
§. IV. De l'effet que produifent fu r nos corps les
propriétés accidentelles-, ou les qualités phy-
Jiques de l'air.
( i ° . Manière dont on doit conjidérer les effets
des qualités phyfiques de l'air fu r nos-corps.)
Dans l 5exanien des effets que les qualités variables
de l'air peuvent produire fur nous, il eftplùfieurs
diftin&ions effentielles à faire.
Si nous confidérons ces effets relativement aux
différens états dans lefquels fe trouve Y air qui nous
environne , alors nous pourrons d'abord confidérer
abftra&ivement les effets de la chaleur ou de l ’humidité
fur nos corps. Je dis abftraétivement, parce que
l ’on ne connoît nulle part un air chaud, fans le concours
de l ’humidité ou de la féchereffe , ni un air
humide, fans le concours de la chaleur ou du froid.
Enfuite nous confîdérerons les effets des différentes
çombinaifons de la chaleur & de l'humidité dans
l'air.
Enfin comme Yair eft fufceptible de paffer plus
ou moins rapidement d'un état à l'autre, fuivant une
multitude de circonftances dont les caufes nous font
fouvent inconnues , i l faudra confidérer l’effet de
çes variations,& de ces alternatives fur nos corps;
leur action fur nous eft plus vive 8c plus remarquable
que celle des différentes qualités de Y air
portées même à un degré confidérable, mais qui
reftént conftamment les mêmes.
Si enfuite nous diftinguons les effets & les im-
preflions que Y air produit fur nous, relativement
aux propriétés dont jouiffent nos corps, nous verrons
alors que parmi ces effets, les uns, réglés par les
lois ordinaires de la Phyfique, ont lieu dans nos
corps comme dans un compofé de canaux 8c de liquides
difpofés fuivant les lois d’un mécanifme particulier
; les autres dépendent de la fenfibililé de nos
organes, & font variés à l ’infini par cette fîngulière
propriété. Ceux-ci n'ont aucune mefure confiante ,
& varient, non feulement fuivant le degré & l’inten-
fité de cette fenfibilité , mais encore fuivant les
modifications infinies dont elle eft fufceptible; car
j l eft des perfonnes , q u i, fans avoir un degré de
fenfibilité plus confidérable que d'autres, font affectées
d'une chofe dont les autres rte font pas fufcep-
tibles , 8c cependant fentent beaucoup moins des
impreflions très-fenfibles pour d’autres. Au contraire
, les effets qui (ont réglés par les lois ordinaires
de la Phyfique, $ç qui dépendent des propriétés
générales & communes a tous les corps
fenfibles & infenfibles , organiques 8c inorganiques,
font réguliers & uniformes, & fuivent la proportion
de ces propriétés , à moins cependant qu’ils ne
foient dérangés eux-mêmes par l’effet irrégulier des
impreflions que reffent en même temps notre len-
fibilité.
• ( 20. Degrés de chaleur & de froid auxquels
le corps humain peut être expofé naturellement. )
L e froid & le chaud ne font, comme nous l'avons
déjà dit, que des qualités relatives, au moins quant
aux degrés qui déterminent nos fenfations. Ainfî, pour
déterminer l ’effet d’un air chaud ou froid fur nos
corps , i l faut avant tout partir d’un point effen-
tiel ; c’eft que la chaleur du corps humain & celle
du fang qui eft le véhicule de la chaleur dans
toutes les parties du corps , eft communément de
27 à i8 , ou tout au plus 29 degrés au thermo-
mè:re à mercure de Réaumur, gradué de maniéré
que le 8oe degré foit le degré ordinaire de l'eau
bouillante. Boërhaave fixe la chaleur ordinaire du
corps de l’homme au pze degré de Fahrenheit, ce
qui revient au z6 y de notre échelle; celle de$
enfàns à , qui répondent à 17 y. ( Elementa
Chemiasy editio altéra. Paris, 17 f 3, t. 1 ,pug. 103.)
Ces termes font peut-être un peu foibles & d’ailleurs
variables & différens chez les différens individus.
Piufieurs obfervateurs, comme M. Richmann
& M. Blagden,fixent la chaleur naturelle de l’homme
fain à97 8c p8 de Fahrenheit, ce qui revient à a8 ^
& à zp y de notre échelle. Toutefois il en refaite
que naturellement le corps humain eft pref-
que toujours plongé dans une atmotphère moins
chaude que lui.
