
Il eft donc naturel & néceflaire de conclure que ,
foi tau dedans, Toit hors de nous, la matière nutritive
deftinée à donner l’accroiflement à nos organes
, ou à réparer leurs pertes, n e fl point une -
Jubfiance uniforme , toujours la même , ayant
toujours les mêmes caractères & les mêmes
p r o p r i é t é s & par confequent que la fa culté \
nutritive ne réjide point exclufivement dans le ,
mucilage.
S E CO NDE QUE S T I O N.
Une feule & même Jubfiance démontrée nutritive
pourroit - elle Jujjîre à notre nourriture &
à réparer toute l'étendue de nos_ pertes , ou
fa u t - il que nos alimens foient variés & mélangés
, pour fournir à la diverfité des fu c s '
dont nous avons befoin ?
Nos alimens ordinaires ne font pas des alimens
fimples.
La plupart de nos alimens xonfiftent dans des
. fubftances mélangées ; ainfi la réponfe à la question
précédente doit êtie en grande partie de pure
théorie. Néanmoins comme cette théorie peut être
appuyée , fur des faits importans. que nous devons
aux découvertes d,es chimistes modernes , je n’ai pas
cru qu’elle fût hors ,de_propos en cet endroit.
J’ai dit que la plupart de nos alimens confif-
toient dans des fubftances mélangées. En effet, un
homme qui mange _du pain, mange une fubftance
originairement compofée d’une fécule gélatineufe
& d’une fubftance glutineufe , par confequent de
deux fubftances bien diftinétes par leurs propriétés
& leurs caractères ; & fi- on ne peut plus retirer
Séparément ces deux fubftances quand le pain eft
fait i l n’en eft pas moins vrai que le pain contient
les principes immédiats de ces deux matières;
L ’homme qui vit de lait, fe nourrit de toutes les fubf-
tances que nous avons dit exifter dans le lait ; & la
chair des animaux n’offre pas à nos organes un
aliment plus fïmple. Les végétaux font dans le
même "cas; ainfi, ce n’eft pas par l ’expérience &
•par i’obfervâtion journalières que nous pouvons
établir la poflïbiiicé ou l’impoftibilité de la nu-
. trition complète par une feule efpèce de fubf-,
5tance alimentaire.
Ce n'ejl pas dans les fubflanc es - très - fimples
qu'il fa u t chercher la bafe des combinaifons
nutritives qui s'opèrent dans les animaux.
Que des fubftances extrêmement fimples puiflent
donner tontes les combinaifons les plus compli-
‘ qu'ées dont font formés les végétaux & les ani-
' maux, c’eft un fait hors de doute. J’ai déjà remarqué
dans'les notes 13 , 17 , &c. ; & M. Lorry
a fait à peu près la même réflexion, que l ’eau ,
1 a i r , & la lumière fuffifoient pour donner aux
germes les plus folbles des végétaux , un développement
duquel résultent toutes les parties; qui
les compofent. Ainfi, quand pn voit par le feul
fe cours de l ’eau , des plantes naître & prendre un
accroiifement confidérable, on ne peut pas fe dif-
fimuier que le mucilage , l ’extrait, la réfine , les
fe ls , la partie colorante, l ’odeur, &c. qui .font
réunis dans cette plante , ne foient le produit de
l ’eau ou des deux bafes dont elle eft formée , avec
les deux _ bafes que fournit l ’air atmofphévique ,
jointes au principe de la chaleur & de la lumière,
& que de là ne puiffè venir toute la niatiire nutritive
qui fert au fou tien des êtres vivans des deux
règnes. Mais la plupart des animaux, & l ’homme
fur-tout , ne font pas organifés pour opérer la
combinaifon de principes h fimples.
Ainfi l ’eau , l ’air, la lumière , & la chaleur ne •
fourniront point à nos organes une combinaifon
aifez avancée, & l ’eau, quoique déjà formée par
une combinaifon connue , eft encore trop fïmple
pour être modifiée par nos organes, au point de
devenir nutritive;
C’eft donc parmi des combinaifons plus compliquées
qu’il faut chercher une matière qui ,
par fon univerfalité , convienne à toutes nos parties;
qui foit affez fïmple' pour-, fervir( de bafe à
un grand nombre de. fubftances differentes ; qui
foit affez compofée .pour ne laifier a nos organes
qu’un petit nombre de combinaiions à'faire.
