
tra&er, comme mille exemples en offrent la preuve,
combien cet effet ne devoit-il pas être plus prompt
à furvenir, fi des circonflances particulières & très-
propres à favorifer fa produétion y concouroient ?
Et c’eft ce que l ’on objedtoit à M. Mefmer. En
annonçant ces crifes comme extrêmement avanta-
geufes, comme un moyen unique & sûr de gué-
rifon, les femmes qui fuivoient les traitemens ne
défîroient-elles pas de les éprouver ? En les repré-
fentant telles qu'elles étoient, c’eft-à-dire, impré’
vues 8c accompagnées de violens accidens , fur ief-
quels les grands avantages qu’elles dévoient avoir
étoient propres à faire paffer, n’étoit-ce pas faire
naître dans l’efprit des malades un défïr mêlé de
crainte , & leur infpirer ainfî un fentiment qui les
troubloit d’autant plus qu’il réfultoit, pour ainfi
dire, de deux impreflïons qui fecombattoient? Mais
agitées ainfi par deux fentimens oppofés, frappées
continuellement du fpe&aclede l’objet qui les occu-
p o i t , étoit-il étonnant de leur voir éprouver de
fortes crifes?
Ces effets d’ailleurs pouvoient encore être fâ-
vorifés , aidés par d’autres impreflïons qui les fe*
condoient. Les traitemens fe faifant en public, le
magnétifme animal étant devenu une mode, une
affaire de bon ton , un intérêt enfin cher & précieux
aux gens du monde , n*étoit-on pas en droit
de foupçonner qu’une ambition fecrète, un défïr
caché de fixer les regards du public, de l ’occuper
quelques momens , de fe faire diftinguer enfin ,
infpiroit quelques - unes des perfonnes d’un rang
inférieur qui le rendoient aux traitemens ? Qui ne
connoît pas ce qu’on a à redouter des intrigues
d’une grande ville , & à Paris eft - il aucun
moyen que l’on regarde comme inutile de faire
parler de foi ? C ’éloit là une des caufes que Sauvages
aflignoit aux maladies feintes, dans un temps
où les vapeurs étant devenues à la mode, &
paflant pour être l ’apanage du beau fexe & des
femmes d’un ordre diftingué, un grand nombre de
perfonnes paroifloient les feindre, parce que l ’on
croyoit qu elles eara&érifoient une tournure d?ef-
prit & une conftitution plus délicates.
Mais i l étoit encore une caufe acceffoire des
crifes convulfives , réputées magnétiques, à laquelle
on étoit tenté d’affigner un tout autre caractère.
Quels étoient les aéteurs du magnétifme animal ?
De jeunes médecins, ou des hommes au moins
dans la force de l’âge pour l ’ordinaire. Quelles
étoient les perfonnes malades ? Des femmes en
plus grande partie , des perfonnes du fexe. Mais
que l’on réfléchiffe que dans la manière dont l’opération
du magnétifme devoit fo conduire, les
médecins qui magnétifoient avoient les mains appliquées
for Pépigaftre des malades; que cette
fituation exigeoit un rapprochement très-intime ,
dans lequel, pour ainfi dire, les corps fetouchoient
& les haleines fe confbndoient ainfî que les regards,
fur - tout fi l ’on défîroit que l ’opération fût plus
prompte & plus sûre, & l ’on vçrra fi on n’avoit pas
lieu de penfer que l ’une des caùfes que Hecquet afïï-
gnoit aux convulfions de Saint-Médard , qu’il croyoit
hyftériques, donnoit lieu aufli aux crifes du mef-
mérifme. On connoiffoit plufieurs témoins de ces
traitemens , auxquels cette conjecture ne paroiffoit
que trop fondée pour les intérêts même du magnétifme
, que cependant ils croyoient devoir adopter
& défendre.
On n’ofoit toutefois foupçonner dans la production
de ces crifes une autre caufe encore plus
cachée , mais qui auroit été févèrement puniflable,
telle qu’une connivence , ou du moins l ’emploi
de perfonnes dreffées aux convulfions, & que l ’on
auroit employées, foit pour en faire le fujet d’ef-
fais particuliers , & pour fixer ainfi les regards ,
foit pour difpofer les malades aux crifes par le
fpeétacle de la convulfion. I l eût fallu , â la vérité,
comme l’a dit un homme diftingué , recon-
noître un degré d’habileté extrême dans la manière
au moins dont cette manoeuvre auroit été •
exécutée. Ce n’auroit point été cependant une
raifon abfolue de la croire impoflïble. Combien
n’a-t-on pas vu d'exemples- de cette fourberie employée
avec une adrefle furprenante, dans les convulfions
des fanatiques de toutes les religions ?
