
Eripit fenfîis mihi : nam Jîmiil te ,
Lejbia , ajpexi , riihil eft fixper mi
Lingua fed torpet ; tenuis fub artus
Flamma dimanat; fonitu fuoptï
Tintinânt auras j geminâ teguntur luminauocle«■
* Heureux qui près de toi, pour toi feule foupire,.
» Qui jouic du- pJaifir de t’entendre parler ,
» Qui te voit quelquefois doucement lui fourire >
» Les Dieux dans fon bonheur peuvent-ils l’égaler?
» Je fens de veine en veine une fubite flamme,
» Courir par tout mon corps lî-tô t que je te vois :
» Et dans les doux tranfports où s’égare mon ame
» Je ne faurois trouver de langue ni de voix;
;» Un nuage confus fe répand fur ma vue,
•> Je n’entends plus : je tombe en de douces langueurs*
» Et pâle , fans haleine , interdite, éperdue,
»» Un friflon me farfît, je tombe , je me meurs,.
Boileau , traité du fublime*
M. Geoffroy a auffi très-bierr peint, dans fon
poëme de l ’hygiène, les effets de l ’amour exceffif
8c déréglé.
Qiùppe modum n:Ji feryet amov mens hceret amatce
Sæpe nimis defixa rei , illam dépérit unam ,
Banc videt, hanc fin tit, femperque in cordé volutat.
Mine eadem cerebri femper concujfa tremifeit
Pars j finit ad fibras motu nervofus eafdem
Continuo fuccus, ju'gi quas impete pulfat
JDùm partes alioe vitale rori carentes
Ig.na.vo minium torpeht langore folutee_
Mine jacet exhauftis opprejfus viribus ceger r
Déficit aut languet maciatis funclio quoeque
Vifccribus , totum tabejcit corpus & omnes
Ignibus occultis. fiebris depafeitur artus►
Vers 2.82 & fuîv.
Dans cet état, plu fleurs fe font donnés la mort ainfî
que le rapporte A ma tus le portugais ( cent. 3 , Cur. 46, 8ccent. 5 , cur. 84.) Ceux qui vivent font dévorés
par la jaioufîe , par les foupçons ; & dans ce temps,
dit Lucrèce (liv. 4 , v. 11 \6), on fe ruine , on contracte
des dettes , on oublie fes devoirs y & l ’on
perd fa réputation.
Labitur interea res & vadhnonia fiunt ; j
Zanguent officia , atque oegrotat fama vacïllans.
Cette paffion change tellement le caraétère de-
ceux qui en font affeCtés, même de ceux qui étoient
doués, du naturel le plus doux , qu’il n’ eft plus
pofllble de les reconnoître 3 enfin on peut dire
d’eux ce que dit Parmenon de fon maître.
« Grands Dieux, quelle terrible maladie f eft-
» il poflîble que lamour transforme ainfî les
» hommes... & les mette dans un état qui les rend
» tout à fait méconnoiffables ? Perfonne n’a été fî
» facile à tromper ; perfonne n’a été plus févère.
»■ dans fes moeurs, &. plus chafte ».
Dix boni ! quid hoc morbi eji ? adeon hommes immutarier
E x amure^y ut non cognofcas eumdem effe ? hoc nemofuit
Minus ineptus nia gis feverus quifquam nec. ma gis con-
tinens.
Terenc. in Eunuclio. Act.- 2, feen. u
L ’amour produit toutes les infirmités du cerveau
, & caule la mort, comme le poifon le
plus violent. Je vais rapporter quelques faits en
faveur des médecins. , afin qu’ils guifient en con-
noître les effets ,. & qu’ils eonfèillent de l'éviter..
