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tîlien dit dans le chap. i er. de inflitutione ora-
ioriâ, /. i .
Salrauth rapporte , centurie 3 , obferv. 5 6 ,
qu’une petite fille étant morte dans un accès d’é-
pilepfîe ; fon frère, qui étoit préfent, fut attaqué
de la même maladie : il fe tira de cette attaque ;
mais le mal revint plufieurs fois , & il finit par
périr dans des cbnvulfions. Il rapporte dans le
même endroit que deux amans" p a fiant“ dans un
'jardin, la " jeune perfontie fut prife d’une violente
hémorragie par les. narines ; fon amant ,
ne Tachant que faire pour la fecourir , fut fi
effrayé , qu’il fut pris dans le ’ même inftant
de la même hémorragie. Robert Boyle , • dans
fon fécond traité de Philofophie expérimentale
, affure, d’après plufieurs expériences , qu’une
femme hyflérique communique fa maladie aux
autres femmes qui font préfentes dans le moment
de {es accès.
Nicolas Pechlin , obfervateur exaél & judicieux ,
rapporte que deux dames furent attaquées de la
petite vérole , pour avoir vu , de lo in , deux personnes
attaquées de cette maladie. M. Mortimer,
Secrétaire de la Société royale de Londres , rapporte
un fait femblable dans les tranfaélions philosophiques.
Mon ami M. Kaau Boerrhaave rapporte
, dans fon traité-cité plus haut, un fait*
àffez remarquable de convulfibns qui fe commu-
niquoient parmi tous les enfans .de l’un & de,
l ’autre fexe de l’hôpital de la ville de Harlem ,
&. comment le grand Boerrhaave , fon oncle , s’y
prit pour guérir cette efpècé d’épidémie. Un célèbre
médecin de Paris ( M. Bouvart ) fit ceffer
de la même manière une maladie femblable > qui
fégnoit à l ’hôpital général. Je pourrois citer un
plus grand nombre de faits ; mais ils font li connus
dans les grandes villes , que je penfe qu’i l eff
inutile de s’amufer à les, recueillir. Des gens de
mauvaife foi fe font quelquefois Servis de ces
effets très-naturels, pour en impoier à la multitude.
On trouve dans le tome XJ du Voyageur
fiançois, p. 1516 , le flratagême ingénieux dont
fe Servit un anglois de l’ûe de Saint-Chriftophe,
pour conferver les nègres qui. fe p.endoient les
uns après les autres.
Le plus grand mal que produit la pefle » eft
pas feulement par la violence de fon venin , il
y a encor© plufieurs caufes fimultanées, telles que
la terreur, la crainte de la mort , mais une des.
principales eft de voir mourir. M. de Thou rapporte
, dans l’hifloire des chofes arrivées de Son-
temps , livré 8 6 , que dans la guerre de ifS p ,
entre les génevois & les favoyards, il fe ma-
fefta une épidémie entre les deux armées,. qui fe
communiquoit feulement en regardant les malades.
C ’étoit un tremblement de tous les membres,
joint à un efprît égaré & à une frayeur dont
on ne voyoit aucune caufe : ce mal contagieux
fe communiqüoit fort. vite.
Michel de Montaigne -rapporte, dans fes effais, .
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que dans la guerre de Milan, dans laquelle (ep-
voit fon père, les habitans de cette ville étoient-
fi accoutumés aux horreurs de la mort, que les*
hommes , les femmes, & même les enfans affronte
lent les plus grands dangers ; ils pouffoient le
défir de la mort jufqu’à la phréüéfie ;. & le pere
de Montaigne , qui fut témoin de ce défefpoir,,
qu’on pourroit appeler une maladie morale ,
compta jufqu’à trente- cinq Suicides dans une Semaine
» . '
Comme il y a des épidémies qui occafionnent
la putréfaction dans nos. efprits' 8c nos humeurs
il. y-en a aufll qui attaquent la partie fenfitive :
le principe de ce défordrç vient de la pente qui.
ngus porte à imiter ce que nous voyons faire, ou
ce que nous voyons, fouftrir.
