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les romains , les fcythes , les albanois , les germains
, les anciens bretons , les efpagnôls 3 les
gaulois f ont été également plongés dans cette
affreufe fuperftition. On peut en dire ce que
Pline difoit autrefois de la magie, qu’elle avoit
parcouru toute la terré , & que fes habitans,
tout inconnus qu’ils etoient les uns aux autres,
& fi ditferens d’ailleurs d’idées & de fentimeris ,
fe réunirent dans cette pratique màlheureufe -j
tant -il eft vrai qu’ il n’y a prefque point eu de
peuples dans le monde dont la religion n’ ait été
inhumaine^ fanglante.
On ne fait pas qui le premier ofa confeiller
cette barbarie; que ce foit Saturne, comme on
le lit dans le fragment de Sanchoniaton > que cç
foit' Lve-aon, comme Paufanias, femble Finfinuer,
ou quelqu’autres enfin qu’on voudra, il eft toujours
fur que cette horrible idej^ fut accueillie.
Tantus fuit perturbât& mentis & fedibus fuis piilfe
furor , ut' fie dii plaçarentur , quemadmodum ; ne
komincs quidem f&viunt, dit éloquemment St. Au-
guftin , ( De mit. Dei. I. V L cap, . 14 .) ' Telle
étoit l’extravagance de cès infenfes, qu’ils, pen-
foient appaifer"les dieux par des a&es decruauté
que les hommes même' ne fauroient faire dans
leurs plus grands emportemens, a»
On ne peut douter que cette coutume fangui-
naire ne fût établie' chez les tyriens & les phéniciens.
C ’eft de la Phénicie que cet ufage pafifa
dans la Grèce, & de la Grèce les Pélafges la
portèrent en Italie.
On pratiquoit à Rome ces affreux facrifices
dans des occafîons extraordinaires , comme il
paroît par le témoignage de Pline ( L. XXVIII.
c. i . ); Entre plufiëitrs exemples que l’hiftoire
romaine en fournit, un dès plus frappans arriva
dans le cours de la fécondé guerre punique.
Rorae confternée par la défaite de Cannes ,
regarda ce revers comme un figne manifeftë de la
colère des dieux , & ne crut pouvoir mieux les ap-
paifer que par un facrifice humain. Après avoir;
confulte les livres facrés, dit Tite-Live ( L.
XXII. c. 5 7 . ) , on immola les viBimes preferites
en pareil cas. Un gaulois &' -une gauloife , un
grec & une grecque furent enterrés vifs dans
une des places publiques deftinées depuis long^
temps à ce genre de facrifices fi contraires à la.
religion de Numa. Voici l’explication de ce fait
fingulier. Les décemvirs ayant'vu dans les livrés
fibyliins que les gaüldis;- & les grecs dévoient
s’emparer de- la ville , urbem occupaturos 3 on
imagina que pour détourner l’effet de cette pré-
diftiôn , il füibit enterrer vifs dans la place publique
, un homme & uns femme de chacune
de ces deux nations, & leur faire, prendre‘ainfi
pofTeffionde la ville. Toute puérile qu’éfoit cette
interprétation , un très-gfand nombre d’exemples
lion* montre que les principes de l’ait diviria-
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toire admettaient ces fortes d’accommodement
avec la deilinée.
Tite-Live nomme ce barbare facrifice : facrunt
minime romdnum ; cependant il fe répéta fou-
vent dans la fuite- Pline ( L. XXX. c. 1. ) affure
q u e l’ufage d’immoler des viBimes humaines au
nom du public, fubfiftâ jufqu’à ce qu’il fût aboli
par un fenacus-confulte , l’an 857 de Rome 5 mais
on a des preuves qu’il continua dans les facrifices
particuliers de quelques divinités > comme par
.exemple de Bellone. 'Les édits renouvellés- en
différens temps par les empereurs ne purent
mettre un frein à cette fureur fuperflitieulê } &
à l’égard de cette eipèce de facrifice humain prescrit
en conféquence des vers fibyliins, fline
avoue qu’ils fubfiftoient toujours , affure qu’ on
en avoit vu de fon temps des exemples, Etiam
nàfira et as vidit.
