
accoutumé, & la guérifon trop prompte de certains
ulcères, peuvent avoir des fuites funeftes} ce que Stahl
attribue avec raifon aux caufes expofées ci-deffus.
Tels font, dit Stahl, les effets de l ’habitude , auxquels
on pourroit en ajouter d’autres. On pourroit
dire , aj mte - t - i l , que les paffi'ons , telles
que la colère, la terreur, l ’anxiété, &c. , ont
beaucoup de penchant à devenir habituelles. En fécond
lieu, ne pourroit-on pas conjecturer que les
caufes qui , pour produire un effet dans le principe ,
avoient befoin d’une activité confidérable , fortifiées
• par l ’habitude , doivent dans la fuite agir avec
autant d’efficacité, fans être en elles-mêmes auffi
énergiques.
On peut attaquer les habitudes , dit Stahl en
finiffant , par deux méthodes différentes. - L’une
confîfte à faire fes efforts pour en fecoüer Je joug,
Sc les prévenir par des mouvemens contraires a
ceux qu’elles excitent dans l ’économie animale ;
l ’autre efl d’oppofer des fpécifiques a chaque maladie
fur laquelle l ’habitude femble avoir le plus
d’influence.
Parmi les auteurs modernes, M. Cullen eft un
de ceux qui ont le mieux écrit fur Y accoutumance
ou habitude. î l en parle d’une manière très-fa-
tisfaifante dans plufieurs articles~de~fes élémens dè
Méd ecine pratique , & dans les leçons de matière
médicale [Lectures on the médic. mat.
On y trouve les principales idées de l ’auteur à
ce fujet, rangées en différais articles. Je le fuivrai
dans cette marche, & j’ y ajouterai mes propres
réflexions.
i° . Sur les folides fimples. Les différentes
parties cônftituantes des folides deviennent plus
mobiles par une flexion répétée, & fi elle a eu
lieu plus fbuvent dans un fens que dans un autre,
ce fera dans cette direction que la flexibilité fera
plus grande ; ce qui eft analogue à l ’habitude, &
en explique diverfes circonftances. 11 en eft de
même des fluides ; les canaux dans lefquels ils
coulent fbuvent deviennent, par cette raifon, plus
propres à les recevoir. Ainfî, les corps abandonnés
aux lois mécaniques fourniffent eux - mêmes relativement
à cette queftion ,<des faits que nous pouvons
mettre à' profit.
Les cordes vibrantes , & que l ’on fait ofcilier
un grand nombre de fois , fe relâchent, & l ’on a
befoin d’une tenfîon nouvelle pour en obtenir les
mêmes réfultats. En général, les cordes plus tendues
vibrent plus fortement ; c’eft ainfi, dit M.
Cullen , qu’en donnant à un enfant foïble & chancelant
un poids à traîner , on augmente la tension
de fes fibres, & on le voit marcher avec plus
d’aflurance ; c’eft auffi de cette manière que la plénitude
des vaiffeaux donne en général de la force ,
en ajoutant à la tenfîon : à la vérité, le pouvoir
nerveux eft excité par le fiimulus qui croît en
même proportion , parce qu’i l eft impoffible , dans
le corps vivant, d’ifolcr un de ces phénomènesj
mais la vérité des premières propofitiofis ne fâtH
roit cependant être révoquée en doute.
i° . Sur les organes des fens. C’eft principalement
fur lès fens que l ’habitude a une influence
très-marquée. Par elle , les liqueurs les plus fpi-
ritueufes , les fubftances les plus amères , les odeurs
les plus fortes perdent prefque toute leur inten-
fîté ; par elle les impreflions deviennent durables ;
c’eft elle qui jette les fondemens de la mémoire ;
elle rend'la perception plus nette,, plus profonde,
plus sûre; & c’eft fous ce rapport, comme on l ’a
dit, qu’on ne fait bien que ce qu’on a oublié plufieurs
fois.
Les fubftances médicamenteufes qui agiffent fur
les organes dès fens , & en général fur .tous les
organes fenfibles , perdent bientôt une partie de
leur àélion, & ont befoin d’être données â une
plus forte dofe , ou au moins à une dofe différente
, avec quelques interruptions, fans quoi leur
effet eft beaucoup diminué } d’où il fuit encore
que c’ eft une mauvaife pratique d’expofer le corps
à l ’aâdon trop long-temps foutenue des ftimulans,'
parce qu’il s’y accoutume , & qu’i l eft difficile
enfuite d’y opérer les changemens que l ’on pourroit
défirer , & qui font néceffaires pour la gué-
rifbn du malade.
