
Considérations
sur
les bagnes, etc.
la propreté et de la santé ; et ces élémens essentiels de l’existence
de l’homme ne devroient-ils pas être soumis à une surveillance pius
rigoureuse et plus active ? Ne pourroit-on pas enchaîner, les forçats
avec des fers qu’ils ne pussent ni rompre ni couper (i)! La solde qui leur
est donnée pour exciter leur zèle est-elle. à i’abri de tout reproche ;
et ne sembleroit-il pas juste en effet que des hommes condamnés travaux
forcés dussent travailler par force et sans salaire ? J ’ai vu, à Toulon ,
de pauvres ouvriers de l’arsenal demander de l’ouvrage pour le prix qu’on
payoit aux forçats, et ne pouvoir l’obtenir ; ie travail de ces derniers étoit
alors évidemment plus cher que celui des ouvriers libres, puisqu’on n’eût
accordé à ceux-ci ni logement, ni vêtemens, ni vivres, etc. Il paroîtroit
donc que, sous le rapport fiscal, l’emploi des forçats dans nos bagnes est
dans tous les cas trop dispendieux, même en faisant ia déduction du
produit des travaux qu’ils exécutent. Si l’on supprimoit le salaire des condamnés,
leur régime alimentaire ne devroit-il pas être un peu amélioré, et
gradué en raison de ia conduite particulière de chacun d’eux l
La cantine n’a-t-elle pas pour effet de favoriser plus particulièrement le
forçat qui est le plus riche et souvent même le plus coupable ? Enfin , ies
punitions et les récompenses ne devroient-eiles pas être dirigées^vers un
but moins matériel. ■ •
C ). Conséquences du système adopté.
Les artisans de crimes se répandent et se multiplient. — Chaque année des
nombres à peu près égaux de forçats libérés se répandent en Lrance, et
viennent ajouter leur action délétère à celle des malfaiteurs dont l’affranchissement
a précédé ie ieur. Les libérés des maisons centrales et des maisons
de détention y ajoutent encore annuellement leurs infârnes cohortes.
En I 83 I le nombre total des misérables placés sous la surveillance de la
haute police s’élevoit à 38 865, « nombre, dit M. Huerne de Pommeuse
[op. cit.], qui doit paroître alarmant, lorsqu’on réfléchit suria position
dans laquelle se trouve, à l’égard de l’ordre social, le forçat libéré. »
(i) je sais que i’on favorise certaine évasions pour faciliter un espionnage que la police
juge nécessaire.
villes manufacturières et ies ports de mer, dit M. Guerry, une forte pro- Port-fiTcUon
portion des crimes contre les propriétés est commise par des voleurs de Considérations
profession ( i ) , dont le nombre pour tout le royaume ne s’élève pas a 1^.5 ^agnL etc
moins de 30 à 40 mille individus des deux sexes. Parmi eux se trouvent
beaucoup de jeunes gens, qui, dans nos maisons de correction (2), se sont
préparés librement à i’exercice de leur infâme métier (3). Quant aux forçats,
objet d’effroi pour la société, rarement à l’expiration de leur peine
se rendent-ils coupables de crimes aussi atroces qu’on l’imagine dans ie
monde. Comme ils connoissent parfaitement les lois pénales, ils évitent
avec soin de commettre des actions qui pourroient les conduire à l’écha-
(1) «Cette observation, dit encore l’auteur que je cite, s’applique bien mieux à la ville de
Londres, où les voleurs, plus nombreux et plus habiles que chez nous, forment une espèce de
corporation, de société régulièrement organisée.» (Voyez Essais sur la statistique morale de la
France. )
(2) Nom bien malheureusement imaginé 1
(3) «Un jeune homme à Paris commet-il un léger délit, la police s’en empare et ie plonge
vivant dans ce cloaque nommé Dépôt de la préfecture. Que rencontrera-t-il à son entrée! des forçats
évadés qui viennent se faire ressaisir à Paris, des forçats qui ont rompu leur ban et quitté le
iieu de leur surveillance, des forçats libérés arrêtés en flagrant délit à commettre de nouveaux
crimes, enfin d’autres voleurs, escrocs, filous par goût, par état, presque de naissance, race
gangrenée, frelons de la société, mauvais sujets incorrigibles, et qui pour n’êire pas allés au
bagne ^en valent pas mieux et sont depuis longtemps incapables d’aucune pensée honnête,
d’aucune action généreuse....................................................................................................................
3> Au milieu de ce dévergondage, de ce cynisme de gestes et de propos, de récits horribles et
dégoûtans de crimes, le malheureux pour la première fois rougit d’un reste de pudeur et d’innocence
qu’il avoit en entrant; il a honte d’avoir été moins scélérat que ses confrères, il craint
leurs railleries, leur mépris. Car enfin, qu’on ne s’y trompe pas, il y a de l’estime et du mépris
jusque sur les bancs des galères, ce qui nous explique pourquoi quelques forçats y sont plus à
l’aise qu’au sein de la société de laquelle ils ne peuvent attendre que le mépris, et personne ne
consent volontiers à vivre avec le mépris de ceux qui l’entourent. Aussi notre jeune homme, qui
le redoute, va prendre exemple sur de bons modèles, sur ce qu’il y a de mieux dan.s le genre....
II va se former sur leur ton, leurs manières, il va les imiter; leur langue, dans deux jours, il ia
parlera aussi bien qu’eux......................................................................................................................
»Cependant le changement porte moins sur le fond que sur la forme. Deux ou trois jours au
plus, passés dans cet égout, n’ont pu le pervertir encore tout à fait; mais soyez tranquilles, le
premier pas estfait, il n’est pas pour s’arrêter en si beau chemin, et son éducation, qui vient de
s’ébaucher sous les voûtes de la préfecture de police, va se perfectionner à la Force et sc terminer
à Poissy ou à Melun!» (Article d’un ex-prisonnier, inséré dans le journal le Bon Sens,
de novembre 1835.)
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