufes & martiales hunfeâées. V oyez les Mém.
fu r les tremblemens de terre par M. Bertrand, dans le
nauU de traités fur CHi/l. nui. Avignon, «b-4°*
D’ailleurs le poids ieul d’une grande couche de
glace peut la faire éclater dans un endroit, que quelque
caufe a rendu plus foible.
Enfin lorfque la neige & la glace fe fondent par-
deffous, ce qui arrive fréquemment, l’eau s écoulant
pour former des fources, le vuide qui en refulte
peut âuffi occafionner des fentes. .
Telles font les trois efpeces principales d irrégularités
& d’accidens , que l’on obferve dans le fécond
genre de.glaciers ou dans les vallons fuperieurs glacés
8c qui y mettent une multitude de variétés, qui
n’ont pas été affez foigneufement diftinguées parles
auteurs. , , _ . .
30. Ces valions fuperieurs glaces , 8c lur-tout les
vallons inférieurs, qui fe trouvent ouverts par quelque
gorge , par quelque pente , par la féparation,
ou l’entre-deux de deux montagnes, donnent lieu
à la formation d’un troifieme genre général de glaciers
, plus variés encore. On peut nommer ceux-
c i plus proprement monts ou .amas^ de glaçons. Pour
repréfenter avec netteté leur variété 8c les caufes
bien fimples de leur formation , entrons dans quelque
détail. Ici encore difparoîtront bien des hypo-
thefes chimériques , qui ont été imaginées pour expliquer
leur origine.
Si le vallon, foit fupérieur, foit inférieur, eft creux
dans fon milieu, environné de montagnes de tous
les côtés , la neige & la glace s’y trouvent encaif-
fées jufques au niveau des gorgés. Jufqües-là elles
11e s ’écoulent point en-dehors, étant fondues, mais
feulement par-deffous, au travers des fiffures du
rocher, qui fert de baffin. Alors fi le fond du vallon
eft fort ombragé par les fommets, il peut fe former
un cône de glace, dans le milieu de la vallée, en
été, parce que le haut fe fond en rond, fuivant
l’ombre & le cours journalier du foleil ; le pied où
l’eau tombe, fe trouve plus large à caufe de l’ombre
des fommets. Ce qui eft fondu s’écoule dans
les cavernes fous les rochers, 8c le cône refte. Souvent
on a vu cette efpece de glacier ou mieux de •
glaçon, dans le milieu de ces vallons élevés , 8c
jtelle a été la caufe de leur formation.
Mais d’autres vallons, fans être ainfi creufés, ou
Tort peu dans leur milieu , ont à quelques-unes de
leurs extrémités, des ouvertures, des gorges, des
'parties qui s’inclinent entre deux montagnes. La
neige accumulée pendant les faifons froides, fe
fond pendant le petit nombre de jours de chaleur ;
l ’eau qui n’eft point encaiffée, s’écoule par les parties
les plus baffes, 8c cette eau fe regele pendant la nuit.
Jl pleut même quelquefois fur les vallons les plus
bas dans les jours les plus chauds, 8c cette eau avec
la glace 8c la neige, fe regele de même pendant les
nuits toujours froides. Voilà de la vraie glace ; & les
amas de glaçons qui en naiffent, fous tant de formes,
mériteraient peut-être feuls le véritable nom de
glaciers. Quoi qu’il en foit, c’eft-là le troifieme genre
général de glaciers s voyons-les efpeces 8c les variétés
qui en naiffent, à raifon de toutes les circonftances
du dégel 8c du reg e l, de l’écoulement de
l ’eau 8c de la fituation des lieux.
D ’abord le dégel fe fait quelquefois à la furface
fupérieure , par la chaleur de l’air ; alors la fuperficie
plane de la glace, & la fuperficie inclinée de la
gorge fe fillonnent, fe tailladent, par l’écoulement
de l’eau, comme les plaines font coupées par le,courant
des rivières , des torrens & des ruiffeaux. Il ne
faut point chercher d’autre myftere dans ces coupures
, fuivies ou interrompues, que préfentent les
glaciers inclinés.
D ’autres fois le dégel fe fait par-deffous plus que
par-deffus, ou par l’effet de quelquefource chaude;
ou par la nature du fçl de roche qui fera calcaire,
ou par quelque couche de minéraux, ou enfin par
l’air inférieur plus chaud qui s’infinue par-deffous.