Les facrifices humains Turent moins communs
chez les grecs > cependant on en trouve l’ufage
établi dans* quelques contrées ; & le facrifice
d’Iphigénie prouve qu’ ils- furent pratiqués dans
les temps; héroïques , où l’ on fe perluada que
la fille, d’Âgamemnon purifioît par fa. mort,
l’armée des grec$? dès fautes qu’ils avoient commifes
:
Et cafta incefie y .nubendïtempore in ipfo ,
Ho fia eçncideret maBatu mafia parentis
( Lucret. /. I. v. 9 9 , 100. )
»Ceç.te chafte princeflVtremblante aux pieds des
autels, y fut cruellement immolée dafts la fleur
de fon âge, par l’ ordre de fon propre père. »
Les habitans de Pella facrifioient alors un homme
à P élée, & ceux de Ténufe , fi l’on en croit
Paufanias, bffroient tous les ans en facrifice, une
fille vierge au génie d’ un des compagnons d’Ulyffe
qu*ils avoient lapidé.
On peut affurer , fur la parole de Thépphrafte ,
que les arcadi.ens immoloient de fon. temps des
victimes humaines , dans les fêtes nommées lyc&a.
Les viBimes étoient prefque toujours desenfans.
Parmi les inferiptions rapportées de Grèce par
Fourmont, on voit le déflin d’ un bas-relief trouvé
en Arcadie, & qui a un rapport évident à ces
facrifices, x
Carthage , colonie phénicienne, avoit adopté
l’ ufage de facrifief des viBimes humaines, & qU§
ne le conferva que trop long-temps. Platon , SW
pho.de & Diodore de Sicile lé déclarent en termes
formels. N’auroit - il pas mieux valu .pour les
'carthaginois , dit Plutarque ( De fuperftidone. )
avoir Critias ou Diagoras pour légiflateurs, que
de faire à Saturne lès facrifices de leurs propres
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en fa n.5 .j par lefquels ils prétendoient l’honorer ? ]
La fuperftition , continue - 1 - il , armoit le père,
centre fon fils, & lui mettoit en main le Cou- |
teau dont il devoit l’égorgeri Ceux -qui étoient
fans enfans , achetoient d’une mère pauvre la
viBime du facrifice } la mère de l’enfant qu’ on
immoloit 'devoit foutenir la vue d’un auffi affreux
fpedacle fans verfer de larmes 5 fi la douleur -
lui en arrachoit, elle perdoit le prix dont on'
étoit convenu & l’enfant ifen etoit pas plus
dgargrié. Pendant ce temps tout retentilfoit du
bruit des inftrumens & dés tambours. Or craignait
que les lamentations de ces viBimes ne
fuffent entendues.
Gélon , roi dé Syracufe, après la défaite des
carthaginois , en Sicile, ne leur accorda la paix
qu’ à condition qu’ ils renonceroient à ces facri-
fices-odieux. C’eft-là , fans doute , le plus beau
traité de paix dont l’hiftoire ait pqrlé.^ Choie,
admirable, dit Montefquieu j après avoir défait;
trois cents mille carthaginois , il n’exigeoit qu’une
condition qui n’étoit utile, qu’à eux , ou plutôt
11 ftipuloit pour le genre humain.
Remarquons cependant , que cet article, dû
traité ne pouvoir regarder que les carthaginois
établis dans l’ile & "maîtres dé la partie occidentale.,
du pays ; • car les • facrifices humains fub-
Éftoient toujours à Çarthàge. Comme ils faifoient
partie de la religion phéniciènne/fes loix .romaine's
qurles proferivirent long-temps' après, ne purent
les abolir, entièrement. En vain Tibère fit périr
dans les fupplices les miniftres inhumains de ces
barbaresj. cérémonies,; • Saturne continua d’avoir
des adorateurs en Afrique-; & tant qu’il en e u t ,
le fang. des hqmmes. coula fecrettement fur fes
autels.