Quelquefois une dofe trop forte d’un médicament
irritant, de tartre ftibié , par exemple, rend
l ’eftomac fi fenfibie , qu’il eft impoffible , pendant
long-temps, d’employer même une très-petite dofe
de ce même fel , fans produire des accidens fâcheux.
De même une peur fubite & violente rend
laperfonne qui l ’a éprouvée, très-fenfible à la plus
légère frayeur. On ne peut tirer des cas de cette
nature aucune induéfion contre les effets fufdits
de l ’habitude. Ici ce ne font point des aâes fem-
blables fouvent répétés} c’eft une irritation très-
forte, qui a. porté à un haut degré la tenfîon
de la fibre.
Le défaut d’une fenfàtion accoutumée devient
une fource d’inquiétude & de malaife ; ce qui a
fait dire que l’habitude rend la privation cruelle 3
mais elle rend auifi la jouiffance infipide : il fem-
ble qu’elle foit deftinée à dépouiller les objets des
charme.s dont I’illufîon les avoit embellis.; Elle
fait plus -, elle les met quelquefois au-deflous de
leur prix.} de force que l ’homme, incertain dans
fes jugemens & tour â tour le jouet de l’imagination
& l ’efclave, de l ’habitude, a befoin de réfléchir
très-férieufement, pour diftinguer dans quels
cas il, eft véritablement libre , quand il voit bien ,
& quand il obéit à la raifon.
Les.fenfations très,-foibles font ennuyeufes. Sont-
elles trop vives ? elles deviennent pénibles j celles
qui font modérées peuvent feules être foutenues
fans fatigue. En change - t - on les circonftances >
l ’effet mécanique reftant le même , on voit auffi-
tot la douleur fuccéder au plaifir , ou le plaifir â
la douleur. Reftent-elles long-temps les mêmes,?
quelque douces qu’elles aient paru d’abord, ellesceffent
de plaire , elles deviennent infipides : de la
l ’amour de la nouveauté.
Les effets du froid & du chaud fur les corps
animés montrent, encore combien nos, relations influent,
fur la manière de. fentir. Un- corps dont le
degré de. froid ou de .chaleur n’aura point varié ,
fera jugé , chaud, ou froid , fuivant la difpofition
de la main .qui le touchera ; & ces difpofitions
elles-mêmes feront modifiées par l’habitude , c’eft-
â-dire par- les fenfations auxquelles on fera accoutumé
» d’ avance : le froid habituel doit donc diminuer
la fenfibilité, en donnant aux fibres plus de
roideur : la chaleur produit en général l ’effet contraire.
I l y a un’ grand nombre de cas où, quand nous
croyons êtrëconduits par 'l ’ébranlement des organes
des fens, nous n’obëmons qu’à l’habitude. On peut-
appiiquer cette rëflekion à prefque tout ce que
ndus répétons chaque jour depuis long-temps. Ainfi,
fe coucher, fe lever, prendre fes vêtemens, écarter
pu rapprocher les meubles de fon apparté^
ment, & c ., & c ., font autant de mouvemens pour
lefquels le jour & la lumière font prefque inutiles,
& le plus fouvent ne nous fervent point ;
lès mains , accoutumées aux diftances , ont ffaifi
ce dont on â befoin , avant qu’on y ait regardé.
Certaines idées font tellement liées entre elles,
que l’une ne peut fe renouveler fans que l’aütre
jouiffe de toute fa force : ainfi, la vue d’un. mets
agréable fait jaillir la falive dans la bouche} celle
d une fubftance nauféabonde foulève le coeur. Dans
tons ces cas, qüi font en grand nombre , des caufes
occafîonnelles excitent le fouvenir & renouvellent
d’anciennes ofcillations. Prefque tout l ’intervalle
qui fépare les événemens eft détruit , & une fen-
fation femblable à celles qui ont déjà exifté , en
fait pour un moment difparoître toute la diftance.
