
la force de leurs méditations, jufqu'à cette vérité
que la nature entière étoit- régie par une puiffance
fecrète, qui, portant les choies qui fe convenoient
à s’unir, & celles qui ne fe convenoient pas à lé
fuir & s’éloigner -, entreccnoit ainfi toutes les parties
de l ’univers dans un mouvement inteftin & perpétuel.
L a nature de ce principe leur fut long-temps
cachée; & dans l ’impuiffance de la découvrir , iis
cherchoient au moins à la défignçr fuivant les
principes reçus de leur temps , en la failànt con-
fifter dans une force ou qualité occulte , qu’ils ap-
peloient f orce de Jympathie ou cVantipathie.
On fe. contenta long-temps de ces premières
connoilfances ; mais lorfqu’au renouvellement des
fciences , la phylîque fut plus particulièrement cultivée,
on crut avoir fait un grand pas vers la découverte
de la nature & des phénomènes du premier
principe. L * aimant attira alors l ’attention
d’une manière particulière. Les premiers regards fe
portèrent vers cette fubftance fi bien faite pour
frapper & pour .étonner ; c’ eft au moins ce que.
femblent nous indiquer cette foule de traités fur Y aimant
, que l ’on trouvé publiés à cette époque, &
tant d’écrits fur les pierres précieufes & communes,
de lapidibus & gemmis > auxquels on feroit tenté
de croire que les prodiges d e l ’aimant donnèrent
particulièrement naiffance. Aurefte, les propriétés
de cette fubftance furent alors mieux connues; fa
merveilleufe fingularité frappa plus vivement les
efprits , & ce qui, fous le rapport des temps, ne
doit pas étonner , on crut avoir découvert en elle
le mot de la grande énigme, de celle du méca-
iiifme du monde. l/aimant parut réunir tous les
c-ara&ères du principe univerfel, moteur premier
de l’univers ; ce fut en lui que l ’on crut que la
nature fembloit fe plaire à dévoiler le plus grand
de fe$ fecrets. En effet, ce principe devant, par fon
immenfité, embraffer tout l ’univers, il devoit établir
une correlpondance marquée entre les corps céleftes
& notre globe. On fait à quel point les anciens
avoient cru à la réalité de cetto^correfpondance
fupérreure , & l'aimant, dont on connoiffoit alors
la vertu direéüve , paroifïoit annoncer un principe
empreint de ce grand cara&ère. On croyoit en
effet que Y aimant qui fe dirigeoit vers le pôle du
monde , tenoit cette aéfion de ce que le principe de
fbn activité lui étoit tranfmis des aftres ou plus
particulièrement de la région polaire du ciel. Il
réuniffoit d’ailleurs dans fa manière d’agir les deux
principaux caractères de l ’aétion univérfelle de la
nature, ceux d’attirer & de repouffer, ou celui de
la tendance générale & commune des corps a fe
fuir1 & à fo réunir réciproquement. Son aétion le
propageoit par une véritable irradiation en tous
fens & dans toutes les directions. Elle avoit lieu
aulfi entre des corps éloignés à plus ou moins de
diftance ;• ce qui rendoit raifon d’un grand nombre
de phénomènes dont l ’exiftence & l’obfervation
étoient une des raifons les plus fortes qui éuflent
porté à reconnoître la nécelïité d’un principe univerfel.
Elle s’exerçoit enfin à travers les. corps les
plus folides & les plus durs , comme on étoit per-
fuadé que les influences céleftes agiffoienc fur les
métaux dans les entrailles de la terre, ou fur les
corps plongés fous la maffe des eaux dans les profonds
abîmes de J a mer.
On crut donc l’univers animé par le même principe
que l ’aimant. Ce mot, pour le dire en paf-
fant, peut être pris à la rigueur. Quelques anciens
avoient donné au principe univerfel le nom d’ame
du monde. On avoit attribué aulfi une ame à Yaimant.
Mais dans des temps poftérieurs , & fpécia-
lemeut à l ’époque dont je viens de parler, on ne
plaça plus ce principe dans la claffe des intelligences
fubaiternes & fecondaires , imaginées dans-
les fiècles précédens ; on le mit au rang des principes
que l ’on appeloit efprits, ugens, ou fluides
univerfels , matière éthérée. Cette idée produifit
bientôt une forte de révolution générale. La nature
entière parât foumife au magnétifme , & l ’o»
.voit par ces traités nombreux du fyftême du monde,,
où l ’on rapporte tout aux forces magnétiques , que
l ’on a publiés dans le dernier fiècle , combien cette
opinion avoit acquis d’empire en phylîque (i).
