
1819.
Aoûr.
prenoient pour nous de petits poissons, des crabes, des coquilies, &c.
A notre arrivée, nous vîmes une jeune et gentille Owhyhienne nommée
Moiirée, sur le point d’achever sa toilette, c’est-à-dire, de peindre d’une
zone blanche la partie de ses cheveux noirs et assez roides qui entou-
roit son front élevé; elle étoit bien faite, et n’avoit sur le corps aucune
de ces pustules, aucune de ces cicatrices dégoûtantes qui déparoient
l’épiderme d’un grand nombre de ces insulaires. Elle avoit le nez droit
et légèrement épaté, le sein ferme et bien placé, la bouche petite, et
de fort jolies dents. Le père avoit fondé sur les charmes de cette belle
enfant l’espoir d’une magnifique rétribution : une soixantaine de femmes
et de jeunes filles se mirent à chanter à l’entrée d’une grotte voisine;
on eût dit l’hymne de l’hymen ; jamais concert ne me parut plus ravissant.
La nouveauté du spectacle et sa bizarrerie nous rappelèrent les
récits piquans du séjour de Bougainville à Tahiti, que jusque-là nous
avions crus exagérés.»
L ’exprès qui avoit été envoyé au roi ne fut de retour que le i o dans
la matinée; sa majesté m’engageoit à venir mouiller dans la baie de
Koaïhaï, où tout, m’assuroit-on , étoit préparé pour nous satisfaire, et
m’envoyoit, pour faciliter le trajet, son premier pilote Keïhé-Koukoui,
surnommé Jack par les Anglo-Américains (voyez pl. 84, fig. 3 )• Je serois
parti tout de suite pour ce nouveau mouillage ; mais la brise de terre dont
j’avois besoin ne devant s’élever que sur les neuf heures du soir, nous
continuâmes jusqu’à la fin du jour nos travaux à l’observatoire , et
M. Duperrey eut la satisfaction de compléter l’esquisse géographique
de la baie de Kayakakoua.
Au moment où nous nous préparions à retourner au vaisseau, Kouakini
m’envoya plusieurs cochons, des chèvres, des choux, des cocos, et
une assez grande quantité de patates blanches et rouges. Voulant de mon
côté lui faire un cadeau d’adieu, je l’engageai à venir dîner à bord :
mon offrande consistoit en un baril de 100 livres de poudre, une assez
grande quantité d’outils de charpentier, et un beau manteau de drap
écarlate. Je crus devoir me montrer d’autant plus généreux, qu’il avoit
mis plus de grâce à bien nous accueillir et à répondre aux diverses
questions que nous n’avions cessé de lui adresser.
Vers la fin de notre dîner, nous reçûmes la visite inattendue de la
princesse sa femme, toujours accompagnée de son amie inséparable:
ces dames m’apportoient, comme gage de leur souvenir, de fines étoffes
de leur pays ; je les priai d’accepter en retour quelques bagatelles qui
parurent beaucoup les satisfaire.
Mes hôtes m’ayant quitté, je fis mes dernières dispositions pour
mettre sous voiles ; Keïhé-Koukouï demeura chargé de diriger la route
jusqu’à Kohaïhaï. Malheureusement ce qui le contraria dans l’exercice de
ses fonctions, ce fut de me voir venir souvent sur le pont pendant la nuit:
son amour-propre étoit blessé que je ne lui accordasse pas une entière
confiance: il cherchoit à me le faire comprendre par des gestes, et par
ces mots en mauvais anglais : me no sleep, me look, me speak [je ne dormirai
pas, je veillerai à tout, je donnerai les ordres nécessaires]. Je dois
lui rendre la justice de dire qu’il montra constamment autant d’intelligence
que d’habileté : j’admirai sur-tout avec quelle précision il prévoyoit
les changemens du temps ; une fois entre autres , quoique nous n’eussions
qu’une brise très-modérée, il voulut absolument que je fisse prendre deux
ris aux huniers et serrer les petites voiles , parce que, disoit-il, nous
allions sous peu d’instans recevoir une forte bourrasque , et la bourrasque
eut lieu en effet. Il avoit tiré son pronostic d’un nuage d’une forme
particulière et à peine perceptible, qu’il me fit remarquer s’élevant au-
dessus de la terre. Au reste, il me tint parole, et ne ferma pas l’oeil de
toute la nuit.
Si notre pilote étoit un homme très-attentif, ses manières contras-
toient souvent d’une façon fort étrange avec nos habitudes européennes.
Selon l’usage de ses compatriotes, il se levoit de table au milieu du
repas, et, frappant sur son ventre comme pour indiquer qu’il ne pouvoit
plus manger, il s’en alloit en disant niahona [je suis rassasié]; rarement
restoit-il plus de quinze ou vingt minutes assis, et toutefois il mangeoit
abondamment. Faisoit-il trop chaud, rien ne lui paroissoit plus simple
que d’ôter son habit; mais, ce qui nous choquoit davantage, c’étoit
de le voir se moucher dans sa serviette : quant à lui , sou air satisfait
n’annonçoit nullement qu’il crût avoir commis une incongruité.
Mouillage à Kohdihdi. — Le 12, dès la pointe du jour, nous étions
1 819.
Août.