
Mefmer n’ignoroit point ces vérités. Aux pratiques
agréables du traitement en lui-même, il joi-
gnoit encore d’autres fecours non moins efficaces
au même genre. On l ’a vu tranfporter Tes malades
hors de la ville & les faire jouir dans des
maifons choifies de tous les agrémens de la campagne.
Ne pouvoit-on pas foupçonner que fonfé-
jour à Creteil n’avoit pas eu un autre but que
de profiter des avantages que devoit lui procurer
le bien que fait toujours, l’air pur des campagnes
à des malades épuifés par le féjour des villes ?
D ’ailleurs l’exercice , les déplacemens dont il fai-
foit à fes malades une forte de néceffité pour fé
tranfp.rter chez lui une ou deux fois le jour, n’a-
voient-ils aucun effet ? Combien de femmes mélancoliques
g uniquement malades par leur opi-
niâireté à refier chez elles, & qui fe fentent mieux
de cela feul qu’elies prennent l’air? Car il faut
ici fur-tout bien le remarquer ; c’étoit chez M.
Mefmer que les traitemens avoient lieu. Il falloit
donc fortir, fe mettre en mouvement , s’occuper
des détails d’une toilette, s’animer enfin par cet
objet; & combien de malades fe trouvent peut-
être mieux de la courfe qu’ils font chez leurs médecins,
que des avis qu’ils y reçoivent. D’ailleurs
ces courfes des malades chez M . Mefmer n’étoient-
elles pas, pour la plupart d’entre eux, des occa-
fions de vifites & de diffipation ? Mais il étoit encore
un moyen auffi puiffanr, pris dans la claffe
des fecours agréables, & qu’employcit M. Mefmer;
c’étoit la mufique. On fait quel pouvoir elle a
fur les âmes. Son action, d’abord confidérée au phyfique
, ébranle les nerfs qu!elle» entraîne dans des
ofcillations douces & agréables. L ’ame affeétée
réagit fur le corps , & les organes en font
animés d’une manière plus ou moins fenfible.
M. Mefmer n’avoit point méconnu ce puiffant
moyen d’a&ion. Il touchoit d’une manière fapé-
rieure de, l’harmonica ; il favoit en tirer des fons
qui àlioient à l ’ame. Ne pouvoit-on pas dire
qu’avec cet infiniment il effayoit en quelque forte
fes malades , qu’il fondoit leur tempérament; que
la grande fenubilité aux fons de l’harmonica lui
déçeloit des nerfs très-mobiles , un moral très-
fenfible, une conftitution très-irritable & très-exaltée,
& que fans doute i l n’ignoroit pas enfui te l ’art
d’en profiter ? Les féances d’ailleurs o’avoient pas
lieu fans mufique ; un orcheftre placé convenablement
auprès des falles, exécutoit des fymphonies
agréables pendant le traitement. Étoit-ce là ce
que M. Mefmer appeloit le magnétifme animal ?
Étoient-ce fes effets que ceux qui étoient produits
de cette manière? Mais il n’étoit pas befoin d’un
fluide univerfel pour en opérer ou en expliquer la
production.
Ce que nous venons de dire jufqu’iei* & les
caufes que nous venons d’indiquer expliquoient
très-bien un premier ordre d’effets qu’on citoit du
traitement de M. Mefmer. C’étoient ces foulage-
mens ou réels & trèvfoibles, ou apparens & d’jmagination,
que plufîeurs perfonnes fe félicitoient d’avoir
éprouvés. On rapportoit que c’étoient fur-tout les
perfonnes fouf&antes d’un eftomac languiffant., qui
fe trouvoient bien des opérations du magnétifme.