Tout dans la nature parut donc animé par le magnétifme.
Les aftres ou les corps céleftes étoient.
autant de ^ros aimans qui fe balançoienf, s’attr-
roient,& s entraînoient mutuellement dans Telpace*
Cette opinion, que l ’on doit à Gilbert, étoit analogue
au fyftême de l'attraction du grand Newton/
Les élémens fembloient s’attirer par un véritable
magnétifme , & opérer par une pareille aétion dans
la production des météores.
Ce puiffant magnétifme s’étendoit dû ciel fur la
terre , & tous les corps de notre globe en étoient r
difoit-on , imprégnés. C ’étoit l’aétion magnétique du;-
foleil & de la lune qui produifoit le phénomène du
balancement des eaux , celui du flux & du reflux des
mers. Les minéraux & les foffiles, les végétaux &
les plantes, tous les êtres vivans, & que comprend
plus particulièrement le règne animal, n’exiftoient,
ne croiffoient, n’agiffoient que par le magnétifme»
L ’homme lui-même, dans fa conftitution phylîque &
morale, étoit fournis à l ’empire de cette puinance»
Un grand nombre dé phénomènes particuliers, analogues
à ces différentes claffes d’êtres ou de fubftances,
étoient rapportés à la même caufe. Les
effets de l’ambre jaune , ou les attrapions électriques;
l ’aPion du mercure furies métaux; le phof-
phore ou la pierre lumineufe : la végétation des
plantes, l ’art des antes ou des greffes' pour les
arbres ; les plantes appelées plus particulièrement
magnétiques, & qui femblent fuivre le foleil &
. (r) Wircîig y medicina fpirituum. Univerfa n.~*ura ma- gnetica eji., » Totus mundus confiât & pojitus efi in ma- gnetijme•„ Omnés fublunarium vïciffitudines jiunt per magne~
tifmum. Vita confcryatur magnetifmo. Intérims omnium
rerum fiant per magnetifinum. ( lib. i , cap, zy. De uiagne^
tifmo & Jjmpotheifmo y n°. 3 , p. 148. )
la lune dans leur cours : différentes efpèces d’animaux
défignés aulfi particulièrement par la meme
dénomination , tels que la torpille y i t rémora des
anciens, un ferpent d’Amérique, appelé par le IV
Kircher anguis jlupidus Americanus ; le rana
pifeatrix ; le poiffon volant ou p i f ci s g lob ofus ;
là fyrenne ; l’impreflîon que femble produire le
crapaud fur la belette : dans 1 homme enfin le p°u_
voir fi étonnant de l’imagination ; les effets prétendus
de celle de la mère fur l ’enfant quelle porte
dans fon fein ; l’empire non moins furprenaut de
la mu fique fur les efprits , fes eftets dans la production
des pallions, dans la cure de la tarentule;
le pouvoir encore plus puiffant de 1 amour, 1 art
des falcinations ; tous ces phénomènes ne s’expLi-
quoient qu’à la faveur de l ’efpèce de magnétifme
propre à chacun des trois règnes de la nature auquel
fe rapportoient les différentes fubftances, foit
dé nature minérale, foit de nature végétale, foit
enfin de l ’ordre des êtres animés qui les préfentoient.
C ’étoit encore à ce principe que fe rapportoient la
palingénefie ou l’art de faire revivre par les cendres
les fubftances qui les avoient fournies ; les
différentes efpèces d’horloges magnétiques, par
lefquelles on prétendoit que deux perfonnes feparées
& dans l’éloignement, pouvoient communiquer en-
femble ( deux phénomènes que M. Cornus femble
avoir réalifés fous nos yeux ) ; enfin les merveilles
fameufes de la baguette divinatoire , qui tenoit
dans ce lyftême une fi grande place, & que 1 on
a tenté de renouveller de nos jours. En un mot,
comme l ’exprime fi bien le titre de l’ouvrage du
père Kircher , tous les phénomènes de la nature
étoient liés entre eux par une caufe. ou un véritable
enchaînement magnétique, mundi catena
tnagnetica.
