
hommes des effets étonnans , même la mort. Pline
rapporte ( liv. 7 , c. 53 ) , que Diodore mourut
de honte 8c de douleur , pour n’avoir pu répondre
fur le champ aux queftions que Stilpon lui fit.
Creech fe pendit de défefpoir , parce que fa traduction
d’Homère fut mal accueillie. Les filles'de
Milet fe tuojent elles - mêmes : le remède que
1 on employa^ pour ce dérèglement d’efprit , fut
de menacer d expofer toutes nues, & la corde
au cou , aux yeux des paflans , celles qui dans
la fuite attenteroient à leur vie : la pudeur fit une
telle impreffion fur leur efprit, que depuis le décret
porté par le fénat , aucune ne. fe donna la
mort, ce que l ’on peut voir dans Plutarque. Les
magiftrars^ frappèrent leur imagination par une
autre paflîon de l ’a me ; & celle de la pudeur étoit
tres-puiflante chez les Miléfîennes. Les enfans de
Lacedemone fouffr oient d’être fuftigé,s jufqu’à la
mort , fans jeter un foupir , feulement pour ne
pas fouffrir le déshonneur d’être appelés lâches,. Il
eft fouvent arrivé qu’une demoîfelle délicate, qui
ne peut fouffrir la piqûre d’une abeille fans tom-
^ber en défaillance, fouffre dans la maifon de fon
père les douleurs de i ’eufantement , fans donner
le moindre ligne de .douleur. L a crainte de fe
voir découverte, & de la perte de fa réputation,
lui donne un courage viril : mais ce qu’il y . a
de plus étonnant dans cette pafllon c’eft ce que m’a
-raconte mon ami le dofteur J. Conrad Amman,
auteur-du traité des plantes de Sibérie. I l afïîfioit,
dans 1 hôpital de Londres , à l ’opération de la
taille qu’on fit fur neuf enfans. Les deux premiers
jeterent des cris lorfqu’on leur fit l ’opération.
L e chirurgien engagea les autres à ne pas
montrer qu ils étoient des enfans , & à prouver
aux affiftans qu’ils avoienf un corps d’homme :
;un deux fe mit à dire d’un ton de voix ferme &
affure, j e ne crierai pas; & effectivement lés affiftans
furent fai fis d’un fentimént d’horreur mêlé de plaifir,
en le voyant fouffrir cette terrible opération fans que
l ’on entendît le moindre gémiffement : il n’avoit
pas plus de neuf à onze ans. Tous furent fi émus
de cette aCtion étonnante de courage , que chacun
lui fit prélent d’une fomme d’argent, pour ré-
compenfe de . fon intrépidité. Cet effet , produit
par la hpnte, eft le plus- étonnant de tous ; & ,
le plus remarquable ; quiconque a vu faire cette
opération en fera toujours étonné. Une demoiselle
, furprife par fes règles dans une voiture publique
, en fut fi affeftée, qu’elle fut faifîed’une -
violente fièvre , : & en mourut.
Prefque tous les remèdes font inutiles dans cet
état. Je confeillerois à ceux qui font affeCtés de
cette maladie, des qu’ils commencent â fgntir de
ropprefiion, de fe mettre à cracher & à touffer.
De cette’ manière, l ’air fortant du poumon , la
circulation eft accélérée, & le cerveau ne fe gorge
pas de fang , qui trouble le jugement. Mais ces
fprtes de malades font fi malheureux, qu’ils perm
î t la mémoire dans l ’inftant, & ne fe louviennent
plus du remède.. La nature eft plus prévoyante;
nous voyons un enfant dont la mémoire a mal retenu
fa leçonun prédicateur .dont la mémoire
vacille, un prêtre qui récite en public les mif-
tères facrés- & qui eft troublé , qui , pour fe
remettre , tou fient & crachent machinalement..
Enfin la colère eft le remède de cette maladie
; c’eft pourquoi , ceux qui en font attaqués,
fe fâchent aifément en parlant d’une voix forte &
d un ton dur, fans s’en apercevoir. La nature excite
cette voix haute , aigre , • & contentieufe , pour
exciter la circulation dans les poumons : mais
auflî-eôt qu’ils fe taifènt, qu’ils cherchent a écouter
ce qu un ami ou un domeftique fidèle veut
leur dire , ils tombent dans ce fymptôrue déplorable.
