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Août.
gentillesse de Kamahamarou ( i ) , sa femme favorite, alors âgée , je
pense, de dix-sept ans, et qui étoit de plus sa demi-soeur du côté de son
père.
La maison du ro i, où M. Lamarche et moi nous entrâmes ensuite,
n etoit qu’une case de 10 à 12 pieds de long, sur une largeur un peu
moindre ; le sol en étoit tapissé de nattes, ainsi qu’il est d’usage aux
Sandwich. A cette circonstance près, on ne sauroit mieux comparer
cette demeure royale qu’aux cabanes construites par des bergers dans
certaines provinces de France, pour se mettre accidentellement à l’abri.
Quoi qu’il en soit, je fus surpris de l’extrême fraîcheur que nous y éprouvâmes
, malgré l’ardeur suffocante du soleil au dehors. Sa majesté s’étant
assise par terre, nous l’imitâmes; l’interprète se mit en face de nous,
et tous les courtisans s’accroupirent dans l’intérieur de la case. A la porte,
mais toujours en dedans, étoit un officier qui, portant une grande et
belle lance en bois rougeâtre (pl. 85), nous parut avoir l’emploi particulier
de suivre par-tout le souverain. A quelque distance, en dehors,
erroient sans ordre les soldats de la garde, et le bruit de leur sonnette,
comme à Kayakakoua, se faisoit entendre par intervalle.
Je renouvelai au roi les demandes en ravitaillement que Kouakini
lui avoit déjà transmises de ma part. Il me promit que dans deux jours
j’aurois à bord tout ce qu’on pourroit réunir à Owhyhi, et que le reste
me seroit délivré à mon arrivée à Mowi, où il pensoit que je devrois
me rendre pour compléter ma provision d’eau avec facilité. Satisfait
d’abord de ces promesses , j ’eus bientôt lieu d’apercevoir que l’autorité
du jeune roi étoit encore mal établie , et ses volontés souvent contrecarrées
par quelques-uns des principaux chefs de l’île , bien moins
disposés à lui accorder une aveugle obéissance qu’à entrer en lutte
avec lui.
Riorio ne cessoit de tenir les yeux fixés sur mon épée ; il s’en entre-
( I ) C e nom qu’ on prononce aussi Ta-méha-marou signifie Vombre du solitaire. L a jeune
reine prit ce nom à la mort de son père T am éham éh a , en signe de sa profonde douleur.
C e tte mftne princesse, venue plus tard en Angle te rre avec le roi son mari, mourut à Londres
ainsi que lui en juillet 18 2 4 5 suites de la rougeoie. Leurs dépouilles mortelles ont été
rapportées à Wahou (p i. 1 5 ) par la frégate anglaise la B lo n d e , que commandoit le capitaine
Byron .
LIVRE IV. — D e G ® a m a u x S a n d w i c h i n c l u s i v e m e n t . 5 3 1
tenoit avec les officiers qui i’entouroient ; enfin il me pria de lui en
montrer la lame, et je m’empressai de le satisfaire. Sur la demande
qu’il me fit si je n’en avois pas une pareille à bord , il me fut facile de
comprendre que la mienne lui faisoit envie ; je la remis donc dans le
fourreau, la plaçai entre ses mains, et témoignai que je la lui donnois
avec plaisir. II hésita d’abord; il ne vouloit pas, disoit-il, me désarmer :
je répliquai qu’on n’avoit pas besoin d’armes quand on étoit au milieu
de ses amis; alors il la garda sans plus faire de façons; mais il exigea
que j’acceptasse en échange la belle lance que portoit l’officier dont j’ai
parlé plus haut : je la reçus comme un gage de souvenir.
A la suite de cette lutte de générosité, Riorio , à l’instar des Anglais ,
m’engagea à boire un verre de vin avec lui ; nous allâmes dans une case
voisine, qui, éloignée de la première d’une portée de fusil, nous parut
être sa saile à manger. Nous nous y assîmes sur deux fauteuils préparés
pour M. Lamarche et pour moi; le roi et les personnes qui l’accompa-
gnoient s’étendirent par terre sur des nattes. Peu après on nous servit
d’un assez mauvais vin que je jugeai être du madère frelaté.
II étoit indispensable que j’allasse faire visite aux reines veuves de
Taméhaméha; le roi voulut nous accompagner jusqu’à ia porte de leur
demeure, où ii nous laissa entrer seuls , attendu que ce lieu étoit taboue
pour lui. M. Quoy, que nojis rencontrâmes, se joignit à nous. De
toutes les princesses qui se trouvoient là, Kaahoumanou (i) fut la seule
qui attira nos regards par l’agrément de sa figure; les autres étoient à-la-
fois vieilles et fort laides.
“ C ’étoit, dit M. Quoy, un spectacle vraiment étrange que de voir
dans un appartement resserré, huit ou dix masses de chair à forme
humaine, demi-nues, dont la moindre pesoit au moins 300 livres,
couchées par terre sur le ventre. Ce ne fut pas sans peine que nous parvînmes
à trouver une place où nous nous étendîmes aussi pour nous
conformer à l’usage. Des serviteurs avoient continuellement en main ,
soit des émouchoirs en plumes, soit une pipe allumée, qu’ils faisoient
circuler de bouche en bouche, et dont chacun prenoit quelques bouffées,
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Ao ût.
( 1 ) K a -a h ou -m a n ou , nom qui signifie le manteau déplumés .