
M. Cartheufer a été de claffer tous les médica-
mens d’après leur nature chimique; que Ton plan
a été autfi bien rempli qu’il pouvoit l ’être relativement
à l ’état aduei de nos connoiffances. Malgré
les obfervations qu’on s’èft permis de faire'ici
fur plufieurs divifions , cet ouvrage eft un des plus
clairs & des plus méthodiques qu’il ÿ ait fur
cette partie importante de l ’art de guérir ; & les
avantages que les étudians en Médecine en ont
retirés , dépendent fans doute de la méthode chimique
que ce célèbre auteur a le premier fuiviè.
I l feroit certainement pofïïble d’établir aujourd’hui
une divifion chimique des médicamens plus pré-
cife & plus exa&e que celle qui vient d’être ex-
pofée ; mais la diftance qu’il y auroit encore entre
ce que les lumières actuelles de la fcience four-
niroient, & ce qu’elles pourroient fournir lorfqu’on
fe fera occupé convenablement de cet objet, doit
s’oppofer à l’établiffement aduel de cette méthode,
dans laquelle on n’ajouteroit que très-peu de chofe
au travail de M. Cartheufer.
A r t i c l e I I I.;
D e Z’adion générale des médicamens , relative
aux organes auxquels on les applique.
Après avoir confidéré les médicamens en eux-
mêmes , après avoir fait connoître quelle eft leur
manière générale d’agir , foie par leurs qualités
phyfiques , foit par leurs propriétés chimiques , il
eft néceffaire d’examiner également quelles font
les modifications que l ’imprefïion de copropriétés
éprouve de la part des organes fur lefquels
elles agiffent.
On a déjà fait obferver que les propriétés phyfiques
& chimiques des médicamens font fubor-
données a la fenfibilité & à l’irritabilité des individus
auxquels on les adminiftre. En infîftant fur
cette vérité, & en interrogeant l ’expérience , on
reconnoît que non feulement Vaction médicamen-
teufe eft relative à la fenfibilité diverfe des fiijets ,
mais encore qu’elle eft modifiée & altérée fuivant
la nature & le feus particulier des organes diffé-
rens fur lefquels elle fe paffe immédiatement. Il
y a long - temps que les médecins ont obfervé ,
pour la première fois , que le même remède ,
appliqué fur la peau recouverte d’épiderme, reçu
dans l ’eftomac , ou introduit dans le tiffu cellulaire,
produifoit des effets très-différens. Cela eft fur-tout
trés-fenfible pour les fubftances animales vénéneu-
fe s , qui ne produifent des effets dangereux que
lorfqu’elles font portées immédiatement dans les
cellules du tiffu muqueux , & qu’elles peuvent être
'•abforbées par les bouches vafculaires qui s’ouvrent de
toutes parts dans ces cellules. Tels font les virus
hydrophobique, variolique ; le venin de la vipère ,
&c. Les acides & les alkalis étendus dans l ’eau
font appliqués fans danger fur la peau, ils pénètrent
fans inconvénient dans l ’eftomac 5c les inteftins
; mais fi on en ioje.de une petite quantité
dans le tiffu cellulaire , & particulièrement dans
les vaiffeaux fanguins , ils donnent bientôt naif-
fance à des maux très-violens , & même à la mort.
Le fuc âcre des plantes, & en particulier celui de
l ’hellébore noir, introduit dans le tiffu cellulaire
avec^ les flèches , rend les bleffures mortelles ;
tandis que la décodion & l’extrait de ce végétal,
reçus dans l ’eftomac, n’y occafionnent qu’un effet
purgatif, s’ils (font bien adminiftrés.
Pour répandre quelque lumière fur la caufe de
ce ^phénomène important, il éft néccffaire de jeter
un coup-d’oeil rapide fur la ftrudure du corps
humain.
} L homme eft un compofé de plufieurs claffes
d organes généraux , diverfement tiffus entre eux ,
& que lômpeut divifér.en fîx ordres; favoir, les
os , le tiffu cellulaire, les vaiffeaux , les nerfs , les
mufcles, & les vifeères.