' Enfin xles témoigfiages pofîtifs de Céfar, de-
Plitie, de Tacite & de plüfieurs autres écrivains*;
'cxaéts ne permettent pas' de douter que les ger-
- mains 8e fes gaulois n’ aient immolé*'dès viBimes
humaines, nGn-feulejrnènt dans des facrifices publics
, mais-j encore dans ceux' qui s’offroient pour
la guévifon des particuliers. C’eff inutilement
que nous voudrions laver nos ancêtres d’un crime;
dojit trop de monumens s’accordent^ les charger,
La népëffité de^ées facrifices?étoit un dès dogmes
établis par les. dmides , fondés fur ce principe ,
^u’on ne pouvoit fatisfaire les dieux que par un
échangé , & eue la vie d’un homme étoit - le
feul prix capable de racheter celle s d’un autre.
Dans les facrifices publics, au défaut des malfaiteurs
, on immoloitles innocens ; dans les" façri-
fices ; particuliers, on égorge'oit fouvent des
hommes qui volontairement s’étoient dévoués
à ce genre de .mort.
H eft vrai que les anciens ouvrirent enfin-les
yeux fur l’inhumanité, de pareils facrifices. Un
oracle, dit Plutarque , ayant ordonné aux lacé-,
démohietfs d'immoler une vierge, & le fort
étant tombé fur une jeune fille nommée Ilélene ,•
un aigle enleva le couteau, facré, & le poft.
fur la tête d’une geniffe qui. fut facrifiée à fa
place.
Plutarque rapporte encore que Pélopidas,
chef des thébains, ayant été averti eri fongé,
la veille d’une bataille contre les fpartiates,
d’immoler une vierge blonde aux mânes des
filles de Scédafüs, . qui avoient été violées &
mafracuées dans ce même lieu; ce commandement
lui parut cruel & barbare; la plupart des
officiers de l’armée en jugèrent, de meme, &
foutinre.nt qu’une pareille: obligation ne pouvoir
être agréable au père des dieux & des hommes,
& que s’il y avoit des intelligences qui priffent
plaifir à l’ effufion du fang humain, c’étoient des
efprits malins qui ne me rit oient aucun égard.
Une, jeune cavale rouffe s'étant alors offerte à eux,
le dévin Tbéocfire décida que c’ étoit là l’hoftie
que les dieux demandoient. T: lie fut immolée
& le facrifice fut fuivi d’unë viétoire- complétée.”''
".
En ' Egyptê , Amafis ordonna qu’au lieu
d’hommes on offrît feulement.des figures humaines.
Dans f ille de Cypre , Dyphilus fubftitua
dei facrificés. de boeufs aux facrifices d’hommes.
Hercule étant erntalie, ' entendant parler de
I oracle d’Apollon c qui difoit-; ,
xai' tco TrccTfi TsfurtïTt çHtoi. fit entendre aa
peuple 8c aux prêtres-, que les termes équivoques
de l’oracle ne dévoient pas les abufer, que
*cls défignôient des têtes'de "cire connues depuis
long-temps fous le nom a àfiUd3 & (paroi, des flambeaux
qui devinrent enfuite un des principaux
ornemens de la fête des làturnales. -
V î C T O I R E . Les grecs perfonnifièrent la
viBcire 3 •& en firent une divinité qu’ils appelèrent
Ni*»;. Vairon la donné pour fille du ciel
& de la terre ; mais Héfiode avoit'eu une idée
plus iiîgénieufe, en la faifant fille du Styx
de Pallante. Tous les peuples lui confacrèrent
des temples , des fiâmes & des antels.
1 Les athéniens érjgèoent dans leur capitale un
temple à la victoire., & y placèrent fa fiacue fans
ailes', afin quelle ne put s’envoler hors de leurs
mursy . ainfi^ que lès lacé&ërrioniens avoient peint
Mars enchaîné , afin, dit Paufanias,-qu'il demeurât.
toujours avec eux. On lit dans l’anthologie
deux vers qui font écrits fur une ftatue _de°Ia
viBoire , dont les aîles furent brûlées par un coup
de foudre:. Voici lfVfens de ces vers: « Rome
reine: du monde, ta gloire ne fauroit périr
I puifqué' la vriâfoW'n’ayant plus d’ailes, ne peut
! plus te quitter. »