Nicolas Tulpius rapporte ( liv. 1 , chap. 22 )
qu’un jeune anglois éperdument amoureux d’une
demoifelle qu’il défiroit époufer , fut tellement
frappé du refus qu’on fit de là lui-donner, qu’il,
devint tout à coup roide comme un bâton , affis-
fur fon fiége, comme s’il étoit garrotté & gelé
& il demeura dans cette attitude pendant un jour
entier, ayant les yeux ouverts. On auroit juré
voir plutôt une ftatue qu’un homme ; tous fes
membres étoient roides & immobiles.. Enfin ,,
comme on lui eut crié à haute voix que. fes
affaires étoient en bon état , & qu’on lui accôr—
doit la perfonne qu’il aimoit, pourvu qu’il recouvrât
fes fens 3. i l £e leva aufïî-tôt , & comme:
s’il fortoit d’un, profond fommeil , il revint à'
lui ; les liens qui fembloient le retenir dans
une longue catalepfie ayant été rompus fur le
champ-
Marcel Donat ( liv. 3. , chap. 13 ) "dk au’un-
marchand de laine de Mautoue , qui étoit marié,,
vivoit depuis, long-temps avec une maîtreffe; que-
l’évêque leur ayant défendu de vivre déformais-
dans le concubinage , le tnarchand fe rendit un;
foir chez fon amie , qui, auffi-lôt qu’elle l ’aperçut
, l’accabla d’injures , & lui ordonna de fe-
retirer fur le champ : mais celui-ci- fe mit dans
une colère violente , la traita de cruelle & de
perfide j & ayant joint les mains & levé les yeux,
au ciel il tomba mort fur le champ.
On l i t , dans les éphémérides d’Allemagne, ott
Mifcelldneti cur lofa, âecad. 3 , ann..9 g . 253 y
qu’un foldat , amoureux d’une fille , lui> avoit
donné un rendez-vous pendant la nuit. Comme
elle tardait, il fe lève , fe hâte , la rencontre
& l ’embraffant avec fureur r il ■ jette un cri de
douleur , & expire. On trouva dans fon cadavre le:
fang. qui avoit tranfudé a travers le coeur , & beaucoup
de fang caillé. entre ce vifcèrei & le péricarde.
Borifinius, dans fon hiftoire de Hongrie, liv. 3
décade 3 ? rapporte que le comte Euriale devint
.amoureuc, â Sienne , d’une demoifelle appelée ,
dans cette v ille , la Vénus par excellence: cette
demoifelle ne tarda pas à répondre â l ’amour de
•ce jeune homme, qui étoit un des plus beaux hommes
de la cour de l ’emper,eur Sigifmond premier, roi de
Bohème. Euriale fut obligé de quitter cette ville :
dans les derniers adieux , cette demoifelle mourut
iiibitement du chagrin de fe voir féparée de fou
amant'5 ce qui fit tomber le comte dans une fi
grande mélancolie', qu’on ne le vit jamais rire
pendant le reffe de fa vie. On fait l’aventure de
ce jeune homme, qui, étant épris d’une violente
pafifion pour madèmoifélle Gauflin, vint un jour-
expirer à fes pieds, de plaifîr , d’amour, & de
fureur. ; . ,, .
J’ai ouvert le corps d’une demoifelle qui s’étoit
pendue, parce que fon amant avoit refufé de l ’é—
poufer j j’ai examiné toutes les parties« avec la plus
grande attention , & je. n’ai trouvé que l’ovaire droit
dans .lequel il y avoit quelques déchirures , pa-
xeilles à celles que l ’on auroit faites en ouvrant
cette partie avec la main 3 elles étoient encore
fanglantes , & la tunique extérieure de l’ovaire
étoit féparée d’une manière fenfible de fon corps.
Les conftitutions délicates , dans les pays méridionaux,
tombent dans des fièvres lentes & phthi-
fiques, dans des infirmités qui ont pour caufes
l ’atrabile , des skirrhes , des cancers occultes de la
matrice & des mamelles.
L ’amour fit tant d’impreffion fur un jeune homme
-qui étoit aflïs à table auprès d’une veuve aimable,
que le fang lui fortit avec impétuofité d’une des
veines du front.
Il faudroit copier quantité d’endroits, tant de
l ’hiftoire de la Médecine que de l ’hiftoire des
hommes, fi on vouloit prouver, par de. nom-,
breufes obfervations, que cette paffion peut caufer
toutes les maladies du fyftême des nerfs & des artères.
Il eft certain qu’elle a fon fiége dans cette
langueur 8c foibleffe d’efprit. dans les perfbnnes
d’un naturel compatiffant & d’un efprit délicat.