Dans le climat de Paris, la chaleur , obfervé©
à l ’ombre dans les étés les plus brulans , ne fait
jamais monter le thermomètre au delà du z6 ou
.tout au plus du 28e degré au deflus de zéro , fur
l ’échelle de 80 degrés. Ce dernier degré même fe
rencontre Fort rarement, & alors la chaleur de
T’atmofphère eft égale à celle du fang. Le plus
grand froid qu’on ait jamais reffenti à Paris , n’a
jamais fait defeendre le thermomètre au deffous de
15 ou 16 degrés au deflous de zéro ; les froids
mémorables de 17051 & de 1776 n’ ont pas pafle
ce terme; & même celui de 1776 n'a pas atteint
ce degré fur l’échelle de 80 degrés. Ainfi, dans
le climat de Paris il y a un intervalle de 43 ou
44 dégrés entre le plus grand froid & le plus grand
chaud. Mais cette différence n’eft pas ordinaire, &
dans une année commune elle n’eft guère que de zp
ou 30 degrés, c’eft-à-dire , qu'elle eft ordinairement
bornée à l’intervalle compris entre le 6 ou
7e degré au deflous de zéro, & le 2.3 ou 24e au
deflus. La différence journalière de la nuit au
jour eft bien moindre , mais bien plus variable ,
& elle doit être confédérée principalement quand
il s’agit des viciflïtudes atmofphériques.
Si l’on recherche maintenant quel eft le degré
du plus grand chaud & du plus grand froid quon
puiffe éprouver naturellement fur le globe habité ,
on verra que c’eft en général dans l ’Afie & dans
l ’Afrique que l ’on doit trouver les plus grandes
élévations du thermomètre. Au Sénégal, M. Adan-
fon a vu le thermomètre de Réaumur marquer à
l ’ombre 31 & 34 degrés pendant le jour dans le
temps des pluies, c’eft-fà-dire, cjaus le temps du
fécond paflage du foleil ou de fon retour vers
l ’équateur ; c?e ft, fuivant lui , le temps le plus
chaud de l’année dans ce pays. Cependant M. David
X4 cadf desSq*. 17$ 8, Mém, p . 401 &401} a obfervé*.
W 1738, fur le thermomètre de Réaumur, que la
chaleur étoit parvenue le 1 z avril, entre midi 8c
3 trois heures, au degré 38 -J; mais 11 les thermomètres
dont, MM. Adanfon 8c David fe font feryis ,
font faits fuivant la première graduation de Réaumur,
qui étoit de 100 degrés entre le terme de
h glace & celui de l ’eau bouillante , alors le
28e degré de l ’échelle de 80 degrés répondant au
35e de cette échelle , la plus forte chaleur du
Sénégal fe trouvera excéder de bien peu les plus
fortes chaleurs de nos climats , puifque le degré
38 y. répondra feulement à 30 y de l ’échelle de
80 degrés, fauf les dédu&ions à faire pour l ’inégalité
des expanfions de l ’elprit-de-vin, 8c la différence
qui fe trouve entre la marche de-fes dilatations
8c de celles du mercure. Mais çes chaleurs
diffèrent énormément des nôtres par leur continuité',
8c parce que la différence naturelle entre
les moindres chaleurs 8c les plus grandes , pi i fes
aux mêmes heures & dans le milieu du jour, eft très-
petite ; car M. Lind remarque qu’en décembre,
temps du plus grand éloignement du foleil dans
Ce pays , le thermomètre de Fahrenheit marquoit
513 degrés au Sénégal 8c 98 à-Sierra-Léona , ce
qui revient pour le Sénégal à 17 y , & pour Sierra-
Léona à' zp y fur notre échelle de 80 degrés ;
d’où il refaite une bien petite différence entre les
chaleurs de ce pays dans les jours les plus chauds
& les plus froids. Au refte , nous ignorons fi ce
font là les plus fortes chaleurs-& les moindres' de
ces contrées. Pour le« plus fortes chaleurs, il eft
poflible que l’intérieur des terres en offre encore
de plus grandes ; & celles qu’on éprouve dans les
lieux expofés au foleil, ou celles que confervent
les fables & qui brillent les pieds des voyageurs,
font beaucoup au deflus. A l ’égard des moindres
chaleurs du Sénégal ce que nous venons de dire
doit s’entendre feulement des obfervations faîtes au
milieu du jour, dans les temps les moins chauds
de l’année; car les différences qui ont lieu entre les
températures des différentes heures de la journée,
font beaucoup plus fortes que celles qui ont lieu
entre les différens temps de l’année , aux mêmes
heures du jour ; ce qui eft juftement le contraire
de ce qui arrive chez nous. M. Adanfon remarque
que fon thermomètre étant à 31 & 34 le jour,
étoit à z 6 la nuit, & étant dans un autre temps
à a6 8c 28 pendant le jour, étoit à zz la nuit; ce
qui1 n’approche pas encore de ce qu’obferve M.