Mais c’étoit par la hardieffe même d’une pareille
manoeuvre qu’il répugnoit de la fuppofer. Car
qu’auroit-ce donc été alors que le magnétifme animal
? L ’impofture la plus effrontée, la manoeuvre
la plus hardie que l ’on eût jamais-employée. Tant
que des fcènes de ce genre n’ont amufé ou trompé
que des gens du peuple, ou une claffe d’individus
ordinaires , on a pu les trouver coupables, & cependant
les tolérer. Mais ici c’étoit un ordre diftingué
de malades, de perfonnes, & de citoyens ,
qui compofoit les traitemens. C’eût donc été des
hommes de marque , qui facrifioient une partie de
leur fortune pour une découverte préfentée comme
utile à l ’humanité , que l ’on auroit joués ; c’eût
été des femmes du premier rang qui auroient été
dupes de leur confiance, on pourroit même dire-
facrifiées dans leur fànté? Car ces crifes répétées
que l’on voyoit furvenir aux traitemens, n’étoient
pas fans danger. Et comment, violentes comme
elles étoient, ayant fouvent deux ou trois heure 5»
de durée , fe terminant par des accidens alarmans,
tels que des crachemens de fang, auroient - elles
pu être exemptes de fuites fâcheufes ? On affuroit
qu’après les avoir éprouvées, les femmes s’en trou-
voient mieux. Mais c’étoit fur le moment, & ce
bien-être momentané n’étoit ni avantageux ni du-,
rable. La crife ranimoit bien à l ’inftant la machine
langui {Tante ; c’étoit le coup de fouet donné qui
relevoit les forces, & produifoit quelques efforts
& dans les langueurs de l ’état nerveux, ces fe-
couffes ont pour effet un pareil inftant de bien-
être. Mais n’y avoit-il pas des fuites fâcheufes à
en craindre, & ne devoient-elles pas aggraver le
mal, fi elles ne lç diflïpoient pas .entièrement ?
Au refte, ses mauvais effets ne pouvoient fc
manifefter qu’ à la longue j l’ état d’enthoufîafme ,
en foutenant la machine , cachoit leur production.
De là le retour des perfonnes magnétifées aux
traitemens, où elles le fentoient entraînées, &
par le fouvenir du bien - être momentané procuré
par les c.tifes, & par le befoin toujours renaiflant
de les éprouver , que faifoit fentir la drfparition
de ce bien-être, & le retour de l’état ordinaire de
langueur. Mais n’étoit-ce pas être entraîné vers le
précipice ? Ce que nous difons ici ne parut que
trop fondé. La plupart des médecins, obfervateurs
inftruits, qui fuivoient ces traitemens, regardoient
ces convulfions comme pouvant être très-nuifibles.
Ces détails purent paroître bien rigoureux ; mais
ils avoient femblé néceflaires. Ils firent naître au
moins une réflexion qu’il étoit en général utile de
préfenter ; c’eft que pour déterminer la confiancè
dans une doétrine > il ne fuffifoit pas de répéter
qu’il y avoit des faits en fa faveur.; N’en avoit-
on pas cité à l ’appui de toutes les impoftures ?
La cure fympathique n’avoit-elle pas eu les fiens,
qui nous paroiflent aujourd’hui aufli faux que ridicules?
Les convulfions de Saint Médard & des reli-
gieufes de Loudun , les guérifons de Gaflner &'
de Greatrakes n’avoient-elies pas été- aufli des faits
nombreux, vifibies, & revêtus en apparence de la
plus grande authenticité ? Mais qui eût ofé alors
les adopter ou les défendre ? On parle toujours
de faits, on parle fans cefle d’obfeiver. Mais ne
fait - on pas qu’il y a peut - être autant de faufles
obfervations, qu’on a fait de faux raifonnemens ?
Tout dépend d’une chofe dans ces deux objets,
de la manière d’y procéder. Il eft aufli commun,
aufli poflïble d’obferver mal, que de mal raifonner.
Ce n’étoit donc ni à l ’apparence , ni à la multitude
des faits qu’on devoit s’arrêter, mais à leur
qualité, à leur nature particulière. C’étoit la
difcuflion qui devoit déterminer, & non la première
apparence. On avoit été déjà tant de fois féduit par
des tentatives du même genre, qu’on avoit droit
d’exiger de la févérité dans l ’examen, & de mettre
de la réferve dans fa croyance. •
I l étoit d’ailleurs d’autres fujets de doute que l ’on
croyoit devoir encore ptopofer contre M. Mefmer.