.Les organes du premier ordre, ou les os , font
des corps durs, folides , qui font la bafe: & la charpente
du c o rp s q u i foutiennent toutes les parties
molles, qui donnent la forme générale : l ’organe
offeux a d’abord été une membrane molle qui s’eft
peu a peu durcie , en recevant dans fes pores une
matière fa-line que le fang y apporte continuellement
, & que les chimiftes modernes ont reconnue
pour une combinaifon d’acidevphofphorique &
de chaux. Les médicamens n’agiffent :que peu fur
ce tiffu ; ce n’eft qu’après avoir porté leur aétion
fur des organes plus-fenfible^. & plus perméables
qu’ils font une imprefiion fur les os. Il en eft
cependant quelques-uns. dont les effets fur le tiffu
offeux font allez marqués au bout de quelque
temps ; telle eft la garance, dont la partie co -
lorante teint affez promptement les couches extérieures
des os , d’après les expériences de M. Duhamel.
I l eft vraifemblable que l ’obfervatiôn
fera reconnoitre quelque jour la même action
dans plufieurs autres fubftances medicamenteufes.
Le fécond ordre comprend la fubftance molle ,
pulpeufe , que les phyfîologiftes connoiffent fous
le nom de tiffu cellulaire , muqueux , cribleux,
& c. Cet organe , qui eft le premier fondement
de l’économie animale, eft formé de petites plaques
ductiles 5 tranfparentes, qui fe tiennent toutes,
& qui donnent naiffance à des cavités véficulaires
plus ou moins ouvertes , larges, refferrées , ap-
platies , alongées, dont la communication intime,
dans toute l ’étendue du corps, eft prouvée par un
grand nombre de faits. Il eft par lui-même immobile
& infenfible ; c’eft une gelée demi - concrète
, qui fait la bafe de toutes les autres parties
organiques , dans laquelle les vifeères font
placés & comme moulés ; qui en prend"la forme,
en fuit les contours, en accompagne conftammenç
les replis les plus profonds ; qui enfin établit des
communications immédiates entre toute? les régions
du corps. L ’aoatomifte le rencontre par-tout ;
il eft obligé de le détruire , de le déchirer, pour
ifoler & reconnoître la forme & la pôfition des
organes que ce tiffu environne & tient attachés les(
uns aux autres. Il eft fur-tout fenfible dans les inter
ftices que laiffent entre eux les gros vaiffeaux ,
& il y forme des traînées étendues , où fes lamés
font plus écartées , fes cellules plus grandes. Là ,
les humeurs , forties de leurs canaux , féjournent ,
coulent peu à peu d’une région dans une autre ,
& donnent naiffancç, aux métaftafès ; les vapeurs
y font aufli reçues , elles y circulent lentement ,
elles s’y condenfent, & s’appliquent, après leur épaif-
fiffement, aux lames dû tiffu. T e l eft le fimple raé-
canifme de la nutrition, dont le principal organe
eft celui qui nous occupe. Le tiffu cellulaire, inerte
par lui-même , eft donc la partie végétante, pour
ainfi dire, du corps humain ; il eft paflîf & fuit
les altérations des autres parties qu’il enveloppe;
foutenant un nombre infini de petits vaiffeaux fàn-
guins & lymphatiques , fes cellules font fans celle
abreuvées des fluides vaporeux que verfent les
bouches de ces vaiffeaux , &' qui font en partie
repompés par d’autres ouvertures vafculaires dont
Y aclion-tYt l’inverfe de la première : c’eft fur-tout
cette dernière obfervation anatomique qui inté-
reffe la théorie de Y action des médicamens, puif-
qu’e-llé nous apprend comment ces corps, injectés
dans le tiffu cellulaire, produifent des effets fi
fenfibles & fouvent fi dangereux. I l eft aufli très-
néceffaire de rappeler ici que ce tiffu forme dans
le corps humain plufieurs grands lacs ou ballons,
fuivant l ’expreflion du célébré Bordeu , qui font
pofés les uns fur les autres : le premier occupe
l ’intérieur & l ’extérieur de la tête ; i l fe termine
en une pointe qui defeend fUr le cou le long des
gros vaiffeaux , & qui fe perd dans le haut de la
poitrine ; le fécond , qui commence fous les premières
côtes , s’appuie fur le diaphragme; il envoie