Ilexifie une bafe commune à prefque tous les corps
connus comme nutritifs , & cette bafe efl la
bafe de l'acide oxalique ou faccharin.
Si l’on réfléchit à ce que nous avons expofé
plus haut fur la nature comparée des différentes
fubftances qui entrent dans la compofition des
matières animales & végétales, on trouvera que
le compofé qui réunit le plus complètement toutes
ces conditions , eft la matière qui , fuivant les
obfervations de Bergmann, de Scheele, & de M. Ber-
thollet, forme la bafe des parties glutineufe, al-
bumineufe, gélatineufe, celle de tous les mucilages,
celle du fucre, & en général de toutes les
fubftances végétales. & animales fermentefcibles ou
putrefcibles ; c’eft-à-dire, de toutes les fubftances
qui font très-difpofées à changer.de combinaifons
par le feul mélange ' de l ’eau & par le contaCt de
l ’air & l’aCtion de la chaleur.
Cette bafe eft dans toutes la même , car dans
toutes elle eft fufceptïble de former également
l ’acide appelé oxalique ou faccharin ,. quand on
la combine avec le principe acidifiant contenu
en excès dans l’acide nitrique. La différence des
matières dans lefquelles cette bafe eft contenue lui
eft donc abfolument. étrangère. Cette différence ne
dépend-que de la nature & de' la quantité des
principes auxquels elle fe trouve combinée , &
dont elle fo fepare pendant^l’aCtioiv de l’acide nitrique,
fuivant les lois des affinités ou des attractions.
électives. Ces fubftances qui s’en dégagent,
font tantôt la bafe de l ’acide carbonique, comme
dans le fucre &- les mucilagestantôt la bafe de
la mofette jointe à une huile particulière co»-
A L I
®ète , comme dans la matière glutineufe & dans
toutes les matières animales putrefcibles, &c.
Il exifte donc, dans prefque toutes les matières
animales & végétales une fubftance uniforme , commune
à toutes, fufceptible de beaucoup de combinaifons
différentes, qui paffe aifément d’une combinai
fon à une autre , qui prend diverfes modifications
en raifon de ces combinaifons, & qui eft
fufceptible de prendre ainfi toutes les formes 11e-
ceflaires pour s’incorporer & s’affimiler à nos organes
; c’eft-à-dire , qu’il exifte une matière qui
n’eft ni le mucilage , ni la matière glutineufe ,
ni la fubftance fibreufe , ni l ’albumen, ni la gelée,
ni le fucre, ni l ’acide oxalique , qui par confé-
quent n’eft aucune des matières qui proprement
nous nourriffent, mais qui fert de bafe à toutes
ces fubftances, & peut fervir à les former au dedans
de nous par le mécanifme de nos fonctions,
A la vérité , on ne connoît • nulle part cette
matière à nud, mais par-toutT ou elle exifte , on
peut s’affurer de fa préfence en opérant les combinaifons
qui la changent en acide oxalique ; &
toute fubftance dans laquelle on s’eft airifi convaincu
de fa préfegee , eft néceffairemcnt une fubftance
fermentefcibîe ou putrefcible , animale ou
végétale, & toujours plus ou moins nutritive.
Bien plus, comme dans la fermentation cette
bafe fe décompofe, & fes parties entrent dans diverfes
combinaifons pour former l ’acide crayeux ou
carbonique , l ’efprit ardent & le vinaigre , il en ré-
fuite que la proportion de la bafe oxaliq'ue diminue
dans les corps fermentés , en proportion de la
fermentation ; & il eft de fait aufli que le corps
devient d’autant moins nutritif, que la fermentation
eft plus complète ; cette obfervation avoit déjà
été faite par Hippocrate.