J’ai raconté tout ce que je fouffre depuis
tant d’années, fans efpérance de remède?
La paflîon de l ’amour eft une infirmité qui
dépend de la foiblefle 8c de la fragilité de l’ef-
pnt. Elle demande un traitement comme toutes les
autres partions qui viennent de la débilité ou du
relâchement du fyftême nerveux. Dans cette paf*
fion , il y a deux temps dont les effets font diffé-
rens : le premier eft lorfque l ’amant voit que
l ’objet aimé eftpofledépar un autre que lui, 8c que
l ’attachement qu’on avoit pour lui eft détruit#,
Alors cette paflîon peut produire toutes les maladies
du cerveau , & caulèr la mort.
On voit dans l ’hiftoire, que la mère de Charles V
voyant fon mari Philippe I . donner devant elle des
Agnes non équivoques de fon amour à une dame de
la cour, elle en fet fi émue & fi étonnée, qu’elle
en perdit le jugement pour toujours; d?od il lui
eft refté le nom de Jeanne la folle. Je ne me ra-
pelle pas d’avoir vu cette paflîon mieux décrite quç
dans Horace (ode 1 4 , l iv . I .,) lorfqu’il fe plaint
de la préférence que Lydie donne à la ,beauté ds
Télèphe,
Quù.m tu , lyd ia , Telephl
Çervicem' rofeam , & cerea Telephj
Laudas brachia -j y,oe, meum
Fervens difficile bile tiuriet jecur.
Tune nec mens îvihi, mec color
Çertafede ma.net • hiimor & in gênas
Furtun labituy, drguens
Quam lentis pe-nitàs macerer ignibus,
« Lydie , lorfque je vous entends louer la blan-j
» cheur du cou de Tdlèphe „ oji la beauté de fes
» bras ^ mon foie fe gonfle d’une bile brûlante
» & qui ne peut plus circuler dans fes vaifleaux.
» Alors mon efprit eft dans -le trouble; les cou-
» leurs de mon vifage varient à tout iuftant; &
» les larmes, qui s’échappent malgré moi, prouvent
» qu’un feu lent me dévore & me détëèche entiè-
» rement ».
Dans cette defeription de l ’amour les effets de l ’a-
mour ne font pas dans le degré le plus violent : lq
foie eft gonflé , le jugement vacille ,• la couleur ou
vifage change à chaque moment, fi'gnes de la variation
8c du défordre continuel des mouvemens du coeur ;
vous voyez cette paflîon finir par des larmes, qui
fervent d’allégement à tant de maux« Lorfqu’ils font
accompagnés de gémiffemens', de foupirs, de lamentations,,
la nature cherche par ces mouvemens à
accélérer la circulation dans le poumon ; ce qui
fert de remède. juvenal? dans fa fa lire quinzième ,
vers 13 t admire la prévoyance de la nature, qui
nous donne des larmes pour nous foulag.er dans
nos malheurs.
« L a nature, qui a fait préfent â l’homme du don
» des larmes , lui a auflî donné un coeur facile à
» s ’attendrir; c’elt ce coeur qui, fait la meilleure
» partie de nous-mêmes ; c’eft lui qui nous fait
» partager la douleur d’un ami ; qui nous intérefle
» même fur la punition d’un coupable , & nous fait
» approuver la jufte demande d’un pupille envers un
» tuteur infidèle ».
MolliJJîma. cùrdd
Humano genéri dure fe naîura fatetur ,
Quai lacrymas dédit, keee nojiri pars optitna fenfus ƒ
V io rare ergo jubet caufarn. lugentts amici
Squaloremque rei , pupillum ad jura vocantem
Circumfcriptorem. . . . .
Mais les partions violentes d’amour, de crainte,
de triftefle, qui dépriment & détruifent le fenforium
commune, caufent de plus grands maux, lorfqu’il
fêfte des .forces fuffifantes pour vaincre le mal que
fait la paflîon: àufli-tôt il furvient des larmes, des
foupirs, des gémiffemens , qui font l’office de la
fièvre.
La paflîon de l ’amouraccompagnée de jalou-
fie, de déshonneur, de honte, peut caufer non feulement
la mélancolie, l-’atrabi-le, mais encore la
manie, la frénefîe.
