
On mange Y a il cru ou cuit, Sc feul ou mêlé
dans les fauces , ou haché avec lçs viandes dont on
veut relever le goût. Souvent on ne fait que le
faire infufer dans les ragoûts, pour leur en communiquer
le goût, fans l’y laiffer en fubftance.
Cuit, il eft beaucoup plus doux que cru, ainfî
que l ’ont remarqué les anciens ; & de quelque manière
qù’on le confidère > il eft difficile de le regarder
autrement que comme un affaifonnement ;
il ne peut fournir,que très-peu dé nourriture.
Ainfî, l ’ail eft parmi les fubftances dont nous
nous fervons pour relever le goût de nos alimens ,
une des plus remarquables-par fes qualités, fes
effets , & fes propriétés médicinales. Il eft à la
ciaue des plantes bulbeufes âcres , ce que le raifo
r t eft à celle des plantes crucifères; il en eft le
chef. La comparaifon de ces deux ordres de végétaux
qui tiennent un rang fi remarquable entre les
fubftances qui nous fournirent des affaifonnemens,
ne paroîtra pas déplacée ici.
Les deux familles des aulx Sc des raiforts renferment
des âcres très-développés ,. très-aéâifs, très-
penetrans , tous remarquables par leurs propriétés
atténuantes & incifives. Toutes deux fourniffent â la
fois les affaifonnemens les plus piquans & les mé-
dicaraens les plus importans, par 1attivité de leurs
principes & l ’évidence de leurs effets. Les aulx
comme les raiforts , font' couler les larmes dans
les yeux ; tous deux, appliqués fur la peau, la rou-
giffent, l ’irritent, & font lever l ’épiderme fous
Forme de cloches. Cependant, malgré cette analogie
, l ’âcreté des aulx ne reffemble point à.
celle des raiforts; Sc pour les perfonnes qui n’y
font point accoutumées , elle paroît plus, révoltante.
L’âcreté des aulx paroît fe conferver inaltérable
dans le corps , jufqu’àce quelle foit pouffée
au dehors par l ’action de la nature; ainfî, Yail
infeéte la tranfpiratîon, fait qu’on le mange, foit
qu’on TappHque Amplement a l ’extérieur. Il imprégné
l ’humeur qui fort des cautères , comme l’a
obfervé Bennet ; Si chez les perfonnes qui ne font
pas fartes à fon ufage , il excite fouvent un mouvement
vraiment febrile. Je connois une perfonne
qui, ayant mis de Ya il écrafé fur un cor qu’elle
avoit au pied , eut un fort accès de fièvre. Il
produit le même effet appliqué en d’autres endroits
du corps. L’adtion des raiforts fur nos organes
n’a pas de femblables fuites ; leur âcreté femble
s’éteindre au dedans de nous , fe changer, s’affi-
iniler , & , s’il m’eft permis de m’exprimer ainfî ,
elle eft plus animale. L ’analyfe chimique confirme
cette différence ; car encore que Tànalyfe faite
par le feu nôus ait bien peu éclairés jufqu’à cette
heure fur les principes conftituans des végétaux ÿ
cependant, quand les réfultats des decompofitions
ignées font effentiellement & conftamment diffé-
rens entre eux, on peut en conclure une différence
cffentielle entre les fubftances décompofées. Or
les aulx donnent â la diftillation, au rapport de
Geof roi, beaucoup d’acide, Sc d’acide très-pénétrant,
qui fur la fin prend un caractère acerbe ;- au
lieu que les crucifères ou les raiforts donnent ,
dans le commencement de la diftillation un al-
kaii volatil fort abondant. On fait-que la même
différence s’obferve entre l ’analyfe de la plupart
des fubftances végétales Sc des fubftances animales-
en général (i)*
La confédération des vertus connues dont les
aulx Sc les raiforts jouiffent comme médicamens,.
n’eft pas non plus indifférente pour déterminer l’opinion
que nous devons avoir des propriétés de ces=
mêmes plantes employées comme affaifonnemens,-
Leur aélion médicale eft ,. comme il a été dit *
analogue dans quelques-uns de fes. effets ; mais
elle conferve des différences fenfîbles dans fon caractère.
