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il manque de chofes à ces recherches. Jetons maintenant
un coup-d’oeil rapide fur les différentes manières
d’apprêter ces divers alimens.
3°* préparation des chairs, & principalement
des différentes manières de les cuire.
Premièrement, il n’eft point d’ulage de manger
les chairs crues ; prefqüe toutes les préparations des
chairs fe réduitent à la méthode de les faire cuire.
-— Cette méthode, malgré la variété des préparations
qui 1 accompagnent, peut fe rapporter à
quatre manières.
Ou^lon cuit les viandes à feu nu, en les expo-
fans a une flamme vive, c’eft ce qu’on appelle
rôtir; ou on les fait cuire dans Peau bouillante,
pour qu elle en pénétré l ’intérieur, en ajnolliffe
les fibres, & diffolve les parties folubles, c’eft ce
qu on appelle faire bouillir; ou on expofe les
viandes fur le feu dans lin vaiffeâu fermé, de manière
a les pénétrer de la vapeur de leur propre
jus ou d’une petite quantité d’eau ; c’eft ce qu’on
nomme etouffer ou etuvée ; ou on fait paffer les
viandes dans 1 huile , la graiffe, ou Je beurre bouil-
lans , dont la chaleur , beaucoup plus vive que celle
de 1 eau, les pénétré & les cuit promptement: c’eft
ce qu’on appelle frire.
i° . Le rôti fe .fait en arrofant continuellement
la viande expofée au feu, de fa propre graiffe ou
d’une autre graiffe fondue. Cette circonftance eft importante.
Si an laiffoi. la viande fe rôtir fans l ’ar-
rofer ainfi, elle fe fécheroit & fe durciroit, par
1 évaporation de la partie humide, & perdroit de
fa folubilité en fe durciffant. La graiffe bouillante,
en coulant fur la furface de la viande , augmente
la chaleur dont cette furface eft faifie, la riffole
& la durcit avant.que l ’intérieur foit cuit; en.forte
que fous cet enduit ou croûte , l ’humidité intérieure
concentrée pénètre la chair en fe dilatant,
l ’attendrit, & ne la prive d’aucun de fes fucs. On
fent, par la même raifoh, qu’un feu vif eft né-
ceffaire pour cette opération ; car fi on laiffoit
la chair devant un feu doux affez de temps pour
etre^ cuite , elle fe fécheroit abfqlument & fe dar-
ciroit, fa furface reftant trop perméable à l ’humidité
intérieure , qui fe diffiperoit par lès pores. La
viande rôtie comme il convient, doit, quand on
l'ouvre', ruiffeler de jus i fi. la piece a un certain
volume ; & ce. jus ne doit pas être d’un rouge trop
ianguin, quoique beaucoup de perfonnes 1 aiment
mieux ainfi. La viande rôtie eft* outre cela, couverte,
d’un enduit demi-brûlé, qui ne doit point
etre noir , mais brun, & dont.le goût un peu empy-
reumatique^eft affez analogue à celui du caramel
ou lucre brûlé. Cet enduit donne au jus de la viande
une couleur brune & une faveur agréable. Le rôti
eft très-nourriffant & bien tonique , & beaucoup
d eftomacs s en accommodent mieux que de toute
^utre préparation. Sa partie fibreufe fe trouve bien
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amalgamée' avec la partie gélatineufe , & ni en eft
que plus foluble. Les viandes brunes fourniffent ,
dans cette préparation, un jus d’autant plus fonce ,
que leur partie extraéVive eft d’une couleur plus
forte;. Les viandes blanches fourniffent un fuc plus
pâle, mais toujours plus ou moins doré, & leurs
vertus toniques font, en proportion de leurs qualités
naturelles, exaltées par l ’aétion du feu. Les
viandes les plus vifqueufes ont, plus que les autres
, befoin d’êtrç^rôties ; & les cochons de la it ,
l’agneau, & le chevreau ne peuvent guere fe manger
que de celte manière. _
I l eft une autre manière de rôtir les fiandes, c eft
de les griller ; leur furface expofée au feu en èft
be-aucoup plus rapprochée, & c’eft en fe racornif-
fant, qu’elle empêche la defficcation des parties
intérieures. Cette manière de rôtir, qui fe fait tres-
promptement, ne peut convenir qu à de petites
pièces. Des pièces d’une certaine profondeur ne fe
euiroienc pas par ce moyen.*
z°. Le bouilli fe fait en plongeant la chair dans
l ’eau, & la faifant bouillir à vaiffeaux demi-ouverts
, amenant l ’eau par degrés au point de 1 e-
bullition, qu’on entretient plus qu moins longtemps
, fuivant la nature de la chair & le but qu on
fe. propofe. Comme l ’eau qui. pénétré ainfi la chair
qu'on y plonge diffôut fa partie gelâtineufe & la
partie extraélive , il eft rare qu’on ait d autre défi-
lein en préparant ainfi les chairs, que d en extraire
le fuc étendu dans l ’eau , que l ’on connoit alors fous
le nom de bouillon. La Viande bouillie retient
peu de parties folubles, & feulement celles, qui
renferment l ’humidité dont elle eft reftee pénétrées.