Mais qui ne fait pas que l ’imagination a fur-tout
le plus grand empire fur les fonctions de ce vif-
cère ; qu’une vie plus active , une exiftence plus
agréable, l ’exercice, les plaifirs, la diffipation,
fuffifent pour fufpendre les maux de ce genre ,
comme en générai tous le s . accidens nerveux dé-
pendans d’une vie oifive & monotone ? Combien
de femmes peut-être dévoient à la même caufe
l’efpèce de bien-être & de vigueur qu’ elles attri-
buoient au magnétifme , & que leur procuroient
le plus grand exercice qu’elles faifoient, les plaifirs
qu’elies prenoient, l ’efpoir fur-tout dont elles
fe nourriffoient de fe voir rendues à la fanté ? L u -
fage de la crème de tartre, les bains , &c. , ue
pouvoient-ils pas auffi y contribuer , au moins pour
les tempéramens hypocondriaques , mélancoliques,
& bilieux? Il étoit facile d’expliquer ainfi un très-
grand nombre de ces guérilons réputées réelles,
quoiqu’elles ne fuffent qu’apparentes, &: qu’on
regardoit comme véritablement magnétiques. Mais
ce n’ étoient pas là les effets les plus fenfibles que
l ’on produifoit à l’appui du magnétifme; il en étoit
de plus frappans & du moment, que l ’ou voyoit
furvenir aux malades pendant les féances aux traitemens
; il en étoit d’autres encore plus particuliers
& que fembloient produire les procédés employés
pour magnétifer fucceffivement les différentes
perfonnes. Telles étoient ces impreffions de
froid & de chaleur , ces fueurs paffagères & fubites,
enfin ces crifes ou convulfions qui étoient auffi violentes
qu’imprévues.
Mais i l n’étoit pas auffi difficile qu’on le pen-
foit de faire voir que ces effets n-avoient pas ,
pour établir i ’exiftence du magnétifme animal,
toute la force & la valeur qu’on leur fuppofoit ;
& pour en avoir la preuve il fuffifoit de remarquer
fur quelles perfonnes & dans quelles maladies
M. Mefmer produifoit ainfi ces effets fi frappans
du magnétifme. D’abord on remarquoit que
ces effets portoient évidemment tous les caractères
des accès convulfifs, vaporeux, & hyftériques ; que
c’étoient fur-tout les femmes, en général les perfonnes
du fexe, & celles plus particulièrement
encore qui ont un tempérament très-feafible, très-
irritable; en un mot les perfonnes nerveufes, hypocondriaques
, & vaporeufes , qui étoient fenfibles
à Taétion de cet agent prétendu. Mais ne font-ce
pas là les perfonnes fur l’imagination defquelles
i l eft plus facile de prendre de l’empire., & dont
la prévention eft fi fingulièrement capable de
changer l ’état des nerfs ? On pouvoit encore
faire une remarque : c’eft que M. Mefmer avoit
diftingué un- ordre de fujets qu’il appeloit anti-
magnétiques. Mais ne pouvoit - on pas dire
que c’étoit pour excufer le défaut de fuccès fur les
perfonnes q u i, n’ayant ni l ’imagination ardente y
ni les nerfs mobiles , n’éprouvoient ainfi nul effet
d’ uft agent dont on prétendoit cependant que dans
la nature l ’aétion étoit univerfelle ? Quel foupçon
cette remarque ne donnoit-elle pas fur le compte
du magnétifme ? Après avoir écarté ainfi les malades
dont la conftitution ne fe prête pas au jeu
de l’imagination , & le choix des perfonnes qui
convenoient une fois fa it, reftoit-il donc tant de
difficultés à produire ces effets réputés extraordinaires
que l ’on attribuoit au magnétifme animal
? Ajoutons que c’étoit fpécialement aux traitemens
que ces effets avoient lieu, & conféquem-
ment fur des perfounes dont le moral étoit monté;
car c’étoit une confiance bien décidée qui les ame-
noit. Mais fur des conftitutions ainfi exaltées au
moral comme au phyfique, étoit-il donc fi difficile
d’exciter & de faire naître des impreffions ?
N ’cn avons-nous pas indiqué différens moyens;
& ne pouvoit-on pas foupçonner que M. Mefmer
les mettoit en pratique ?
On fait que l’on a fouvent employé d’une manière
fecrète des moyens ordinaires & peu connus ,
pour tromper & répandre l ’illufion. On connoît
tous les tours des joueurs de cartes & de gobelets;
on connoît auffi en phyfique tant de procédés que
l ’on employé pour produire , par des agens cachés,
des effets qui fembient tenir du prodige. Les
effets merveilleux que l ’on annonçoit du magnétifme
animal, donnèrent lieu de former d’abord
le même foupçon fur M. Mefmer. On put croire
pendant quelque temps qu’il employoit l ’aimant,
U étoit notoire qu’il s’en étoit fervi très-publiquement
à Vienne, vers 1774, en fuivant alors les
procédés indiqués par les obfervateuis, & notamment
le père Hell. Ces effais. furent fuivis de
quelques guérifons qu’on ne peut contefter. M.
