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Novembre.
sans avoir pu nous procurer le petit musicien qui le produisoit ; plus
heureux cette fois, nous réussîmes à en enrichir notre collection.
Le 30 novembre, à huit heures du matin, nous continuâmes à suivre
la route qui est tracée sur le sommet de Kings-Table-Land ( pl. 92 ).
Bientôt nous vîmes le terrain changer de nature, et le chemin, quoique
toujours bien entretenu, devenir un peu moins commode, à cause des
inégalités du sol. Les masses de grès se montrent ici presque par-tout à
nu ; la végétation est languissante ; et au fond d’immenses vallées, à
droite et à gauche, s’élèvent ces murailles de roche verticales et naturelles
, barrières long-temps insurmontables , et qui firent échouer un si
grand nombre d’entreprises destinées à chercher un passage au travers des
Montagnes-Bleues.
Après avoir franchi, sur un pont de bois, un précipice fort escarpé, nous
découvrîmes devant nous, près du chemin, un monceau de pierres surmonté
d’une perche; monument rustique qui indique le terme des courses
aventureuses de M. Caiey , botaniste anglais, à une époque où la grande
route que nous parcourions d’une manière si facile n’avoit point encore
été tracée.
Les sauvages errent queiquefois en chassant dans ces montagnes
solitaires, et plus d’un voyageur a été victime de leurs sagaies meurtrières.
Il nous arriva même souvent d’exciter à cet égard la sollicitude de
M. Lawson, lorsque, invités par la beauté du site ou le désir de poursuivre
quelque animal curieux, nous descendions de cheval, en nous
écartant de la route, pour chasser ou pour herboriser.
Il faisoit nuit depuis long-temps, lorsque nous atteignîmes l’extrémité
d’une montagne qui, se terminant brusquement, nous offrit un précipice
dont l’obscurité ne nous permit de distinguer ni la profondeur ni i’étendue ;
plusieurs rampes rapides, dont une n’a pas moins de 3 5 “ d’inclinaison,
nous en facilitèrent la descente, et, après un quart d’heure de marclie, nous
nous trouvâmes dans une plaine marécageuse (Regent’s glen), où ia
vase et i’herbe mouillée cédoient à chaque instant sous nos pas.
Le temps cependant étoit superbe, ia température douce; la lune, à
demi voilée, répandoit assez de lumière pour éclairer nos pas; le silence
absolu qui régnoit dans ces vastes solitudes invitoit à la méditation. Re-
LIVRE V. — D e s S a n d w i c h à P o r t - J a c k s o n i n c l u s i v e m e n t . 643
portant nos pensées vers ie continent américain, nous ne pouvions
manquer de trouver une grande différence entre lès forêts que nous parcourions
en ce moment et celies du Brésil : là, au bruit du jour succédoit
le bruit de la nuit ; dès que le chant des oiseaux avoit cessé, commençoient
les coassemens monotones des grenouilies-mugissantes et ies
éclats de voix de la terrible alouate ; des myriades d’insectes déceloient
leur présence par des bruissemens divers et confus ; ceux que la nature
a doués de la phosphorescence faisoient briller une lueur douce et fugitive
au milieu des ténèbres de leurs retraites impénétrables à la clarté
céleste. Ic i, tout étoit silencieux; le battement alternatif des pas de nos
chevaux étoit l’unique son qui vînt frapper nos oreilles; taciturnes, nous
tenant écartés les uns des autres , nous n’osions troubler ce calme religieux
qui sembloit appeler le recueillement.
A minuit, l’aboiement des chiens et la chute d’un torrent nous tirèrent
de nos rêveries, et nous annoncèrent l’approche de quelque habitation;
c’étoit en effet le troisième dépôt militaire, situé sur les bords de la rivière
Cox. Ayant fait quinze lieues dans cette journée, et nos chevaux
se trouvant très-fatigués, nous nous déterminâmes à passer dans ce lieu
toute la journée du lendemain , ce qui nous permettroit aussi d’attendre
nos bagages , qui n’avoient pu venir aussi vite que nous.
En parcourant la campagne le id é c em b r e , nous ne tardâmes pas
à nous apercevoir d’un changement notable dans la constitution géologique
du pays. A des masses énormes de grès avoit succédé un
terrain granitique, et à une sécheresse excessive une agréable fraîcheur
qu’entretenoient plusieurs courans d’eau.
La rivière Cox, qui prend plus bas le nom de Warragamba (pl. 92
et 9 8 ) , coule tout à côté du poste militaire près duquel nous étions
stationnés ; son cours est obstrué par de gros quartiers de roches granitiques
qui s’opposent à la navigation.
Sur le soir, nos chevaux de transport arrivèrent. Celui de M. Peiiion
fut du nombre des nouveaux venus. La pauvre bête avoit été dévalisée
de tout ce qu’elle portoit; heureux encore qu’on lui eût laissé sa selle.
Quittant le lendemain de bonne heure le poste de C o x , nous continuâmes
à avancer vers Bathurst ; et après avoir traversé successivement
Incursion
à Bathurst.
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N ov em b re.
Dé cembre .