L’aâion- des raiforts paroît répondre davantage
à l ’idée que les médecins fe font des atté-
nuans ; celle des aulx à l’idée que fait naître l’ex-
preffion 8 in c ijif Les aulx femblent divifer mieux
les flaires & les matières vifqueufes formées dans-
différens organes, comme les poumons & les reins
les raiforts empêchent mieux leur-formation en-,
atténuant les principes du fàng. Les premiers remédient
mieux à la cachexie pituiteufe & glai-
reufe ; les féconds a la cachexie feorbutique ; enfin*
pour parler; avec encore plus* de précifion, on--
pourroit dire que les raiforts agiffent plus fur les-
produits du fyftême fanguin, les aulx fur ceux
du fyftême lymphatique*-
Malgré ces différences-, i l eft bomde remarquer
que l’odeur d’n//, & même , fi l’on confulte l ’ana—
lyfe de Geoffroi , les principes des aulx fe retrouvent
dans Yalliaire , plante de la même famille
que les raiforts ; Sc ce fait intéreffant pour
Thiftoire phyfîque d'es végétaux, fans détruire les;
diftjn&ions qui viennent d’être établies entre ce»
deux familles r confirme une analogie déjà démontrée
par la pratique entre des fubftances dont
l’aélion a fouvent les mêmes réfultats, quoiqu’elle
ait des procédés & dès nuances différentes. Les
chimiftes pourront quelque jour nous en apprendre
davantage fur cet objet..
U a il eft donc, comme l’ont dit les. anciens ,,
un affaifonnement utile pour les perfonnes qui font
d’un tempérament pituiteux ; il doit auflr être bon
pour corriger la qualité vifqueufb de certains ali—
mens il l ’eft d’autant plus , qu’il rëleve aufff
le ton de l ’eftomac. Auffi les hommes robuftes
qui vivent d’alrmens greffiers-, de pain mal fermenté
, de viandes prefque crues, de farineux épais,
font-ils, non fans raifon ,- beaucoup d’ufage de Y ail,
même cru, & mangé en nature avec leur pain*
Les montagnards d’Auvergne , les Ruffes., les has-
bitans des Alpes Sc des Pyrénées, tous ceux des
(i) Il faut cependant avouer que , relativement à l’ana-
lyfè des aulx &c des raifortsles faits annoncés par Geoffroi
font contefiés par quelques chimiftes modernes.
pays froids, comme Galien le remarque des Gaulois
& des Thraces , en ufent abondamment. La
Bruyère s’étonne avec raifon de ce que les habitans
de nos provinces méridionales ainfî que les efpa-
gnols ffàifôient de fon temps , comme encore du
nôtre, un grand ufage de Yail. U ail femble contraire
à leur conftitution. Cependant il faut ici
faire une obfervation , c’eft que les habitans des -
contrées très-chaudes , Comme ceux de l’Inde &
de l ’Afrique, tout en faifànt ufage des alimens les
plus doux & même les plus fades, ufent en même
temps des affaifonnemens les plus piquans & les
plus âcres. Ils paffent fouvent d’un extrême à l’autre ;
& la nature qui femble avoir preffenti leur goût,
a fait croître dans leur climat les aromates les
plus chauds. C’eft chez eux que croiffent le poivre,
le gingembre, & Je piment. Dans le fait, leur
eftomac eft fouvent foible, comme Profper Alpin
l’obferve des habitans de l’Egypte. La quantité de
boiffons dont ils font obligés d’ufer, les fruits fuc-
culens & fondans dont ils mangent avec excès,
énervent cèt organe , dont le ton abefoin de temps
en temps d’être fortement relevé par des ftimu-
lans très-vifs. Sous ce point de vuè, Yail pourroit
avoir quelque utilité, même dans les pays chauds ;
d’autant plus qu’on affure qu’il y eft plus doux que
dans les nôtres : mais la vivacité avec laquelle il
porte à la tranfpiration, le rendra toujours, pour
ces contrées, au moins très-défagréable.
D’aillëurs fi l ’on veut confulter les coutumes &
les ufages des hommes, qui fouvent font une indication
de leurs befoins, on obfervera que les affaifonnemens
dont on fe fert de. préférence dans les
pays chauds, font des âcres aromatiques , chargés
d’huiles effentielles , que nous nommons épices ;
& ceux des pays froids font, comme Yail Sc le
raifort, des âcres piquans & volatils. Les premiers
agiffent plus fur l ’eftomac , & c’eft de leur abus
que paroît dépendre cette maladie connue en Amérique
, qui confifte en une inflammation lente & incurable
de l’eftomac , accompagnée de fièvre & de ma-
rafme, dans laquelle les hommes marchent courbés
en deux, fans pouvoir fe re lev er , & que plusieurs
auteurs ont attribuée à T u fa g e exceffif du piment.
