
1 1 5 2 VO YAGE AUTOUR DU MONDE.
Colonie préservèrent de la tentation ; quelque temps le souvenir d’un père et
Port-Jackson. J 'ipe mère respectables prévalut contre la force de l’exemple. Mais,
Considerations Iiélas ! inutiles efforts ; engagés dans une lutte trop inégale, et plus foibles
les bagnes, etc abandonnés de leurs gardiens, hommes inhumains par
devoir, repoussans par système , indifférens par habitude; déjà chancelans
sur le bord de l’abîme, je les vis s’y précipiter la rage et le désespoir
dans le coeur.
» Sur trois ou quatre mille condamnés que renferme un bagne, plus
de 600 y sont sur un nouveau jugement : il est tels qui en ont jusqu’à
cinq sous différens noms. Les uns, en grande partie voleurs avec fausses
clefs, ont vu toutes les chiourmes de la France; évadés d’une, un nouveau
délit les replongea dans une autre, d’où l’adresse les a tirés pour le
crime qui est venu les y replonger encore. Scélérats incorrigibles, l’esprit
continuellement tendu vers ie mal, et ne calculant que le profit
qu’ils peuvent en tirer, ils jouent avec les châtimens, rient du courroux
des lois, au-dessus desquelies ils savent se mettre par l’endurcissement
de leur coeur et la duplicité de leur esprit. Les autres, esclaves d’habitude,
abâtardis par une longue misère, reviennent au bagne parce que
là seulement ils trouvent une existence assurée. Eh ! que feroient-ils
dehors, sans ressources, poursuivis par le préjugé cruel? s’ils demandent
du pain, on leur dit de travailler; s’ils demandent du travail, on leur
objecte que venant des galères ils ne méritent aucune confiance. Les
bagnes sont vraiment la patrie de ces hommes ; c’est là que sont leurs
dieux pénates. »
Quelle est, en effet, l’existence d’un forçat libéré qui, ayant achevé
le temps de sa peine, rentre dansia société? M. Benoiston de Château-
neuf (i) va l’apprendre à ceux qui l’ignorent.
t< A peine est-il rendu à la liberté, que, malgré la surveillance active
sous laquelle il demeure placé, partout où il arrive on redoute, on fuit sa
présence; elie inspire involontairement la défiance, la crainte et l’efîfoi.
Les lieux mêmes qui l’ont vu naître ne veulent plus le recevoir, et sollicitent
pour n’y être pas contraints. Frappé de cette réprobation qui le
(1) Dans son /Vlémo'ire sur la colonisation des condamnés. Paris, 1 827.
Colonie
de
sur
nés, etc.
LI’V'RE Y . — D e s S a n d w i c h à P o r t - J a c k s o n i n c l u s i v e m e n t , i i 5 3
poursuit, il erre de commune en commune, sans trouver de travail qui
le soutienne, ni personne qui l’accueille. Bientôt, arrêté comme vaga- port-Jackson.
bond et reconnu pour forçat libéré, la prison s’ouvre pour lui, non plus Considérations
comme châtiment mais comme asile. Il y demeure un, deux, trois mois,
jusqu’à ce que, lassé de cet hôte incommode, on le rejette dans la société
, où un sort pareil à celui qui l’a déjà conduit sous ies verrous l’y
ramène encore, pour être encore élargi après un temps plus ou
moins long.
» Ainsi, tour à tour détenu sans l’avoir mérité, libre sans savoir que
devenir, éternellement dévoué à la misère, à l’infamie, à la malédiction
des hommes, il étouffe dans son sein un dernier cri que la conscience y
jetait peut-être; il voue une guerre éternelle à cette société qui le repousse;
et, de nouveau coupable, de nouveau condamné, il va terminer
dans les fers ou sur l’échafaud ses forfaits et sa fatale existence.
» Telle est la vie de la plupart des forçats libérés; et i’on s’étonne
ensuite de ies voir figurer dans toutes les affaires criminelles, sur les bancs
de toutes les cours d’assises! Que i’on pense à leur vie passée, à ceile qui
la suit, à ce qu’ils ont été, à ce qu’ils étoient avant ieurs nouveaux
crimes, et que l’on ose assurer que celui-là même qui auroit reçu de la
nature une âme d’acier résisteroit à une pareille épreuve ! La vertu la
plus pure auroit peine à en sortir avec tout son éclat ; et chaque année
près d’un millier d’individus sont placés dans cette épouvantable position
! »
Depuis longtemps d’estimables écrivains se sont occupés des questions
difficiles et compliquées qui se rattachent à la punition des criminels
et à leur amendement moral; une philanthropie douce et éclairée a pénétré
dans les asiles où sont détenus les condamnés; ou y a vu beaucoup
d’abus, beaucoup de choses à reprendre; mais une piété généreuse a été
frappée aussi des souffrances de ces malheureux; plusieurs améliorations
ont eu lieu; et toutefois des difficultés locales, et d’autres circonstances
non moins impérieuses ont empêché d’y faire tout le bien qu’on avoit en
vue. Les questions de ce genre sont liées à tant d’autres qui intéressent
la société tout entière, que de nombreuses expériences, de longs tâton-
nemens, des dépenses, et surtout des idées saines et suffisamment