On fait combien il importe en général, dans les
fciences, de fuivre , pour ainfî dire , les inventeurs
dans la marche qu’ils ont tenue pour arriver- à la
vérité. C’eft fur - tout dans fes premiers élémens
qu’il eft plus sur & plus facile de juger un fyf-
tême ; & dans fes premiers pas , les intentions d’un
auteur font plus à découvert. L ’hiftoire de M. Mefo
mer, fous ces rapports, parut, à quelques perfonnes
, n’être point à négliger. Nous avons dit
plus haut, en parlant des impofteurs, que c’étoit
la même prétention qu’il paroiffoit mettre en avant,
& que c’étoit par l ’un des deux principaux fyftêmes
qu’ils avoient employés pour la foutenir, qu’il fembloit
avoir aufli cherché à l ’établir. En foifant attention
à quelques circonflances , il fembloit qu’on
pût rendre raifon du choix qu’i l avoit fa it, &
l ’on jugeoît qu’il n’étoit pas inutile de les expofer.
Ce n’étoit point dans l ’opinion du pouvoir fürna-
turel opérant les maladies ou dirigeant le monde,
que M. Mefmer avoit pris fes principes. Gaflner,
peu de temps avant lu i , avoit employé & gâté
ce moyen, i l paroiffoit s’être retourné du côte de
1 autre opinion qui a fervi de fondement à la
même prétention , celle de l ’influence des aftresi
Elle convenoit mieux au génie de fà nation. Le
magnétifme, qui dérive fi évidemment de cette
fource antique , qu’il paroît n’être que la même
opinion renouvelée,' étoit né en Allemagne. Sans
doute les efprits étoient reftés encore empreints
d’un refte de croyance dans fes principes. On re-
marquoit d’ailleurs que Gaflner avoit été fervi de
la forte par une fuperftition répandue parmi le
peuple dans le fond de l ’Allemagne, celle des
démons & des mauvais efprits. Un avantage du
même genre paroiffoit être offert dans le m ag n étifme
; & d§.ns le befoin que l ’on pouvoit fop-
pofer que M. Mefmer auroit eu d’une théorie im- p o fa n te , 011 croyoit pouvoir dire qu’il avoit été
conduit ainfi à l ’adopter. Quelques réflexions paro
iflo ien t propres encore à appuyer ces préfomp-
tions.
D’abord on le voyoit imbu de très-bonne heure
de la croyance des anciens fiècles à l ’influence des
aftres< Il avoit compofé une thèfe for cet objet.
C’étoit en 1766 qu’i l l ’avoit foutenue. Vers 1774
le pere Hell ayant mis l ’ufage des aimans en
faveur à Vienne , M. Mefmer avoit adopté auflï-
tôt ce moyen de guérifon : mais les eflais em-ce
genre s’étant répandus très-généralement, on l ’avoit
vu s’éloigner de la route commune , préfenter le
magnétifme fous une face nouvelle , convenir d’abord
que le fluide magnétique étoit l ’unique moyen
dont il. fe fervoit, & annoncer enfuite qu’il n’entroit
pour rien dans fes procédés, mais que tout
dépendoit d’un principe particulier qu’il étoit parvenu
à découvrir , & qu’i l nommoil magnétifme
animal. Or en fuppofant que, dans ces citconf-
tances , tout autre que'M. Mefmer eût eu l ’intention
de tromper, étoit - il contre toute vrai-
femblance de préfumer que, porté pour les opinions
fingulières, pour les préjugés des anciens
temps, tourmenté du défïr de paroître un homme
extraordinaire , défolé de voir manquer fes projets
en ce genre dans l’ufagè de Yaimant, encouragé
d’ailleurs par l’exemple de Gaflner, que la grande
crédulité de fa nation, qui croyoit aux diables,
avoit élevé à la célébrité , forcé par la chûte de
cet impofteur de renoncer au pouvoir fornaturel,
mais trouvant un dédommagement dans Je magnétifme
fubftitué par fa nation même à l’opinion
ancienne de l ’influence des afires, il eût préféré
ainfi ce moyen fi puiflant & fi connu de fédu&ion?
Ou l ’on fe trompoit fort, ou il fembloit que,
dans cette foppofïtion , rien ne pouvoit paroître
plus vraifemblable. O n pouvoit ajouter que M . JVlefmer , comme