Plutarque rapporte , dans fon traite des vertus-
des femmes , qu’à Milet , ville de Carie , il ,y
eut dans l ’air une telle influence , que toutes les-
filles fe tuoient fans aucune caufe : il paroît cjue
les premières qui furent les victimes de cette épidémie,
Servirent de modèle & ,d’exemple au plus-
grand nombre de celles qui fe tuèrent de la même
manière ; & nous avons déjà dit que, dans les ternes
de pefle ,-tous ne meurent, pas de cette maladie
mais de voir mourir.
Il paroît auffi que les feCtaîres , qui adoptent
fi promptement les héréfies & les faux dogmes des
.faufTes religions , font plutôt déterminés par 1.1-
mitation que par là force des raifonnemens folides-
des heréfiarques. Il n’ÿ a qu’à lire l ’hifloire eccle-
fîaftique oui celle des mahoniétans , pour voir
que ce que j’avance n*eft pas dénué de fondement.
'
Et pourquoi ne diroit-on pas que de cette dif-
pofition à l ’imitation dépend, l ’accord qui règne
dans la Société ? Nous Sommes des inftrumens- à'
Tuniflon , dont une cordé touchée fait réfonner les
autres fur le même ton.
L e hafard fait que dans le cetcle ou nous nous:
trouvons , celui qui jouit de la plus grande corr-
fidératîon fe met a rire, nous rirons tous , fans nous
en apercevoir. Peut-on fe rendre compte de ce qui
fait touffer 8c cracher, quand nous entendons touffer
& cracher ? Je ne ferai point ufage d’autres preuves
qui appartiennent à la politique ou à l ’art de gouverner,
telles que les émeutes populaires, les révoltes,
la perte d*une bataille , celle des biens, de
l ’honneur, de la yie.
Nous nai fions fans armes naturelles & deftitués
des prérogatives dont jouiffent les animaux auffi-
tôt qu’ils naiffent» Nous Sommes plus foibles , plus
débiles qu’eux , plus expofés aux intempéries ,de
l ’air j nous avons moins d’inflinCl pour éviter ce
qui peut nous nuire & chercher ce qui nous eft
utile. Pour Satisfaire fes hefoins , peu. de chofe
dans le fond étoit néceffaire a l ’homme mais il.
a été fi ingénieux à les multiplier, qu’ils Surpaient
beaucoup ceux des animaux. Qu’on life-
ià préface du Septième livre de Pline > on verra,,
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ûu’aprês avoir déploré' la misère , Ja fragilité,
l'ignorance des hommes, il pourfuit en ces termes
: « l i a été donné ,à l ’homme,, Seul entre les
animaux, d’avçir des regrets $ 'à lui Seul appartient
ce luxe effréné 8c de tous les genres ,
qu’exige , comme à l ’envi , chaque articulation
de fes membres; lui Seul eft dévoré par l’ambition
, l ’avarice , le défir immodéré-de la v ie , la
fuperftition, le foin précoce de Ses funérailles ,
&; l ’inquiétude de ce qui doit, arriver, lorfqu’i l ne
fera plus. Nul n’eft- Sujet à une vie plus fragile ,
à des pallions plus fortes & plus générales , à
dès terreurs plus étranges, à des rages plus violentes.
Enfin tous les autres animaux fe condiri-
fent, chacun dans leur genre , conformément au
voeu de la nature. . . . Mais , grands Dieux, les
plus grands maux n’arrivent à l ’homme que par,
l ’homme lui-même 1
De cette multitude défordonnée. de -befoins inutiles
que les hommes fe font formés , procède la
violence, le nombre , & la variété des pallions de
l ?ame. '
Nous avons montré, par la fimple obfervation,
de quelle manière les objets entrent par les,Sens,
de quelle manière ils font imprefiion dans le fenforium
commune , de quelle manière nous recevons
ces commotions, & où réfide le mouvement
qui les produits. Nous allons examiner avec attention
de quelle manière fe produifènt les paf-
fions de l’ame , où elles réfident, & comment elles
fe font apercevoir 5 nous confîdérerons leurs effets
tant fur i ’efprit que fur le corps.
•Toutes les pâmons de l ’ame font des aéles
répétés du même objet, agréable ou défâgréable.
Une petite fille voit la lumière d’une bougie;
le mouvement continuel de la flamme4ui eft agréable,
elle veut y toucher, & y port'e la main ;
elle fe hrùle, elle retire aufii-tôt fa main : & la
fenfation défagréable qu’elle a éprouvée lui refte
imprimée dans le fenforium commune ; & plus fa
douleur a été vive , plus l’averfion qu’elle aura
pour une fenfation Semblable , fera forte.
