
3 avril.
Ce jour fut remarquable par l’échoiiage d’une baleine de l’espèce
nommée halciuoptère par ies naturalistes ; elle avoit plus de 5 3 pieds de
longueur, et étoit venue se jeter sur les roches à une demi-lieue et dans
le N. N. O. de notre camp. « Un chasseur qui se trouvoit là, dit
M. Quoy, iui tira plusieurs coups de fusil, qui la blessèrent mortellement.
Cependant l’animal, ayant été soulevé par la maree, se retira de
dessus les rochers et gagna le large, mais il ne put aller loin, et revint
mourir sur le rivage, au point où il avoit été blessé.
» Quoique ce fût.un mâle, plusieurs petits baleinoptères qui l’avoient
suivi dans ia rade, vinrent rôder autour de lui, presque à le toucher : ou
eût dit qu’ils cherchoient à Je secourir. Un matelot, armé d’une hache, et
qui avoit été à la nage pour examiner de pius près la baleine échouée,
fut approché de si près par un de ces jeunes cétacés, qu’il en eut autant
de frayeur que s’il eût été sur le point d’en être avalé; il se hâta de gagner
la terre en poussant de grands cris, ce qui nous fit beaucoup rire, car
nous savions bien que cet homme ne couroit aucun danger : cette espèce
de cétacé n’ayant en effet jamais fait volontairement de mal à l’homme.
Peu de jours après cet événement, les vautours et ies oiseaux de mer
eurent bientôt enlevé l’épiderme excessivement mince de cette baleine,
et déchiqueté sa peau. »
L’arrivée du Mercury ayant ranimé toutes nos espérances, ce fut avec
beaucoup de zèle que nos ouvriers et ies autres personnes de notre équipage
employées à son bord s’occupèrent à le remettre en état de tenir
la mer. Ce travail fut terminé en 15 jours, c’est-à-dire beaucoup plus
tôt qu’on ne favoit d’abord calculé.
Une petite goëlette d’une quarantaine de tonneaux. Je Brooks, ramena
enfin M. Dubaut au milieu de nous, en compagnie du capitaine Orne,
du navire le Général Knox.
Ce dernier officier, n’ayant pu tomber d’accord avec M. Dubaut, venoit
lui-même traiter des conditions du fret pour nous transporter à Rio de
Janeiro. Mais afin de mettre fe lecteur à même de bien juger les détails
de toute cette affaire, je transcrirai préalablement un résumé du rapport
que me fil à cet égard M. Dubaut, au retour de sa mission.
LIVRE VI. — D e P o r t - J a c k s o n e n F r a n c e . 12 5 3
Embarqué, comme nous l’avons vu , sur le sioup le Pinguin , cet officier
ne fut pas favorisé à son départ autant que nous devions le désirer. Il se
mit en route le 20 mars au lever du soleil; mais la brise étoit contraire
et si foible, qu’il lui fallut relâcher dans une petite anse qui est située sur
la côte Nord de la baie Française, et ce fut le 22 seulement qu’il put remettre
sous voiles. Il rencontra, en faisant route, une des baleinières du
Pinguin qui, à son arrivée, avoit été laissée dans une petite anse pour y
tuer des lions marins; elle aborda, remplie de grandes pièces de graisse
ou de lard de ces animaux, et l’on s’empressa de les mettre à bord ainsi
que ies petites embarcations. « Enfin, dit M. Dubaut, nous dépassâmes
la pointe de l’Aigle (pl. 108), et, quoique la mer fût assez grosse, ie
patron Hamond rasa de très-près, avec hardiesse, le dernier rocher visible
qui se projette au large de cette pointe.
» Je le priai de regarder avec moi, à la distance d’un mille plus au
large, si la lame ne brisoit pas sur la roche de l’Uranie, où notre corvette
avoit eu le malheur de frapper; mais dans toute cette partie la mer
n’offroit rien de remarquable.
» Le vent d’Ouest souffloit avec assez de violence, et notre pauvre
barque, quoique très-peu chargée, entroit aux trois quarts dans l’eau;
à peine étoit-on à l’abri dans la chambre du capitaine, dont les
parties basses étoient encore envahies par une huile épaisse et fétide, qui
couloit à travers le vaigrage. La quantité de lard de phoque dont ie
sloup étoit chargé étoit doublement dangereuse pour nous, à cause de
sa légèreté et de sa mobilité. Souvent on étoit obligé de virer de bord
pour remédier à la tendance qu’avoient ces morceaux de graisse à se répandre
sous le vent.'
» Le soir noits étions assez près de terre, et le vent, en passant au Sud,
ayant beaucoup diminué, nous allâmes jeter l’ancre dans la partie Sud-
Est de la baie Française, pour ne pas être maîtrisés la nuit par les courans.
Le lendemain la force du vent nous contraignit de rester au mouillage; 23.
on fut à la chasse, et en moins de 2 heures on tua 5 cochons et 30 oies,
dont on sala une partie. Il étoit important de remédier au vice de notre
chargement, qui eût pu nous devenir funeste, et en conséquence mettre à
l’eau toute la graisse qui étoit à bord, afin de pouvoir placer des pierres à
Voyage ic VUranie. - Historique. T. II. W W W V
J 820.
Mars.
R a p p o r t d e
M. Uuliaut.