Plus le bouillon a ,été chargé, moins la viande
conferve de parties gélatineufes & extraétives ; &
les. parties fibreufes, qüoiqu’amollies & attendries
par la décoélion , doivent être d autant moins fo—
lubies dans nos menftrues gaftriques, quelles ont
été plus complètement dépouillées de leur extrait
foluble. Ainfi, encore qu’il ait été établi que,1a fiibf-
tance fibreufe nourrit, & par confequent n eft ^pas
in foluble dans nos menftrues, comme elle eft d autant
plus ou moins , aiféb à diffpndre , qu elle eft
mêlée plus ou moins1 de fubftance gelatineufe ou
extraéfive., il en réfulte que le bouilli en general
doit être un aliment plus excrémenteux que les
viandes rôties. Enfin la viande bouillie a moins de
goû t, moins de faveur, eft par confequent moins
tonique, moins ftomachique, c’eft-à-dire., excite
moins l’ aétion des organes digeftifs, que la viande
rôtie; c’eft ce qu’il"eft ai.fé de concevoir , puif-
qu’une grande partie de fa fubftance extra&ive eft
fouftraite par l’eau, & que le jus dont elle refte
imprégnée n’a point pris ce goût que donne la
chaleur sèche & l ’aâion immédiate du feu, & qui
tient un peu de l ’empyreumë. Auffi ordonne-t-on
les viandes bouillies iorfque l ’on veut fur-tout
obtenir l’effet adouciffant, & qu’on craint d exciter
trop de ton & de chaleur. On ne foumet non plus
à cette opération que les viandes réfiftantes qui ont
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befoin d’être fort amollies, à moins , comme j e
l ’ai dit, que le but principal ne foit d eu extraire
feulement le bouillon ; 8c l ’on obferve que dans
les volailles tendres , comme le chapon , les parties
les plus tendres , comme les ailes, font épui-
fées & fans'■ faveur, tandis que les parties les plus
fermes font encore pleines de fuc & d’agrement.
Il me refte encore une obfervation a faire. Nous
remarquons que pour faire le bouillon , on amene
l ’eau par degrés à l’ébullition , & qu on ^entretient
au même degré fans forcer le feu. L ’obfer-
vation a appris que quand on brufquoit trop la
chaleur, on obtenoit un bouillon moins bon. Il
femble qu’alors la viande devienne moins perméable
à l’eau qui l’environne. Deux caufes peuvent,
ce me femble, concourir à cet effet. L ’une, la coagulation
trop rapide d’une fubftance albumjneufe
qui fe trouve toujours plus ou moins dans les chairs ;
l ’autre , la propriété reconnue de la fibre animale,
même morte, de fe contracter & de fe racornir par
la chaleur.
3°. Uétuvée fe fait en cuifant .la viande dans
des'vaiffeaux fermés , de manière à les penetrer ou
de la vapeur de leur propre fuc, ou de celle dune
petite quantité d’eau dans laquelle elles baignent ,
en forte qu’elles fe trouvent dans une elpece d é-
tuve. On a propofé encore une machine dans laquelle
la fubftance à cuire ne feroit expofée qu a
la feule vapeur de l ’eau, & c’eft alors une véritable
étuve ; cette machine étoit principalement deftinée
à cuire des légumes.. L ’avantage en etoit de ne
leur rien ôter de leur goût, & de ne les point durcir ;
j’ignore le fuccès de cette entreprife, qui doit avoir
fon utilité. Quoi qu’il en foit, les avantages de 1 e-
t.uvée font de pénétrer fortement la chair de v a peurs
chaudes, de l’attendrir fingulièrement, des la
cuire parfaitement (ans l’épuifer & fan?,, la deffe-
-cher, & de lui làiffer tout fon fuc. Les chairs ainfi
cuites doivent être de toutes les plus diffolubles,
lès plus aifées à digérer, & les plus nourriffantes.
