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1 i8/j VOYAGE AUTOUR DU MONDE,
Colonie de Tocqueville [op. cit.), sur une population de z millions d’habitans,
Pon-Jartson. 5 JO 000 enfaiis sont instruits dans ies écoles, et l’État seul dépense pour
Considérations cet objet près de 6 millions de francs chaque année. Il semble qu’une popu-
les bag/es, etc. fation éclairée, à laquelle il ne manque aucun des débouchés que peuvent
offrir l’agriculture, ie commerce et l’industrie manufacturière, devroit commettre
moins de crimes que celle qui possède ces derniers avantages sans
avoir les mêmes lumières pour ies exploiter; néanmoins il ne paroit pas
qu’on doive attribuer à l’instruction cette diminution des crimes dans
le Nord, puisque dans le Connecticut, où elle est encore pius répandue
que dans l’état de New-York, on voit les crimes augmenter avec une
extrême rapidité. Si l’on ne peut reprocher aux lumières cet accroissement
prodigieux, on est du moins forcé de reconnoître quelles n’ont pas
la puissance de i’empêcher.
» L’instruction, alors même qu’on ne ia sépare point des croyances
religieuses, fait naître une foule de besoins nouveaux qui, s’ils ne sont
pas satisfaits , poussent aux crimes ceux qui les éprouvent. Elle multiplie
les rapports sociaux; eiie est l’âme du commerce et de l’industrie, et
crée entre les individus mille occasions de fraude et de mauvaise foi,
qui n’existent point au milieu d’une population ignorante et grossière. II
est dans sa nature d’augmenter plutôt que de diminuer le nombre des
crimes. Ce point paroît, du reste, aujourd’hui assez généralement reconnu
; car en Europe il a été observé que les crimes sont en progression
dans la plupart des pays où l’instruction est très-répandue (i). Du reste,
nous dirons à cette occasion notre opinion tout entière sur l’influence de
l’instruction. Ses avantages nous paroissent infiniment supérieurs à ses
inconvéniens. Elle développe toutes ies intelligences et soutient toutes
les industries. Elle protège ainsi ia force morale et le bien-être matériel
des peuples. Les passions quelle excite, funestes à la société quand rien
ne les contente, deviennent fécondes en avantages lorsqu’elles peuvent
atteindre ie but qu’elles poursuivent. Ainsi l’instruction répand, il est
(i ) cc En Angleterre, en Allemagne, aux Etats-Unis, où l’on célébroit, il y a peu d’années
encore, l’heureuse influence des lumières et de l’industrie sur le perfectionnement moral, on re-
connoît déjà qu’il ne suffit pas de fonder des écoles pour prévenir la démoralisation, et qu’il faut
chercher un autre remède au mal qui travaille la société. » ( Guerry, E ssai sur la statistique morale
de la France. )
L IV R E V .— -D e s S a n d a v i c h à P o r t - J a c k s o n i n c l u s i v e m e n t . 1 1 8 5
vrai, parmi les hommes quelques semences de corruption; mais c’est elle
aussi qui rend les peuples plus riches et pius forts. Chez une nation entourée
de voisins éclairés, elle est non-seulement un bienfait, mais encore
une nécessité politique. »
M. Guerry [op, cit.) nous offre des réflexions non moins justes et
non moins bien exprimées. « L ’instruction, dit-il, est un Instrument dont
on peut faire bon ou mauvais usage. Celle qu’on va puiser dans nos écoles
élémentaires, et qui consiste seulement à ScTvoir, d’une manière assez imparfaite
, lire, écrire et calculer, ne peut suppléer au défaut d’éducation,
et ne semble pas devoir exercer une grande influence sur ia moralité (i).
Nous pensons qu’elle ne rend ni plus dépravé ni meilleur. Nous aurions
peine à comprendre comment il suffiroit de former un homme à
des opérations presque matérielles, pour iui donner aussitôt des moeurs
régulières et développer en lui des sentimens d’honneur et de probité. »
La distinction entre l’instruction et l’éducation, dont nous avons déjà
parlé, et qui semble parfois être méconnue, a souvent été rappelée par
quelques-uns de nos meilleurs publicistes, et, entre autres, par MM. Degé-
randoet Royer-CoIIard. «Sans éducation, a dit ce dernier dans un discours
prononcé en 1817, l’instruction ne seroit qu’un instrument de ruine Les
moeurs naissent de l ’éducation ; F éducation seule les crée et les perpétue, parce
qu’elle seule enseigne véritahlement Je devoir en le réduisant en pratique. »
On pense assez généralement que les manufactures sont une source de
corruption moraleja), et il est vrai que les faits sont fréquemment conformes
à cette idée; mais cet état de choses est loin d’être inhérent à l’industrie manufacturière.
Je sais même qu’il existe en France plusieurs établissemens de
ce genre qui, sous tous les rapports, sont des modèles d’ordre et de bonnes
moeurs : la religion leur sert de base. A ia vérité ils ne sont pas en grand
nombre, mais ii suffît qu’il y en ait quelques-uns, et j’ai eu occasion d’en
observer moi-même, pour concevoir la possibilité de les multiplier.
On se tromperoit encore si l’on croyoit que ceux qui possèdent une
(1) Voye-ç^ plus haut le §. i."'' de ce chapitre.
( 2 ) On l’a dit aussi du commerce : « Pendant que le commerce a augmenté de moitié en
Angleterre, le crime y a presque quadruplé. » (Voyez Statistical illustrations o f the British
empire. London, 1 8 2 7 . )
Considérations
sur
ies bagnes, etc.