
Sé jour
à iVIowi.
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Août.
avec lui une promenade le long du rivage. Je ne fus pas peu surpris de
voir sur la route plusieurs vieilles femmes qui le suivoient en poussant
des cris et faisant semblant de verser des larmes : ces simagrées, me
dit-on, avoient pour objet de témoigner ieur joie du retour du gouverneur
de i’île. Cependant celui-ci conservoit une gravité imperturbable.
Quant aux pleureuses, elles ne pouvoient s’empêcher de sourire
lorsque je jetois sur elles mes regards étonnés ; après quoi elles se
mettoient à criailler de plus belle.
Je rencontrai sur le rivage un Anglo-Américain nommé Butler, qui
m’avoua plus tard être une sorte d’agent consulaire du gouvernement des
Provinces-Unies de l’Amérique du Sud, et tenir ses pouvoirs de ce même
commandant de la frégate ¡ ’Argentine, qui, croisant naguère devant
Manille, avoit capturé le brigantin de notre ami Médiniiia, gouverneur
des Mariannes.
M. Butler ne me parut pas dépourvu d’éducation, et même je le jugeai
un fort galant homme. Les aventures qui avoient déterminé son établissement
dans ces parages, sont assez extraordinaires. Débarqué comme
malade sur l’île Agrigan, dans l’archipel mariannais, il avoit été ramené
aux Sandwich, où le mauvais état de sa santé l’avoit encore obligéde
séjourner. Taméhaméha, voulant se l’attacher, lui avoit concédé des
terres à Mowi, et pendant quelque temps il y avoit vécu d’une manière
assez heureuse; mais, depuis la mort de ce prince, n’ayant aucune
garantie pour sa propriété, il vivoit dans ia crainte continuelle des vexations
dont les chefs de i’île le menaçoient quelquefois. M. Butler me
conduisit à sa maison, située sur le bord du joli ruisseau qui devoit
nous servir d’aiguade. J ’admirai avec quelle intelligence et quels soins
étoient cultivées les terres du voisinage ; là se voyoient d’immenses pépinières
de mûriers à papier; des champs entiers de bananiers ou de cannes
à sucre d’une magnifique venue; des plantations de taros ou d’autres
végétaux propres à ia nourriture de l’homme ; d’énormes arbres à pain
répandus çà et là ; enfin la fertilité et la fraîcheur du sol par-tout entretenues
par des irrigations fréquentes et bien ménagées.
L’habitation de M. Butler, au milieu de ce riant paysage, étoit propre
et spacieuse; j’acceptai chez lui la seule chose qui pût flatter mon
LIVRE IV. — De G ® a m a u x S a n d w i c h i n c l u s i v e m e n t . 5 4 3
goût après une si longue promenade, un verre d’excellente eau puisée
à une source des montagnes voisines, et je la bus avec un véritable
plaisir.
Le 17 de grand matin, nos principaux instrumens ayant été descendus
à terre, nous commençâmes aussitôt la série de nos observations
scientifiques.
Kiaïmoukou, qui, depuis notre départ d’Owhyhi, avoit été constamment
notre commensal, s’installa à terre ie i 8 , et débuta par mettre un
tabou général sur les denrées du pays ; dès-lors ii nous fut impossible
d’obtenir les menues provisions que les naturels s’étoient jusque-là empressés
de venir nous vendre à bord. Cette mesure , disoit-il, étoit indispensable
pour qu’on pût réunir plus promptement la quantité de cochons
dont j’avois besoin, et qui devoit m’être livrée dans quatre jours.
En effet, le 2 2 , Kiaïmoukou annonça qu’il étoit prêt à entrer en
marché, et M. Requin, notre commis aux revues, fut chargé de s’aboucher
avec iui : mais de prime abord il resta démontré que l’affaire ne se
concluroit pas rondement. Après avoir effrontément soutenu que le roi
n’avoit pas promis de me faire cadeau de vingt cochons, mais seulement
de dix; qu’il n’avoit pas fixé à six piastres, mais à dix, le prix
des pius gros de ces animaux, l’honnête gouverneur éievoit la prétention
de ne nous en vendre aucun de cette espèce que nous n’eussions
acheté ies médiocres et les petits, quoique la plupart de ceux-ci fussent
si chétifs et si maigres, que je n’aurois pas voulu les embarquer, même
à titre de présent; il portoit les taros et les cannes à sucre, nécessaires
à la nourriture des bestiaux, à un prix tout-à-fait dérisoire; enfin il éta-
blissoit, comme condition sine quâ non, qu’on ne lui donneroit en paiement
que de l’argent monnoyé et aucun de nos objets d’échange.
Irrité de ces tracasseries dictées par une insigne maùveise fo i, je reçus
les dix cochons, c’est-à-dire, la moitié de ce que la parole du roi m’au-
torisoit à exiger, et je retournai à bord, avec la résolution de remettre
aussitôt sous voiles : malheureusement je n’étois rien moins que certain
de trouver à Wahou assez de ressources pour satisfaire promptement à
tous les besoins de la corvette ; la crainte de perdre du temps et de
manquer peut-être mon approvisionnement me fit donc concentrer en
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Sé jou r
à M ow i.
1819.
Ao ût.