La première fois qu’un cerf entend dans les
montagnes le bruit d’une arme à feu , Taboie-
mént d’une meute , il n’a pas peur , il faute
étonné ; mais il s’arrête auffi-tôt qu’il n’entend
plus le coup de fufil ou les cris des chiens.
Mais quand un vieux cerf, qui a été pourfùivi,
lancé , bieffé , vient à entendre le bruit. d’une
arme à feu , ou les moindres aboiemens d’un
chien, aufii-tôt il cherche à s’enfuir; l ’idée pénible
de fes bleffures & de fes. fatigues excite err
lui cette fenfation ; la peur le faifit, & s'empare
de lui d’une manière fi forte , qu’elle l’engage
quelquefois à fe jeter à l ’eam
L ’enfant qui fb brûle la première fols avec* la
flamme d’une bougie , ne craint pas la brulûre ,
patee qu’il n’a d’elle aucune fenfation dans la mémoire
; mais fi depuis qu’i l s eft brûlé on le force
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à porter la main à la même flamme , auffi-tôt
i l jette de grands cris, & manifefte la plus grande
répugnance. , _
Si, nous parcourions par les fenfations toutes le»
paffions de l ’ame , nous verrions qu il eft necef-
faire que l ’homme ait - gravées dans |le fenfo-
\ rium commune , toutes lès fenfations agréables-
qui tendent à fa confervation , & toutes les feri-
! fàlions défagréàbles qui cauferoient fa deftruélion y
qui forment en lui les paffions , pour fe livrer
aux premières, & éviter les Secondes.
Un homme paffe de nuit dans une grande
Salle , fans lumière, avec un enfant dans fes bras ;
le feu prend à une portion de poudre a canon ,
fans qu’il en foit averti ; il tremble de tout fon
corps & refte fàns fentiment : l’enfant , au corr-^
trâire , n e‘ donne aucun figne de frayeur. Quand
cet homme a été fi violemment faifi de crainte , il
connoiffoit„déjà les terribles effets de la poudre;,
il. s’eft rappelé fur le champ la deftruélion dont
elle frappe les édifices & les hommes; l ’enfant,
qui n’en avoit aucune connoiffance , n’a éprouvé'
aucune émotion.
• Plus les premières impreffions que nous acquérons
des caufes qui peuvent Servir à notre conservation
, ou tendre à notre deftruélion , font vives-
& pénétrantes , plus la paflion que nous éprouvons
pendant le refte de notre vie , fera forte quanclb
nous» ferons expofés de nouveau aux mêmes im-
preflîons. .
Nous avons déjà vu la forte, commotion qu»
provient des effets de la poudre * & par quelle
raifon elle oçcafionne tant de crainte.- Defeartea-
affure que pendant toute fa vie il a aimé le&
yeux verts , parce que dans fir jeuneffe il étoit
devenu amoureux d'une fille qui les avoit de'-
cette cojaleur.
Cette fenfation permanente fe conferve dausTe
fenforium commune. Auffi-tôt qu’elle eft excitée;
par une imprefiion femblable , la paflion fç renouvelle
8c fè rallume ; elle nous fait embraffer
ce nouvel objet avec force.-
De là vient que nous appelons fltipides & im-
bécilles ceux chez lefquels les fenfations ne font*
aucune- impreffion fur l’efprit, ni en y demeurant
ni* en fe renouvelant par- d’autres : dans*
ceux-ci on ne voit pas de paffions,-
Jufqu’ici* nous avons fait voir* comment fe forment
les paffions qui dépendent du. fenforium:
nous-allons parler de celles qui affectent
l’ame.- Aucun animal-, ni- même les enfans,,
quand il« perçoivent une fenfation qui entre par.
les Sens rie la. compare avec une autre impreffion'Semblable.
Cette comparaison embraffe le refi-
fouvenir du paffé, le temps, le lieu,- & d’autres-
circonftances qui accompagnoient cette première
fenfation. I l n’y a que l ’hqmme doué de raifom
qui compare les fenfations préfentes avec les-
paflees ,. qiii combine les qualités de l’une avec:
l ’auttc :■ de cette manière Taine produit despea^