
D e l’homme
en société.
Les récipiendaires restent ensuite assis dans le yolahng pendant environ
une heure, durant laquelle les Kammerra-gals se rendent dans une vallée
voisine, où ils substituent à leur bomerang de longues queues pendantes,
qu’ils fixent à la partie postérieure de leur ceinture; ainsi équipés, ils se
mettent en marche en sautillant à ia manière des kanguroos, et ayant
soin, comme le font ces animaux, de s’arrêter au soleil de temps à autre
pour se gratter. Un des naturels règle ces mouvemens par les coups cadencés
qu’il frappe sur un bouclier avec son casse-tête; deux autres,
placés en embuscade, paroissent attendre au passage les feints kanguroos
pour les percer de leurs sagaies.
Ceci n est évidemment que la représentation d’une chasse au kanguroo,
exercice auquel les adultes seuls ont droit de se livrer.
Ainsi accoutrés, les Kammerra-gals passent dans le yolahng, près du
groupe des jeunes gens, et avec autant de célérité que pourroit le faire
une bande de véritables kanguroos. Ils se dépouillent alors vivement
de leurs queues artificielles; chacun d’eux se saisit d’un des jeunes
acteurs, et l’emporte, sur ses épaules, vers le point où va s’ouvrir la
scène suivante. Remarquons que les amis et les parens de ces enfans
n’interviennent en rien pour aider à la cérémonie ou pour la
troubler.
Parvenus à une courte distance, les opérateurs déposent ieur fardeau
à l’endroit qui a été désigné d’avance ; après quoi quelques-uns d’entre
eux disparoissent pendant un quart d’heure, pour s’occuper de certaines
dispositions secrètes qu’il n’a pas été permis d’étudier. A leur retour, ils
replacent les jeunes garçons dans le yolahng, debout, mais avec la tête
toujours inclinée et ies mains croisées. Derrière eux sont plusieurs guerriers
armés qui servent d’escorte ; vis-à-vis, un homme assis sur un tronc d’arbre
, en porte un autre placé à califourchon sur ses épaules, et dont les
jambes pendent en avant : l’un et l’autre ont les bras étendus en croix avec
les yeux fixés sur les enfans.
A quelque distance de ces deux acteurs, quelques autres, rangés près
à près, sont couchés le visage contre terre; et plus loin, sur un second
tronc d’arbre, se trouvent encore deux hommes, dans la même situation
que les deux précédens et ieur faisant face.
L-,1
Les jeunes gens, avec leur escorte, s’étant approchés du premier de
ces trois groupes, les deux personnages qui le composent oscillent de
côté et d’autre, et tirent la langue en simulant un mouvement convulsif
des yeux fortement prononcé comme s’ils avoient peur. Quelques minutes
après l’escorte s’éloigne, et les jeunes gens vont seuls faire des enjambées
sur le corps des hommes couchés par terre ; ces derniers y répondent
par des soubresauts semblables à ceux d’une personne à l’agonie, et auxquels
ils joignent un bruit sinistre et sourd analogue au roulement lointain
du tonnerre. Les jeunes gens arrivent enfin près du dernier groupe
d’hommes assis, dont chacun répète à son tour les singulières grimaces
qu’il a vu faire à ceux du premier groupe. Aussitôt tout le monde se
met en marche.
On ne sait trop quel sens prêter à cette scène bizarre. Seroit-ce le
tableau d’un champ de bataille? mais alors qne signifient les grimaces des
individus placés à califourchon l’un sur l’autre? Les naturels interrogés
là-dessus, ont répondu q^e rien n’étoit plus excellent; qu’indubitahle-
ment leurs jeunes gens seroient d’habiles guerriers; qu’iis auroient la
visière nette et combattroient vaillamment. Mais tout cela n’éclaircit
guère la question.
Parvenus à une des extrémités du yolahng, tous ies acteurs s’arrêtent;
ies enfans s’asseyent en groupes, tandis que les opérateurs se rangent
devant eux en demi-cercle avec leurs sagaies et leurs boucliers à la main.
Vis-à-vis de ces derniers et au centre du demi-cercle, un homme, remplissant
les fonctions d’ordonnateur, indique par les coups mesurés d’un
casse-tête sur son bouclier, les différens temps de l’exercice. A chaque
troisième coup tous les guerriers , après avoir balancé leurs armes, dirigent
contre lui la pointe de leur sagaie et touchent le centre de son bouclier.
N’aperçoit-on pas là une allusion à celui des exercices militaires
qui fait l’occupation favorite des naturels ?
Après ces préliminaires viennent les détails de la cérémonie principale.
Un des néophytes s’étant mis à califourchon sur les épaules d’un
homme assis par terre, les jambes croisées sous lui, on prend un des os
que les karrahdis ont fait semblant d’extraire de leur estomac, et dont on
a aiguisé une pointe, pour déchausser la dent qu’il s’agit d'extirper. On
D e l’homme
en société.
m