David, qui a vu pendant piufieurs jours du mois d’avril
où le thermomètre marquoit, dans le milieu du
jour 24 & 27, le même thermomètre fe tenir à
14 & à 15 entre cinq & fix heures du matin. Il
faut obferver que cette heure, qui eft celle de l ’aurore
dans la Zone - Toride , eft en général la plus
froidç de toute la journée. Il fuit de là que la
différence de chaleur dans une même journée e ft,
au Sénégal, de 10 à 1 a degrés , tandis qu’elle n’eft,
année commune, que de 4 à 7 entre lés jours les plus
fîoids 8c les jours les plus chauds. Quoi qu’i l en foit,
U réfuite toujours que la plus grande chaleur atmosphérique
connue dans un des climats les plus chauds
de la terre, eft de 30 degrés & y fur l’échelle de
80 degrés" au thermomètre de Réaumur.
Il y a donc peu de différence entre ces chaleurs
& les plus fortes qu’on reffente dans nos climats
feptentrionaux. Gmelin pailc d’une chaleur fupe-
rieure à celle du Sénégal , que le. d’o&eur Lerch
éprouva à Aftracan, à peu près fous le même parallèle
que Paris , & qui rit monter le thermomètre
au degré 103 - de Fahrenheit, ce.qui revient
à 31 y de notre échelle; ( P roe f ad f o r . Sibiric.
ed. Petropol.i'j.ûf'jy p. Ixxxj.) &pourlaSibérie,quoiqu’il
ne parle pas du degré de chaleur qu’on y relient
en été, on peut préfumer que ces chaleurs font fortes,
puifqu’il le fert du terme à’ce f l as fervidijjïma,
été bouillant, en parlant des fontaines dont l’eau
eft glacée au. coeur de l ’ cté. ( 1 b. p. xlvij. ) On
fait en effet que dans les climats feptentrionaux
habitables, la continuité de quelques mois de beau
temps , dans le temps où le foleil s’approche du
Tropique du Cancer, élève la chaleur à un degré très-
fort, dédommage des longs frimas qu’on y éprouve ,
& ranime & accélère fîngulièrement la végétation.
Si la chaleur naturelle la plus forte poflibie eft
à peu de chofe près la même dans tous les climats
habitables, comme l ’a déjà très-bien obfervé M.
de Mairan [A c . des Sc. , an. 1765. ) , il n’en eft
pas de même du froid, 8c la nature a pouffé le
froid dans certains climats jufqu’aux derniers termes
que peuvent fupporter la végétation & la vie animale.
Ce terme, il eft vrai, eft variable, & diffère, .même
pour des animaux de même genre 8c de même efpèce,
félon l ’habitude qu’ils en conlraétènt; habitude dont
la force s’étend même jufques fur les végétaux.
Gmelin dit avoir vu en Allemagne les oifeaux
tomber de froid au degré o du thermomètre de
Fahrenheit ( 14 y de notre échelle) , & cependant
avoir vu les habitans de la Sibérie être très-furpris
de voir le même accident arriver aux oifeaux de
même efpèce dans leur pays, quoique par des
froids bien plus violens. Un froid très-ordinaire
en Sibérie eft, félon fon rapport, celui qui fait
defeendre le thermomètre au 54e degré de Fahrenheit
au deflous de zéro. Ce degré répond ail 38e
degré au deflous de zéro du thermomètre de Réaumur
, graduation de 80 degrés. Mais le cinq janvier
1735" , à Jénifeisk , M. Gmelin obferva depuis
6 heures du matin jufqu’à huit heures, un froid
qui fit defeendre le thermomètre de Fahrenheit au
degré 120 ,76 au deffous de zéro ; ce qui fait pour
notre échelle 67 y au deffous du terme de la glace.
C ’eft ce degré que M. de Mairan rapporte au 70e
de fon thermomètre : alors les pies & les moineaux
tomboient engourdis à terre, piufieurs bêtes
fauves périrent dans les forêts , & des voyageurs
eurent les membres gelés. ( Flora Sibir. preef.
pag. LXXIII. ) Ainfi , la différence entre les temps
les moins chauds du Sénégal & les plus grands
froids de Sibérie, eft environ de 83 degrés: on dit