Mefmer, ainfi que les médecins de fon temps qui
jvoiènt employé l'aimant, en obtint des fuccès
fenfibles. Mais ayant produit alors les mêmes effets
qu’il prétendoit opérer par le magnétifme animal,
n’avoit-on pas pu croire qu’en paroiffant renoncer
4 l ’ufage de Y aimant, il n’avoit cependant pas
ceffé de l’employer ? Il n’y a pas de fubftance plus
fufceptiblé d’être cachée & d’ agir fans être vifi-
l)le. On peut porter des aimans fur fo i, les appliquer
à fes poignets, fous la chemifo , & les
mettre ainfi à portée d’agir en touchant des malades.
On peut placer d’ailleurs fous les parquets,
derrière les murs , dans des meubles creux, tels que
des armoires , de forts aimans artificiels, dont l ’ac-
tion fe dirigeant à travers les corps les plus fo-
Üdes, & s’étendant à des diftances de douze à quatorze
pieds , peuvent remplir un appartement de
fluide magnétique, & agir d’un côté a l ’autre d’une
vafte pièce. Tant d’avantages réunis dans les pièces
À’aimant pouvoient fans doute faire foupçonner
qu’ils entroient pour quelque chofe dans les procédés
du magnétifme animal. On pouvoit dire la
même chofe de l ’éleétricité. On a cru même découvris
, dans un mélange que l’on regardoit comme
propre à réunir l ’aCtion de ces deux agens , les
procédés & le fecret de M. Mefmer. Mais ayant
expreffément déclaré qu’il n’empioyoit ni Y aimant,
ni l ’électricité dans fa méthode, & des effais ayant
été tentés pour s’en affurer, on fut convaincu qu il
ne faifoit ufage -d’aucun de ces agens.
Il eft encore un autre moyen d’aétion à 1 aide
duquel il eft facile de répandre l ’illufîon, que
l’on parut, foupçonner dans les procédés de M.
Mefmer ; c’elt l ’exiftence & l ’aCtion que l’on
reconnoît aux différentes émanations. On n’ignoré
point qu’on peut imprégner le corps humain de
différentes matières ou fubftances qui deviennent
pourlui autant de foyers d’émanations artificielles;
on en connoît même plufîeurs par lefquelles il
femble qu’on pourroit produire de cette maniéré
diftérens effets analogues à ceux que l ’on attribuoit
à M. Mefmer. T e lle eft cette liqueur dont parle
Boyle , & dont il fuffifoit de fe Frotter les mains
pour purger une perfonne à laquelle on les don-
noit à toucher. Depuis une époque plus moderne
on a connu & employé de femblables fubftances.
On en a indiqué même pour produire un autre
effet que celui de purger y pour affoupir toute ef-
pèce de douleurs, excepté celles de la goutte :
on doit remarquer cependant qu’il paroît que ces
dernières ne font propres qu’à opérer des effets
fur les perfonnes mêmes qui s’ en imprègnent en
fe frottant différentes parties du corps. Mais on
crut plus particulièrement découvrir le fecret de
M. Mefmer dans la compofition de certaines poudres
ou mélanges par lefquçls on penfoit qu’une
perfonne pouvoit agir fur les individus qui l’en-
.touroient Tels étoient ces bâtons de foufre, ces
mélanges de foufre & de limaille de fer dont on a
tant parlé, & cette compofition plus ancienne, dans
laquelle Y aimant en poudre étant fournis à l’action
de l'éleCtricité , on croyoit pouvoir réunir la
vertu de ces deux principes. C ’étoit en fe frottant
les mains avec ces mélanges, en s’imprégnant de
leurs émanations , qu’on penfoit pouvoir acquérir
la faculté d’agir par le fimple attouchement ^ &
fi l ’on fe rappelle que Garnier , avant fes opérations
, fe frottoit fortement les mains fur fon mouchoir
& fa ceinture , on pourra croire que ces précomptions
avoient quelque fondement. É to it-c e
un.raoyen de ce genre qu’employoit M. Mefmer?
Il y avoit des raifons pour ne le pas préfumer.
Plufîeurs perfonnes, dont on ne pouvoit révoquer
en doute la bonne fo i, Djroduifoient tous
les1 jours les mêmes effets que l’on attribuoit au
magnétifme animal, & n’employoient point de
pareils moyens. .
On crut devoir foupçonner plutôt que c’étoit la
matière de la tranfpiration qui agiffoit dans cette
méthode ? On ne peut nier l ’exiftence de cette
humeur infenfible , qui, s’ exhalant continuellement
de nos pores , nous environne d’une atmolphère
particulière. Pourquoi cette fubftance n’auroit-elle
pas eu fon action propre & d’autant plus réelle
O o 0 »