
Colonie
de
U 5 0 VO YAGE AUTOUR DU MONDE,
mettre cent délits, avant qu’ils soient atteints pour un seul. Instruits
Port Jackson T ’ ®* principe souvent inconcevable de nos lois, la gravité du
crn'sidXa'riis crime n’est pas dans le crime, mais dans les circonstances matérielles qui
, l’accompagnent, ils marchent le Code pénai à la main. Ardens dans la
les bagnes, etc, r o ' > t u j
conception, froids dans i’exécution, ils se rendent tellement maîtres de
leurs mouvemens, ils combinent si bien leurs mesures quon ne peut
jamais leur infliger un châtiment plus grand que celui qii’ils ont jugé
devoir être balancé par le bénéfice de leur action.
» Condamnés, ils déposent leur masque séducteur; ils deviennent les
oracles du bagne, les conservateurs des grandes maximes de la sceleratesse,
et les instituteurs des adultes; goiirmandant les timides, encourageant
les audacieux, et faisant peser sur tous leur supériorité à faire le mal.
Criminels d’abord par erreur, ils le sont maintenant par système; iis raisonnent
le forfait, et s’y attachent comme à une profession honorable,
qui a ses chances heureuses et malheureuses. Chargés du gouvernement
intérieur, ces hommes le sont aussi des relations du dehors. Il se fiiit entre
eux et les malfaiteurs iibres un échange de renseignemens et de secours,
qui constitue une correspondance à laquelle se rattache pius dun
crime. Enfin ces hommes sont aussi les chefs d’une police terrible qu’ils
exercent sur la généralité des forçats. La moindre délation est un crime
jugé digne du dernier châtiment. L’exécution de ce jugement se poursuit
et se consomme dans ie courant d’une fatigue (i), et souvent la mort tragique
d’un homme, qu’on attribue à quelque accident, n’est que la suite
d’une de ces sentences clandestines.
» Il est effrayant de voir l’union, l’accord et l’espèce de fiaternité qui
régnent parmi ces scélérats; c’est vraiment une association puissante au
milieu de la société , qui a ses lois et règlemens. »
Tous ces abus se propagent malgré l’activité de la police des bagnes.
Mais «dans un tel établissement, continue l’auteur que je cite, il faudroit
pour ainsi dire autant de surveilians que de surveillés ; encore peut-être
n’auroit-on pas une police complète; car si les premiers avoient pour
eux la force, la ruse seroit toujours du côté des autres. On ne voudra
(i) On appelle ainsi les corvées pénibles qui n’exigent que l’emploi de la force de la part de
ceux qui les exécutent.
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LIVRE V .— D e s S a n dw ic h à P o r t - J a c k so n in c l u s iv em e n t , i i 5 i
peut-être pas croire que dans une salle où circulent sans cesse en tous
sens plusieurs gardes, où l’espionnage est favorisé et la délation récom- port-Jackson.
pensée, on monte des perruques, on teint des vêtemens de la maison Considérations
qui servent aux évasions, on fabrique de fausses clefs, de faux passe-
ports, et, ce qui est bien plus fort, on fait de la fausse monnoie.
» La grande affaire des gardiens d’une chiourme est d’empêcher l’évasion
des forçats. Rien n’est omis pour atteindre ce but. Outre la surveillance
ordinaire des salles, on sonde leurs fers; on les fouille avec la plus grande
attention, lors des sorties pour la fatigue; on les épie aux travaux; eh bien,
malgré toutes ces précautions , au moyen d’une infinité de ruses qu’on ne
sauroit décrire, et d’une patience vraiment admirable, ils parviennent à
sortir perruque, chemise, souliers, enfin un vêtement complet. On ne se
fait pas d’idée de la célérité qu’ils mettent dans leur évasion ; arrivés au lieu
qu’ils ont jugé le plus propice, en moins de vingt secondes ils ont cassé
un fer de plus d’un pouce de diamètre (i) , quitté leurs habits de bagne,
endossé ieur déguisement et disparu aux yeux de leurs gardes stupéfaits
(2). Enfin, pour terminer par un trait incroyable s’il n’étoit avéré,
j’ai vu des hommes qui avoient l’inconcevable faculté de faire de leur rectum
une cachette capable de contenir, dans un étui, 50 louis, une perruque,
des passe-ports, et souvent des ressorts dentelés propres à scier le fer.
» Ah ! combien j’ai vu arriver de ces jeunes gens q u i, dans une
conscience ulcérée, apport oient encore la candeur et l’innocence, et qui
bientôt, déhontés scélérats, rivalisoient de méchanceté avec les plus anciens
malfaiteurs. J ’avois suivi les progrès de leur dépravation; d’abord,
s’agitant au milieu d’un cercle de corruption et de corrupteurs, poussés
d’un excès vers l’autre, ils ne se livroient à aucun. Le repentir étoit encore
dans ieur coeur une garantie salutaire contre ies ravages de la perversité.
Quelque temps la physionomie hideuse, l’audace des tentateurs, les
(1) Les forçats coupent leurs fers à l’aide de scies faites avec des ressorts de montre, et peu
d’heures leur suffi.sent pour cette opération; ils ne laissent que de petites parties capables de ies
maintenir, mais qu’on peut briser avec un médiocre effort; les entailles que la scie a faites se
remplissent de mie de pain, colorée avec du jus de tabac. (Voyez Mémoires d ’un forçat, etc.)
(2) Le simple garde reçoit par jour ,52*^ pour remplir son devoir; seroit-il fort extraordinaire
qu’il consentît à fermer les yeux pour un appât de 1 000^ qui iui seroit offert!
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