U ail y ainfî que les raiforts , ne laiffe pas fur 1 eftomac une impreffion auffi durable , & fes principes
font plus promptement emportés par la tranfpiration
& les urines. J’ai déjà dit au mot acres ,
quelle étoit la différence entre les affaifonnemens
âcres du genre des aromatiques & ceux du genre des
volatils. Les u-ns & ’les autres ont des inconvéniens
considérables fî Ton en abufe., mais s’ils font pris
en petite quantité & feulement pour le befoin,
on pourra dire que Yail .eft pour les habitans du
nord & pour les montagnards , ce que le piment
eft pour les contrées chaudes, un affaifoniaement
utile ; qu’il eft le c o rre c tif des humeurs ëpaiffes
& des alimens vifqueux, comme le piment eft le
correéÜf de l ’inertie .de l’eftomac Sc des boiffons
froides & relâchantes, qui affoibliffent les digef-
tions. ( Voyev^ A ssaisonnemens, ) (M . H ALLÉ.)
A i l ( Mat. mêd. ) L ’a il, Allium fa iivum, caule
planiufculo, bulbifero, bulbo compofuo, flaminibus
tricufvidatis, de Linneus, eft la racine d’une plante
liliacée , connue de tout le monde , & employée
comme affaifonnement. On la cultive dans les
jardins.
L ’odeur forte & la faveur piquante de cette
fubftance indiquent affez qu’elle doit avoir des propriétés
très - remarquables ; auffi l ’a-t-on regardée
comme un médicament fort utile dans un aflez
grand nombre de cas , ainfî que nous le dirons tout
à l ’heure. On a cherché, par l ’analyfe chimique,
à reconuoître la nature des principes de - cette racine
bulbeufe. Geoffroy dit que cinq livres de
gouffes 8a il pelées ■ ont donné , à la diftillation,
z livres 5 onces 3 gros 6 grains de phJegme limpide
, ayant le goût & l’odeur 8 a i l , d’abord talé,
enfuite très-acide; 1 livre 5 onces 3 gros-z4 grains
d’une autre liqueur claire , acide , & acerbe onces
z gros 66 grains d’une troifième liqueur limpide,
rouffe, un peu acide, & remplie de fel volatil
urineux ; iz grains de ce dernier fel concret ; z
onces 4 gros 4z grains d’huile épaiffe. Il eft refté
13 onces 1 gros dé charbon, qui , incinéré pendant
heures , a larffé 1 once 1 gros 6 grains de
cendres , d’où on a retiré 4 gros 8 grains de fel
fixe & falé. I l y a eu 1 once 66 grains de perte
dans la diftillation, & 11 onces 7 gros 66 grains
dans l’incinération. Geoffroy conclut de cette ana-
ly fe , que Yail eft compofé d’un fel ammoniacal
uni. à beaucoup d’huile âcre & capable d’une grande
expanfion. Les connoiffances des modernes indiquent
qu’on ne peut pas tirer de grandes lumières
de cette diftillation.
On ne s’eft point affez occupé de la nature du
principe odorant & fugace de Yail Sc des fubftances
alliacées en général ; car on fait que plufîeurs
plantes, Sc en particulier i ’aliiaire, eiyfimum all{a-
riay L. répandent une odeur analogue à celle de
Yail. C ’eft dans ce principe très-âcre & très- aéJif,
puifqu’il excite le larmoiement , que confifte la
vertu de cette bulbe. Il feroit donc important d’en
connoître la nature ; mais les chimiftes n’ont pas
encore entrepris avec affez de foin ce genre de travail.
On fait que l’odeur de Yail eft très-tenace,
qu’elle colore & réduit les chaux métalliques.
M. Gueret , qui a partagé le prix propofé
par la fociété royale de médecine fur l ’analyfè
des crucifères, a obtenu de la diftillation de Yail
un efprit refteur un peu trouble, d’une odeur forte,
dans lequel il a trouvé du foufre par le moyen
des 'diffoiutions de mercure & d’argent. Il a retiré
en même temps de cette bulbe une huile effen-
tielle pefante , qui tenoit du foufre en diAblution
, & dont il a féparé ce corps combuftible %
à l’aide de l’efpric de vin. I l en conclut que le
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