La médecine ne tarda point à fubir le joug de
cette opinion dominante. Non feulement on avoit
admis un magnétifme animal ou propre aux êtres
animés comme on avoit admis un magnétifme végétal
& minéral ; non feulement on expliquoit par
ce magnétifme les fondions du corps humain , par
exemple , Comment dans la nutrition les différentes
parties du corps attiroient les molécules nutritives
qui étoient analogues à leur fubftance , telles que
la graiffe, les parties huileufes , les os „les parties
terreftres , & ainfi pour les parties nerveufes &
mufculeufes ; on crut pouvoir faifir ce principe ,
fervant d’inftrument à la nature dans la. conferva-
tion & l’entretien de l ’économie animale , & l ’employer
à rétablir fes fondions quand elles étoient dérangées.
Quelques faits, d’un ordre très-fingulier,
parurent indiquer dans le corps humain une elpèce
particulière de magnétifme, à la faveur duquel on
i magina pouvoir établir-une nouvelle manière de
traiter & de guérir les maladies. Les parties fé-
parées ou forties du corps vivant, telles que les
excrémens en général, certaines humeurs/comme
lé fang ou le pus fourni par les plaies , les parties
folides mêmes du corps humain , telles que des
lambeaux de chair, parurent continuer de vivre d’une
vie commune avec l'individu qui les avoit fournies*
& l ’on crut découvrir que toutes les imprefiïons
ou les changemens qu’on leur faifoit éprouver , le
tranfmettoient au même inftaut à l’individu qui
les reflentoit. Un fait très - extraordinaire donna
naiffance à cette opinion. Un homme de Bruxelles
s’étant fait faire un nez artificiel par l ’opération
de Taliacot, s’en étoit retourné, ainfi réparé dans
fes traits, au. lieu de fon féjour ordinaire, où il
continua de vivre bien portant, l ’opération ayant
réuffî. Mais tout à coup , dit-on , la partie, faétice
qu’il s’étoit procurée, devint froide, pâle, livide,
le pourrit & tomba. On ne favoit à quelle caufe
attribuer ce changement imprévu, dont on ne
voyoic aucune raifon fenfible. Mais on apprit bientôt
que le jour même de la chute du nez faétice à
Bruxelles, un crocheteur de Boulogne, q ui, pour
de l’argent, avoit fourni une portion de peau prife
.à fon bras , étoit mort dans cette ville où avoit été
pratiquée l ’opération. Peu de temps après , un fécond.
fait pareil fut recueilli, Maxwel en parle
dans fon ouvrage , & H n’,en fallut pas davantage
pour entraîner les efprits, encore livrés dans l ’enfance
de la phylîque à toutes les fuperftitions de
la magie & des anciens temps. On généralifa
bientôt ce. fait d’obfervalion. L ’elpèce de iympathie
dont il. offroit l ’exemple fut regardée comme une
propriété générale de l ’économie animale. Mille
autres faits réputés inconteftables furent cités à
l ’appui. Les alchimiftes s’emparèrent fur-tout dé
celte idée. Ils préparèrent ce.Jel du fa n g , dont ils
prétendoient que ia couleur changeoit & fe ternifc
foit à la mort de l ’individu qui en avoit fourni
la matière. L a lampe de vie , lampas vitae,
offrqit, fuivant eux , 1a même merveille. La lumière
de cette lampe s’affoibliffoit, ou s’éteignoit
dans le cas de mort ou de maladie. C’eft dé là
enfin que vint l ’art, autrefois fi fameux, de nuire
par les excrémens.
On crut bientôt pouvoir employer cette découverte
prétendue à des'ufages utiles. Le fang forti
des bleffures , le pus extrait des plaies, parurent
offrir un. nouveau moyen de guérir. On ne re-
gardoit point dans cette méthode la préfence
des malades comme néceffaire. En appliquant fur
les linges imbibés de l’une ou de l ’autre de ces
humeurs, une poudre particulière, appelée poudre
de fympathie ; ou. en enduilànt d’un onguent particulier
l’arme ou l’épée qui avoit fait la-bieffure,
& qui reftoif teinte du fang du bleffé, on affuroit
qu’on pouvoit guérir à de très-grandes diftances,
& d’une manière beaucoup plus sure & plus fa-
; lutaire que par les moyens ordinaires. On don-
noit à cet onguent le nom èéunguentum arma-
rium , à cette méthode , celui de curatio vulne-
rum magnetica , fympathetica ,* & à ceux qui
I l’exerçoient, celui de Telungiarii. On ne peut
croire'combien cette médecine fingulière acquit de
> faveur, quels partifans illuftres & diftingués elle