C ’eft ainfi que l’on cuit les daubes , qu’on environne
*d’un fuc gélatineux, & qu’on laiffe enfuite
refroidir. ,
Il eft rare que l ’étuvée fe faffe fans addition d’eau
& parla fimple vapeur du fuc même de la chair.
Cette dernière manière n’a guere lieu que dans la
cuiffon que l’ on nomme en pâte; on enferme la
chair dans une pâte , on l ’environne de tous les affai-
fonnemens qu’on juge à propos d’y répandre, & on
la met au tour.
Dans ces deux manières, les affaifonnemens qu’on
mêle à l ’eau & dont on environne la viande, la
pénètrent profondément & s’incorporent â fa fubftance;
la graiffe , les aromates , les fiels s’y unifient
intimement , & lui donnent toutes les qualités dont
ils font eux-mêmes pourvus.
4°. La friture fe fait en jetant la chair dans l’huile,
la, graiffe, ou le beurre bouillans ; ordinairement
on l ’enduit de farine q u i, s’unifiant à la matière
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o-raffe, forme une croûte plus ou moins cafiante,
cômpofée de graiffe rouflïe & de farine amalgamée
avec cette graiffe. La viande qui eft renfermée
dans cette croûte eft cuite à l’inftant par la violence
de la chaleur qu’elle éprouve ; & de toutes
les cuiffons, c’eft celle qui s’opère le plus promptement.
Mais elle ne fe fait que fur des pièces peu
volumineufes, 8ç fouvent fur des viandes coupées
par tranches. Si ces pièces font minces, elles font
aifément deflechées par cette façon de les cuire,-
finon l ’intérieur en devient fort Rendre , comme
ou le peut concevoir d’après ce qui a été dit ci-
deflus au fujet du rôti. On ne voit guère la fubftance
graffe roulïie pénétrer alors dans la fubftance
de la viande, & fans fon enveloppe la chair ainfi
cuite feroit aufiî faine que toute autre ; mais l ’enveloppe
formée de graiffe ou d’huile, qui a contracté
toute l’âcreté de rempyreumè , eft extrêmement,
nuifible aux mauvais eftomacs ; elle donne le
fer chaud plus que tome autre fubftançe ; & les
viandes frites ne font exemptes de cet inconvénient,
qu’autant que l ’enveloppe de friture dont elles font
entourées eft extrêmement mince & légère. Elle eft
d’autant plus mince que la pâte à laquelle l ’huile
eft unie eft plus légère; en forte que les poiffons
qu’on ne fait abfolument que blanchir avec la farine
fe mangent frits fans inconvénient. '
Les fauffes qu’on compofe avec l ’huile ou le
beurre rouflis & la farine, qu’on nomme communément
roux , dans lefquelles on cuit fouvent les
viandes , font fingulièrement fu.jettes, & beaucoup
plus que la friture , à cet inconvénient d’occafion-
ner le fer chaud ; & il n’y a peut être point d’afi-
faifonnemeot plus nuifible que celui-là aux per-
fonnes dont Feftomac n’eft pas fupérieur à tous les
obftacles qui s’oppofent à la bonté des digeftions.
Nous avons vu qu’Hippocrate blâme particulièrement
cette forte de ragoût, & le blâme pour cette
raifon précifément.
D e s préparations dejlinées à la confervation
des chairs.
Il eft un autre genre de préparation qu’on fait
fubir aux viandes ; c’eft celui qui confifte a les imprégner
de parties* falines , pour les préferver de
la corruption. One des préparations de ce genre
les plus communes, eft celle par laquelle on pénètre
les chairs de fel, & on les expofe à la fumée
, dont les parties empyreumatiques concourent
à pénétrer'encore leurs fibres de parties antifepd-
ques, & couvre leur furface d’un enduit brunâtre,
qui elt un excellent préfervâtif contre les atteintes
de l ’air extérieur , & contre -l’attaque des infeôtes
qui dévorent fouvent la .fubftance' gélatineufe. On
s’eft beaucoup élevé contre l’infalubrité de ce genre
de préparation, & l ’on .a certainement eu raifon
toutes les fois que l’on en a ufé affez abondamment
pour que les viandes ainfi préparées foient