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M. Durand, négociant français qui, depuis mon arrivée, ne cessoit de
nous montrer la plus gracieuse obligeance, nous fut particulièrement
utile en cette circonstance, pour nous aider à réunir le petit nombre
d objets nécessaires a l’ameublement de notre maison; sans lui cette
opération nous eût été extrêmement difficile.
Le 27 M. Maller m’accompagna à San-Christova6, où je fus faire
visite an roi. Nous nous y étions rendus à cheval, aussitôt que les
fortes chaleurs du jour avoient un peu djminué. Les jardins qui environnent
cette habitation agréable en font un séjour délicieux, où le
roi aime beaucoup à se délasser de l’étiquette de la vilie. Nous fûmes
introduits après un petit quart d’heure d’attente, et je n’eus qu’à me iouer
de la politesse des questions et de la bonté avec laqueiie le prince daigna
écouter ies détails dans lesquels j’entrai. J ’eus surtout beaucoup de plaisir
à lui raconter de quelle manière, à la fois bienveillante et généreuse,
l’expédition que je commandois avoit été accueillie par le gouverneur
portugais de Dillé, sur la côte septentrionale de l’île Timor.
La politique reprit bientôt ses droits. La nouvelle de la mort du duc
de Berry étoit encore récente; Sa Majesté m’en parut très-affectée, et
ne 1 étoit pas moins de la nature des troubles qui agitoient l’Espagne.
Après une demi-heure d’entretien, M. Maller et moi nous nous retirâmes,
et revînmes à Rio de Janeiro.
Le V juillet, jour où la Physicienne commença à être virée en quilie,
je fus passer la soirée chez M. Augustin de Lizaur, riche négociant
pour lequel M. Juanico m’avoit donné une lettre de recommandation;
sa femme, aussi jolie que spirituelle, fit, avec ia grâce naturelle aux
dames espagnoles, ies honneurs de sa maison. Nous entendîmes chez
elle un mulâtre, nommé Manoel, très-habile guitariste, et dont le talent
sur cet instrument est à peine croyable. On assure qu’il s’est formé
lui-meme, et cest pour cela sans doute que son jeu est si original.
Excellent pour la pratique, on dit qu’il est hors d’état de lire et d’écrire
une ligne de musique; mais il exécute les morceaux ies plus difficiles,
et les varie de mille façons, pourvu qu’on les ait joués une seule fois
devant lui. Son sens musical est si exquis, que je l’ai vu une fois prêt à
prendre ia fuite, parce qu’un enfant faisoit un peu de bruit dans une salle
LIVRE VI. — D e P o r t - J a c k s o n e n F r a n c e . > 3 5 3
voisine de ceile où il jouoit. Sous ses doigis la guitare n’est plus un instrument
vulgaire, c’est une harmonie inaccoutumée et délicieuse, qu’on
diroit venir du ciel, et qu’il est impossible de concevoir à moins de
l’avoir entendue. Je me rappelle l’habileté de quelques-uns des plus fameux
guitaristes qui ont visité Paris, et plus particulièrement celle du
célèbre Sor; eh bien! le jeu de Manoel est de beaucoup supérieur, et
l’on peut dire tout à fait inimitable. Au reste ce mulâtre compose de fort
jolies petites pièces, mais il faut qu’on les lui note. On en a publié, il y
a quelques années, un recueil intéressant à Paris.
Notre consul, voulant faire célébrer un service funèbre à l’occasion de
la mort du duc de Berry, invita à y assister l’état-major de ÏUranie, ie
corps dipiomatique, les habitans notables du pays, et généralement tous
les Français cjui résidoient dans ia ville. La cérémonie eut lieu ie 6 juillet,
dans l’église des Carmes, où notre aumônier, M. l’abbé de Quélen,
officia, assisté par MM. les abbés Boiret, Franche et Laiain.
Depuis quelques jours j’étois Incommodé d’un fort rhume qui, joint
à une affection nerveuse de la poitrine, me força de garder le lit pendant
quelque temps; cette circonstance m’empêcha d’être présent à une fête
qui eut lieu le soir du 16 juillet à ia chapelle royale, et à laquelle le
roi se rendit avec toute sa famille: elle fut, dit-oii, très-brillante, et la
musique bien choisie et de bonne exécution.
Quoi qu’il en soit, je me trouvai ie lendemain assez bien portant pour
accompagner mon excellent ami M. de Gestas à sa campagne de Tijouka.
C ’est avec bonheur que je revis cette demeure champêtre, si pleine pour
moi de touchans souvenirs ! Elle me parut fort embelHe et considérablement
améliorée sous les rapports les pius intéressans et les plus utiles.
De grands défrichemens avoient diminué le nombre de ces énormes végétaux,
qui, aussi anciens que le monde, avoient résisté pendant tant de
siècles à la présence destructive de l’homme. Une plantation de 20 000
pieds de café, dont une partie se trouvoit déjà en plein rapport, annonçoit
la laborieuse sollicitude du maître et ses succès. Des jardins soigneusement
cultivés et dans lesquels on étoit parvenu à naturaliser quelques-uns
de nos fruits de France les plus savoureux déceloient partout l’abondance,
la richesse et le bien-être. Des chemins pius multipliés en meilleur état;
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