« Il n’eft pas- de maux que la jaloufîe n’enfante
» ( dit Zimmerman ), ; j’ai- eu occafion de voir les
» grands hôpitaux de Paris. J’y ai remarqué trois ef-
» pèces de foux : les hommes l ’étoisnt devenus par
» orgueil, les filles par amour , les femmes par ja~
w loufîe. Tons ces malades m’avoient l ’air d’autant
» de furies ». Traite' de Vexpérience , t. 3 , trad.
de M. le Febvrè de Villebrune, pceg. 283.
A cette claffe appartient auflî cette paffion que
plufieurs appellent fuperftition, & que nous appelons
communément faufle dévotion. Cette inquiétude
de l ’efprit, cette Crainte , ce défefpoir de la
damnation éternelle peuvent caufer foutes les maladies
de cerveau, depuis le vertige, qui eft là moindre,
jufqu’à l’apoplexie complette. Ordinairement
Cette paffron produit l ’atrabile dans les climats méridionaux.
On en peut voir les effets décrits dans
Aretée, lib. I , cap. 6 , de càufis & Jignis diutur-
'jiorum morb. p. 33 , édition de Boerrhaave.
J’ai traité de la première divifion des partions de
l ’âme qui, relâchent 8c rendent foibl-e le fyftême
nerveux , & dont le mouvement eft de la circonférence
au centre. Ces partions font ordinairement
contraires à notre confervation ; elles font la caufe
des morts fubites , & la- porte la plus grande &
la plus fréquente par laquelle les hommes qui
vivent en foeiété, fortent de ce monde. Il faut lire
fur cette matière la nouvelle Philofophie de Vhomme
, par d’Oliva Sahuco, édition. 1718, in-4*
Madrid; & Oclavius Branciforti, de animorum-
perturbationibùs. Catartea, 1631, in-4.
Nous allons traiter des partions de l ’ame qui fervent
à notre confervation : quand elles font modérées
, elles confervent la vie ; ^lles font l ’âme de
la foeiété & la caufe de la propagation du genre
humain; elles fervent de remède aux partions d’in-
quiétud'es, dont nous avons traité plus haut.
Çes partions font le contentement, l ’alégrefle,
l ’amitié , la colère, & f efpérance.
Sandlorius, feét. 7 de fes aphorifines, obferve que
ceux qui-, font affeétés de ces partions ont le corps
plus -léger ; que la tranfpiration eft augmentée ;•
que le pouls eft- régulier ; que le fommeil & la>
dïgeftioiï font parfaits ; que le travail ne fatigue-
pas ; que le voyageur, continue fon- chemin fans
laffitude : ce que notre Camoëns a exprimé admirai
bienaent.
Cantà 0 pre\o' documenté
Os duros grilkoens tocando y
Cant-a o fegador contente,
E o tr'abalhador cantandot,
O trabalho menos fente.-
Le prifonni'e'r, foUis une double grillé y
» Par des chantons adoucie fes tourmens-j
» Le moiffonneur, courbé' fur fa' fàucillé,
s» Peint la gaîté, l’exprime par fes chants ï
»i Le laboureur, au ftûp. de fa famille ,
jj Chante, &, plus gai, court aux travaux des champss^
Dans ce‘s partions modérées le Corps éprouve urt
j‘e ne fais quoi que le fentiment feul peut expliquer
, & l’efprit un bien-être femblàble à un nuage y
dont il joüib fans le diftlnguef parfaitement. Celui
qui fera d’une conftitution affez' heureufe pour pouvoir
conferver la gaîté de l ’efprft, aura un foula-
gement & même un remède à plufieurs maladies.
Pechlin (liv. 1 , obf. 27', p. 463 ) a vu des goutteux"
dont lés douleurs étoient fufpendues toutes les fois
qu’ils étoient égayés ou par une c'onverfation agréable
, ou par la mufique, ou par la compagnie des
perfonnes qu’ils aimoient. Tout le monde fait ce
que l ’on dit d’Alphonfé Roi de Naples : la leéïure
de Quinte-Curce, qu’il aimoitde paffion , le guérit
d’une fièvre lente. On dit la même chofe de deux
hommes très-favans , Peyrèfc & Conringius. L e
même auteur rapporte qu’un goutteux ayant appris
qu’i l avoit étq nommé à une charge honorable,