C e ft l ’obfer'vation de Bacon de Verulam (fermo-
nés fideles C X , de amore) ■ , que les grands
capitaines de l’antiquité & ceux de notre temps
n’ont jamais été attaqués de la fureur de celte
paffion.
Pour fe perfuader de quelques-uns des défordres
produits dans le jugement par cette paffion , il
n’y a qu’à lire le chapitre cité plus haut de Mar-
cellus Donatus ; on verra qu’il y a eu des hommes
qui ont aimé des ilatues , des arbres : mais ce
qui paroîtra incroyable , c’eft qu’un aveugle ait.
été fufceptible de cette paffion , & qu’il foit devenu
maniaque , parce qu’on lui refufa en mariage
la perfonne qu’il aimoit. Je ne croirois pas
ce fait , s’il n’étoit attèfté par Lanrpni , médecin
italien , dont toutes les obfervations font marquées
au fceau de la vérité , & qui a configné celle-
ci dans les Mifcellanea curiofa, décad. 3 , anno
9 y P- 3 1«
L a cure de cette paffion mérite une attention
particulière j elle eft fi commune , 8c encore, fi
peu connue, qu’elle doit entrer dans la confédération
du médecin praticien ; il doit examiner avec
attention le degré de paffion , l ’état du malade ,
le défoidre produit dans l ’efpric par l’altération des
fluides & des folides du corps.
Dans le principe , lorfque cette paffion ne caufe
ni infomnies, ni douleurs , ni poids à la bouche
de l’eftomac (au cardia) , le meilleur remède eft,
rabfence. Il faut voyager fur mer , changer d’air ,
varier les objets, & fur-tout prendre 1 émétique
fi l ’on éprouve des naufées 8c fi l ’on fait de
mauvaifes digeftions 3 par ce moyen , l’eftomac
acquiert une plus grande clafticité 3 le.diaphragme,
& les autres vifeeres , ayant plus de ton, changent
cette idée arrioureufe du fenforium commune.
Celui qui ne pourra pas employeri ces moyens ,
fuivra Les confeiis que donne Bacon de Veril-
lam. Dans les troubles de l ’efprit, ce grand phi-
lofohe , l ’Ariftote de fon temps , dit que nous
devons comferver avec foin, pour vivre , la tranquillité,
la férénité de l ’efprit, & le contentement
: mais que nous devons chercher à changer
. de fitualion quand 'la trifteffe , l’in q u ié tu d eoù
quelque paffion violente de l ’a me nous fait vivre
avec anxiété & péniblement; qu’il faut alors nous
occuper , nous exciter au travail, nous fatiguer
le corps , & produire en nous d’autres pallions modérées
pour changer ,ces idées défagréables , 8c
nous fortifier par toutes fortes de mouvemens.
Mais ces remèdes ne fu£fifent pas lorfque-l’amant
eft devenu mélancolique 3 qu’i l eft dominé
par une fièvre lente , ou par l’humeur atrabilaire 3
il eft alors néceffaire de traiter le corps par des
médicamens , parce que les humeurs mélancoliques
étant déjà âcres Se putrides , excitent les
idées analogues à la paffion de l ’amour, les foup-
çons, la jaioufîe , & le défefpoir. Dans ce cas , il
faut plonger fubitement dans l ’eau froide ces phré-
nétiques , fuivant le confeil de Vanhelmont, quoique
ce remède n’ait qu’un effet momentané. 11 eft
vrai que lorfqu’on les jette dans l’eau , la crainte
de la mort , ainfî que les mauvais traitemens ,
font changer cette idée amoureufe , & le fenforium
commune eft. guéri : .mais le corps ne l’ eft
pas , l ’humeur atrabilaire refte, & ne tarde pas à
produire les mêmes effets.
On guérit l ’efprit en excitant des paffions contraires
à celles qui dominent. Si on pouvoit produire
la haîne de l’objet aimé , ccnferver cette
idée par mille moyens différens, & la fortifier ,
on éteindroit celle de l ’amour , en traitant en
même temps les effets morbifiques qu’elle auroit
produits. Le s changement de climat , & la nourriture
des fruits d’été , fous la dire&ion d’un favanc
8c habile médecin opéreront la guérifon des per-
fonnes qui ne pourront faire de longs voyages.
C’ eft dans cette claffe de paffions que.nous devons L 1 z