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Août.
Cette allocution parut produire l’effet qu’on s’en étoit promis : cependant
la reine Kaahoumanou prit la parole, et dit que le v if intérêt que
je témoignois au roi lui faisoit craindre que ses ennemis n’accréditassent
le bruit, déjà perfidement répandu, que non-seulement j’avois demandé
la cession des îles Sandwich pour le roi de France, mais que cette
cession avoit été faite entre mes mains; chose qui ne manqueroit pas,
disoit-on , d’irriter les Anglais, et de décrier la bonne foi des Sandwichiens.
Frappé de cette réflexion, je m’empressai de repousser avec
force ces insinuations malveillantes, en affirmant que, lors même que
Riorio, de son propre mouvement, eût voulu mettre son pays sous la
dépendance de la France, je n’aurois pu ni voulu me prêter à une pareille
transaction.
Après m’avoir témoigné publiquement , ainsi que Kaahoumanou ,
combien ils étoient satisfaits des déclarations que je venois de faire, le
roi ajouta, d’une manière gracieuse, que je m’étois assez occupé de ses '
intérêts, et qu’il étoit bien temps qu’il s’occupât enfin des miens.
Malheureusement il y avoit fort peu de bestiaux dans le voisinage de
Kohaïhaï, en sorte qu’il fallut renvoyer à l’époque de ma relâche à Mowi
pour avoir la plus grande partie de ceux dont j’avois besoin : le prince
me promit de me faire accompagner par Kiaïmoukou, gouverneur de
cette île, et ajouta que j’aurois lieu d’être satisfait. Dans des circonstances
ordinaires , il n’eût pas voulu, me dit-ii, que je déboursasse la
moindre chose pour mon approvisionnement; mais les ménagemens
qu’il étoit obligé de garder avec certains hommes lui imposoient la
nécessité de me vendre ce qu’ii auroit préféré me donner ; cependant il
me fit cadeau de vingt cochons, et m’annonça que les autres me seroient
livrés à raison de six piastres les plus gros et de deux piastres les petits.
Dans une visite que Kraïmokou avoit faite la veille à bord de ïUranie,
ie costume de notre aumônier frappa ses regards ; informé des fonctions
de cet ecclésiastique, il iui fit connoître que depuis long-temps il desiroit
d’être chrétien, et qu’il le prioit, en conséquence, de vouloir bien le
baptiser; (¡ue sa mère à son lit de mort avoit reçu ce sacrement et lui
avoit recommandé de se soumettre lui-même à cette cérémonie dès qu’il
en trouveroit l’occasion. M. l’abbé de Quélen accueillit de grand coeur
LIVRE IV. — D e G o a m a u x S a n d w i c h i n c l u s i v e m e n t . 53^1
sa demande, et il fut résolu entre nous que l’on procéderoit à cet acte
religieux aussitôt après mon retour du conseil du roi.
Comme je me disposois à revenir à bord, Riorio me dit qu’il avoit envie
d’assister, avec sa cour, à la cérémonie que nous allions célébrer. Je lui
envoyai à cet effet mon canot, et nous le vîmes bientôt paroître, accompagné
des cinq reines ses femmes (i), de Kaouiké-aouli, son frère, âgé
de six à sept ans, et de la princesse Kaahoumanou; une grande suite
de pirogues doubles et simples, d’hommes et de femmes composant sa
cour (2), suivirent de près. Le roi étoit vêtu d’une veste bleue de hussard
galonnée en or, avec de grosses épaulettes de colonel ; un de ses officiers
portoit son sabre, un autre son éventail (pl. p o , fig. p ) , deux autres
d’énormes trombions, un cinquième enfin sa pipe, qu’il étoit charo-é
de tenir allumée. Ces divers personnages sont représentés sur notre
planche 8p.
A son arrivée, je saluai le monarque d’une salve de onze coups de
canon. Le gaillard d’arrière avoit été décoré avec des pavillons, et l’on
en avoit mis aussi sur le pont pour que les princesses s’y trouvassent
convenablement assises ; la reine favorite et Kaahoumanou furent placées
sur des chaises en face de l’autei, qui avoit été dressé sur le pont en
avant de la dunette. Enfin M. l’abbé de Quélen procéda, selon le rit
d’usage, au baptême de Kraïmokou, qui, pendant toute la cérémonie,
eut l’air profondément ému (3).
Quand elle fut achevée, je fis servir à mes illustres hôtes une collation
sur le pont. Ce fut vraiment merveille de voir avec quelle rapidité ies
bouteilles de vin et d’eau-de-vie disparurent; au point que j ’eus lieu
de craindre que sa majesté ne se mît hors d’état de descendre à terre.
Heureusement la nuit approchoit, et Riorio témoigna le désir de s’en
( 1 ) J ’ai déjà parlé de Kam aham arou, la reine favorite : les autres étoient Kinaou et
Kékaou-onohi, toutes deux demi-soeurs du roi et soeurs de la fa v o r ite ; Kékahou-rouoh i, jeune
femme de T am éh am éh a, que R io r io épousa après la mort de son p è re ; enfin Paou-ahi, dont
le nom signifie consumée p a r le f e u , par allusion à un a ccident qui faillit la faire périr dans
sa plus tendre enfance.
( 2 ) L a jeune princesse N ah ién a én a , âgée de quatre ans en v iro n , petite-soeur du ro i, chez
qui-je Pavois vue la v e i l le , étoit restée à terre.
( 3 ) R io r io me fit dire qu’ il eût bien vouin se faire baptiser lu i-m êm e , mais que des considérations
de politique Pempêchoient d’accomplir ce projet pour le moment.
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Août.