Delà la naiffance de glaciers, ou dïamas de glaçons
très - variés, dont la formation paroiffoit inexplicable.
Icion verra une coupe prefque verticale de glace,
un efearpement ou mur de glace, parce que la gorge
fe trouve ombragée par des fommets, & qu’elle eft
abrupte. Ce mur de glace defeendra quelquefois fort
bas, même jufqu’à une vallée inférieure 8c profonde.
Ailleurs on voit un arc de voûte magnifique & éclatant,
d’une glace tranfparente, que l’on contemple
avec admiration, d’une vallée inferieure, parce que
le dégel a été confidérable par-deffus pendanr le jour;
la nuit, l’eau a été gelée en tombant, & le milieu de
la gorge s’eft trouvé plus élevé que fes extrémités.
Dans un autre endroit, on admire une multitude
de quilles énormes qui pendent des lieux élevés vers
une vallée inférieure. Ce font comme des ftala&ites
cylindriques, mais en pointe, fous toutes fortes de
formes, félon les circonftances, formées par l’eau
tombante, mais furprife par le froid de la nuit.
Quelquefois ces quilles énormes fe détachent pal*
leur poids, s’arrêtent au-deffous ,fe plantent dans la
neige un peu amollie par la chaleur, s’y fixent; l’eau
qui tombe d’en-haut les atteint, s’y gele, les affermit
8c leur donne une bafe. Delà des cônes, des pyramides
, ou entafles ou arrangés près les uns des
autres, dans les glaciers inférieurs. Mais ici on n’y
voit point, comme M. Ahmann 8c d’autres l’ont
avancé, & d’après eux l’auteur de cet article du
Dicl. raif. des Sciences, &:c. des héxagones, ni rien
de régulier 8c de confiant.
Lorfque la pente du vallon glacé eft douce, il fe.
forme alors jufques au bas un revêtement de glace,
où fe voient des pointes, des dents, des efpeces de
pyramides qui naiffent les unes des inégalités du
roc qui fert d’appui ; les autres, de l’eau qui en s’écoulant
, coupe la neige diverfement ; les troifiemes
enfin, des fragmens de glace ou de neige'détachés
d’en haut, 8c qui s’arrêtent çà 8c là dans la pente.
Les inégalités qui viennent du rocher ou des pierres
éboulées, font en gros permanentes ; mais les autres
font mqables d’une année à l’autre.
Sur les, côtés 8c aux pieds de ces pentes, il fe
forme auffi quelquefois des amas de neiges, pouffées
par le vent 8c arrêtées par un obftacle ; la furface fe
fond 8c fe regele ; delà encore une couche de glace
ou horizontale ou inclinée qui paraît féparée des
monts neigés 8c des vallons glacés.
Tels font les trois genres généraux de glaciers &
les diverfes efpeces qui appartiennent à ces diffèrens
genres. Nous avons cru que cette diftin&ion fervi-
roit à donner une idée plus jufte de la formation
des.uns 8c des autres, de la caufe générale de tous,
8c des caufes particulières de chacun d’eux.
IL Nature de la glace & des eaux qui en viennent*
Cette glace n’eft point effentiellemént différente de
celle qui fe forme dans les plaines par l’eau ou
neige. Elle eft moins tranfparente que celle qui naît
des eaux limpides, parce qu’elle vient de neiges à
demi-fondues. Cependant elle eft plus dure , plus légère,,
plus durable que la glace ordinaire. On a dît
que cela venoit de ce qu’elle contenoit plus de parties
nitreufes. C ’eft une erreur de plus ; car la chy-
mie ne découvre aucune trace de nitre dans aucune
de ces glaces. Elle eft plus lépere, parce qu’ elle eft
formée de neige qui eft plus legere que l’eau ; elle eft
plus dure, parce qu’elle eft de plus vieille date, plus
pénétrée de la matière du froid, 8c moins remplie
d’air élaftique 8c de parties aqueufes : elle eft moins
tranfparente, parce que par l’évaporation confidérable
qu’éprouve toujours la glace , celle-ci eft plus
privée d’aij: 8c d’eau que celle des lieux tempérés. ,