
1819.
Août.
pure perte : ce n etoit point par avarice; mais ii craignoit qu’en augmentant
les ressources de ces hommes, que la contrainte seule retenoit pour la
plupart sous son joug, il ne leur fournît les moyens de s’en affranchir.
Tel étoit l’état des affaires à mon arrivée aux Sandwich. M. Young,
en me donnant ces détails et en me faisant part de ses inquiétudes relativement
au fils de l’ancien souverain de ces îles , m’assura que mon
arrivée sur un bâtiment de guerre pourroit faire une diversion utile aux
intérêts de Riorio : ii suffisoit que je témoignasse de ia bienveillance
et que j’offrisse publiquement ma protection à ce jeune prince, pour
diminuer les prétendons de ses ennemis. Au reste , ajouta-t-il, si je desire
que ia paix s’établisse ici sur des bases solides, ce n’est pas pour moi que
je fais des voeux ; je suis vieux et infirme, et ne pousserai probablement
pas loin désormais ma carrière ; mais, à mon heure dernière, il me seroit
doux de voir le fils de mon bienfaiteur, du grand Taméhaméha, en
possession paisible de l’héritage de son père. Quant à moi, inutile désormais
au monde, je verrois approcher la mort sans regret, si l’on pouvoit
mourir sans regret loin de sa patrie ! Ici de touchans souvenirs émurent
la sensibilité du vieillard, et lui firent répandre des larmes. Nous fûmes
quelques instans sans nous parler, et livrés l’un et i’autre aux pensées
diverses que sa réflexion avoit fait naître en nous.
Young déploroit amèrement que les Anglais , qui avoient tant fait jadis
pour la civilisation des îies Sandwich, ies eussent depuis long-temps entièrement
abandonnées. Taméhaméha avoit reçu en 18 16 une lettre du
gouverneur de Port-Jackson, Macquarie, à laquelle en étoit jointe une
autre du comte de Liverpool, adressée à Taméhaméha par ordre du
prince régent d’Angleterre ; celle-ci, en date de 1 8 1 2 , étoit accompagnée
de deux boîtes, dont une contenoit un chapeau à trois cornes garni de
plumes, et un habit d’uniforme rouge , galonné ; ia seconde étoit
remplie d’outils et de quelques autres objets de quincaillerie. M. Macquarie,
qui avoit été chargé d’envoyer aux Sandwich la lettre et le présent
du roi d’Angleterre, s’excusoit de n’avoir pu le faire plus tôt, faute,
disoit-il, d’avoir à sa disposition un vaisseau qui se rendît dans ces îles.
Ce gouverneur annonçoit à Taméhaméha que le roi de la Grande-Bretagne
avoit donné ordre que l’on construisît au Port-Jackson un petit
LIVRE IV. — De G ® a m a u x S a n d w i c h i n c l u s i v e m e n t . 535
navire pour lui être offert. Ce bâtiment eût dû être mis sur ie chantier
quatre mois après la date de la lettre du comte de Liverpool et être
expédié aux Sandwich aussitôt après son entière construction ; cependant,
en août i 8 i p , c’est-à-dire environ sept ans après, rien n’étoit encore
arrivé (i). Ces communications étoient les dernières que Taméhaméha
eût eues officiellement avec l’Angleterre.
Habitant des Sandwich depuis une trentaine d’années, Young avoit
été témoin et souvent même acteur dans tous les grands événemens auxquels
la haute capacité de Taméhaméha avoit donné naissance. 11 répondit
toujours avec précision à mes questions , et je regrettai que son
état de souffrance me fît un devoir de ne pas trop prolonger l’entretien.
Marié à la fille d’un chef, il en a eu six enfans, trois garçons et trois
filles, qui tous sont d’une figure intéressante; quant à la mère, qui a pu
être fort bien, elle n’est plus jeune maintenant. Au reste, cette famille,
grâce aux bontés de Taméhaméha, vit ici dans l’opulence : elle possède
plusieurs maisons bâties en pierre et des terres considérables , tant à
Owhyhi que sur les autres îles.
Ne voulant pas retourner à bord sans avoir vu le premier ministre
Kraïmokou, je me fis conduire de nouveau à la maison des vieillgs
reines, où î ’on pensoit qu’il devoit être, et où je ie trouvai en effet. Il
étoit couché tout de son long sur ies mêmes nattes que les princesses, et
les uns et les autres dormoient profondément. Le cérémonial fut court
entre nous. J ’invitai ce haut fonctionnaire à venir dîner à bord avec moi,
ce qu’ii accepta, en me priant, lorsque je partirois, de m’arrêter devant
sa maison, située sur le bord de la mer, et où il se trouveroit. Je le
quittai pour aller prendre congé du roi.
Je croyois que Kraïmokou avoit voulu passer chez lui pour soigner
sa toilette; mais il n’en étoit rien : il s’embarqua dans mon canot, n’ayant
pour tout costume que son langouti, et par-dessus une chemise européenne
qui n’étoit même pas extrêmement propre. Il me demanda la
permission d’emmener sa femme favorite, Rikériki (pl. 83); j’y consentis
: mais il ne lui permit point de se mettre à table avec nous,
( i) C e n a v ire , long-temps a ttendu, ne p a r v in t , d it -o n , aux Sandwich qu’au commence-
ment de 1 8 2 2 , et fut rem is a R io r io , roi alors régnant.
y y y *
I 819.
Août.