plufieurs prolongemèns- qui communiquent
avec le ballon fupérieur ou cervical en haut, avec
les extrémités fupérieures latéralement, & avec le
bas-ventre inférieurement. Le troifième fac ou
ballon eft placé dans le bas ventre. C’eft le plus
irrégulier, le plus lâche , le plus perméable ; il
fuit les circonvolutions des inteftins ; fes appendices
enveloppent & foutiennent les vifeères glanduleux
placés dans l ’abdomen. Il s’ouvre par en
haut dans l’un des prolongemens du ballon tho-
rachiqüe , & de fon extrémité partent plufieurs
traînées qui defeendent en devant & en . arrière dans
les extrémités- inférieures. Tout cet appareil cellulaire
femble être partagé en deux portions latérales
par une efpèce de raphé intérieur, qui forme
la faux dans le cerveau, le médiaftin dans la poitrine,
le méfentère dans le ventre ; cette féparation fait
que chaque ballon eft double, & que la communication
eft beaucoup plus facile dans les différentes
régions de chaque côté du corps, que de
Tun de ces derniers à l ’autre. T e l eft l’arrano-e-
ment de cette* toile, muqueufe , fujette à urT fi
grand nombre de variations dans les individus vi-
vans , & qu’il eft aufli important de bien connoître '
pour apprécier convenablement Y action des médicamens
, qu’il l ’eft pour concevoir le fiége des
maladies , & .les changemens qu’elles éprouvent
continuellement.
Le .troifième ordre des organes généraux qui
compofent le corps humain, renferme les canaux''
membraneux dans lefquels circulent le fang & la
lymphe. Les artères, les veines , & les vaiffeaux
lymphatiques compofent cet ordre. Tous ces canaux,
qui partent de plufieurs gros troncs , fe ramifient
& s’implantent dans le tiffu cellulaire qui
les foutient ; iis fortent du coeur, qui en eft le
principe , & s’en éloignent eh fe fùbdivifant à la
manière dès branches d’un arbre. Iis ont tous une
communication immédiate entre eux ; de -forte que
l ’art anatomique peut ifoler & enlever cet organe,
vafculaire, en détrujfant les plaques du tiffu cellulaire
qui le lie & le retient en place. Le nombre
des dernières ramifications de ces vaiffeaux eft
infini ; le mouvement du fang, qui y eft fort ralenti,
eft favorifé par des anaftomofes fréquentes. La
plus grande partie des extrémités des petits vaif-
leaux artériels s’ouvre dans l e tiffu cellulaire, &
y verfe un fluide vaporeux , dont .le réfidu eft repris
& abforbé par les bouches veineufes qui y
font également répandues. T elle eft la manière
dont la nature a établi une communication immédiate
entre les vaiffeaux & le tiffu muqueux. Cette
ftruéture démontre que les médicamens , introduits.
dans le tiffu cellulaire , peuvent parvenir
dans les vaiffeaux par l ’abforption des veines ,
& que ceux qui font très-atténués & très-volatils ,
peuvent être verfés dans les véficules du tiffu muqueux
par les extrémités artérielles qui s’y épa-
nôuiffent.
L ’organe de la fenfibilité appartient au^qua-^
. trième ordre. Le cerveau, le cervelet, la moelle
alongée, la moelle épinière , & les cordons nerveux
qui partent de ces différens foyers , & qui
vont s’épanouir dans toutes les parties, cohftituent
cet important organe. S î la ftru&ure intérieure
& la nature de la pulpe .nerveufe ne font point
connues , i l eft au moins très - démontré que cette
pulpe eft la feule fubftance qui foit fenfible , que
c’eft elle qui , enveloppée dans fon trajet de membranes
denfes, dont elle eft abandonnée à fes extrémités
, communique , par- un ébranlement de
parties plutôt que par le cours d’un fluide, lafen-
làtion qui fait naître le plaifir ou la douleur. Quelque
étendues & quelque heureufes que foient les
recherches de plufieurs phyficiens modernes fur le
tiffu intime du Cordon nerveux ( t ) , il eft fort
douteux qu’on parvienne à acquérir plus'de con-
noiffances fur les fondions de cet organe. I l fuffit,
( 1 ) Voyez les recherches de MM Spallanzani & Fontana
fur les nerfs.