Ainfi tout corps, quel qu’il foit, qui contient
en abondance la bafe de l ’acide oxalique ou faccharin
, & dans lequel cette bafe eft combinée de
manière à paffer aifément dans de nouvelles combinaifons
, eft fufceptible de fervir à notre nourriture,
foit par lui-même , foit en nous fourniffant
la bafe de prefque toutes les combinaifons nutritives
; & comme le mucilage, & en général toutes
les fubftances connues fous le nom de corps muqueux,
contiennent cette bafe dans une grande proportion
, & dans l ’état le plus propre à fubir un
grand nombre de combinaifons, il en réfulte qu’il
eft peu de fubftances qui puiflent fournir auffi abondamment
la matière néceflaire au foutien de nos
corps & à la reftauration de nos organes.
Quoique je n’aie tenté jufqu’à. préfent de démontrer
ce fait que d’une manière théorique, cependant
il eft des exemples qui le confirment évidemment
, & les caravanes qui vont en Arabie
ou dans l ’Afrique chercher la gomme, fe nourriflent
uniquement, dit-on, de ce mucilage pendant tout
le temps de leur retour.
I l efl cependant dans les animaux • des combinaifons
qui leur fon t propres, & qui n'ont
aucune liaifon connue avec la bafe de l'acide
oxalique.
J’ai dit que la matière avec laquelle on forme
l ’acide oxalique ou i’acide faccharin eft la bafe de
prefque toutes les fubftances vraiment nutritives ;
& dans le fa it, les mufcles , les membranes , les
tendonsles ligamens, la partie gélatineufe des
os, la peau , le tiffu cellulaire , une grande partie
de nos vifeères ; enfin prefque tout notre corps
contient abondamment cette bafe, comme on l a
démontré ; mais il eft deux fubftances parmi celles
qui foraient nos folides , dont il eft difticile de
retrouver l ’origine dans cette bafe 8c dans fes combinaifons
connues ; c’eft le phofphate calcaire qui
forme la partie folide de nos os 8c le blanc de
baleine, qui paroît entrer pour beaucoup dans la
matière du cerveau & même du foie , & qui paroît
être unie en partie à la portion fibreufe des mufcles.
Cependant ces deux fubftances fe forment, au
moins en grande partie , dans le corps animal ; car
quoiqu’on les retrouve en petite quantité dans 1 a-
nalyfe des végétaux, il eft cependant vrai qu’o»
ne les y trouve pas dans la même proportion que
’ dans les animaux. C ’eft donc aux forces 8c au me»,
canifme de l ’orgaDifiition animale que doit être
attribuée en grande partie la formation de ces deux,
fubftances, dont les élé me ns fe combinent né.cef-
faire ment au dedans de nous.
Cette force, capable d’opérèr des combinaifons v
& de donner par-là haiffânee à des corps nouveaux ,
paroîtra bien étendue , mêmè dans le corps animal,
fi l’on réfléchit que non feulement le phofphate
calcaire , c’eft-à-dlre , la combinaifon de 1 acide
phofphorique avec la terre calcaire, mais encore
l ’acide phofphorique , & néceflairement le ^phof-
phore lui-même , que les chimiftes modernes ont
mis au rang des corps les plus fimples , font formés
dans le corps animal par i’orgauilatibn de ce
corps. Car enfjn la proportion de phofphore que
contiennent les , fubftances qui entrent dans la
ftru&ure des os & dans la compofition des fluides
des feuls animaux herbivores, eft trop grande en
comparaifon de celle que contiennent les^ végétaux
dont iis fe hourriflent, pour qu’on croie qu’il
foit pafle tout entier du règne, végétal dans le
règne animal. Et quand on confidère que l ’origine
ou au moins le développement^ des végétaux eft;
•du néceffairement à la combinaifon des parties de
l ’eau ayec celles de l ’air , de la chaleur, & de
la lumière , on fera tenté de croire, non feulement
que le phofphore eft une fubftance dont la
combinaifon eft due au règne organique , mais
encore on croira devoir rapporter a la meme caufe
la production d’un autre principe mis de mêmd
au rang des fubftances fimples, celui du charbonl
ou le carbone» Çe principe reconnu fi abondai#
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