D ’où i l fuit, que le temps doit couler très-rapidement
pour ceux qui affocient un grand nombre
d’idées , & dont la mémoire eft très - féconde &
l ’ame très - fenfibie , non feulement parce qu’une
grande activité ne laiffe point de place à l’ennui,
mais encore parce que les fenfations analogues ou
femblables étant fouvent renouvelées , la diftance
des temps & l ’éloignement des époques échappent
en même proportion au fenforium : le préfent s’enrichit
par le tableau d’un grand nombre de faits
paffésj & à cette jouiffance fe joint le défîr impatient
d’atteindre l ’avenir.
Je rapporterai ici quelques exemples familiers
d’affociation d’idées. La plupart des hommes dorment
profondément dans le calme de la nuit, &
cependant on en a vu qui , accoutumés pendant
leur fommeil à entendre un bruit continu ou même
varié, ne pouvoient dormir lorfqu’ils étoient couchés
dans un lieu où toutétoit paifible. Les fous dont
la tête eft le plus dérangée , fe rappellent fouvent
des circonftances paffées, & ont une lueur de
jaifon lorfqu’ou fait paroître devant eux des objets
quelconques auxquels ils ont été long-temps ac--
coutumes, & qui excitent en eux le fouvenir de
quelques perceptions anciennes.
Enfin, la fan té dépend elle-même des difpofitions
organiques contractées par l ’habitude ; de forte que
ce qui eft regardé par la plupart des hommes.
comme leur étant contraire , leur devient quelquefois
d’uné indifpenfable néceffité. On rapporte ,
dans l ’ancienne encyclopédie , au mot habitude,
' un fait qui prouve cette affertion. Une foeur de
l ’hôtel-dieu alloit chaque année voir fa famille à
Saint-Germain-en-Laye; elle y tomboit toujours
malade , & elle ne gùériffoit qu’en revenant ref-
pirér l ’air de cet hôpital.
3°. Sur les fibres & les organes irritables.
Les mufcles font , de foutes les parties du corps
humain , celles qui ont le plus befoin d’être exercées
, & fur lefquélles l ’habitude a le plus' d’in-
fluence.
Winflow a fait voir qu’un grand nombre de
puiffances concourent à chaque aétion. Il faut donc
que les mufcles fe foient effayés long-temps , avant
d’acquérir , dans leur contraction , i enfemble & la-
' précifiôn néceffaires à certains travaux ; il. y a plus ,
chaque efpèee de mouvement a des modifications
qui lui font propres : ainfi , l ’un eft exercé aux arcs
du deffin & de l ’écriture , d’autres à ceux de la
forge, de la taille des pierres} & les conditions
néceffaires aux progrès des premiers , nuifent à
ceux des féconds : mais dans tous les cas , les différentes
parties irritables deviennent enfin tellement
habiles dans l ’exécution , qu’au plus léger fignal
de la volonté , ce qui a coûté tant de peine à
apprendre , fe fait promptement, facilement, & fe
répète même fans que l’on y apporte une grande
attention. Qui ne reconnoîtroit pas ici le pouvoir
de l’habitude ?
Chaque mouvement auquel on s’eft accoutumé
, fe fait avec un certain degré d’effort &
de tenfîon. Ainfi , les ouvriers qui ont coutume
de travailler avec des inftrumens d’un certain poids
& d’une certaine forme , n’ont pas la même adrefïe,
ni par conféquent la même fureté avec d’autres
outils.
Il y a certains mouvemeus que l ’habitude affo-
cie , & auxquels il eft très-difficile enfuite d’imprimer
des nuances différentes: tels font ceux des
deux mains , des deux yeux, Ôçc,
Les mufcles extérieurs ne- font pas les feuls
qui aient befoin , dans leur aftion, d’une tenfîon
déterminée. Les vifeères irritables font dans le
même cas. L ’eftomac , par exemple , ne remplit
point fos fonctions s’il eft relâché , & les effets
lalutaires des toniques peuvent feuls , dans bien
des cas , lui rendre le degré d’énergie vitale né-
ceffaire à la digeftion } le ton, qu U acquiert fo
propage fympathiquement aux autres organes :
c’eft ainfi que le fiimulus des liqueurs fpiritueufès'
devient quelquefois nécenaire aux perfonnes qui
en ont contracté l ’habitude : leurs' mufcles font
1 . M * -