
î '
six heures nous avions toujours eu ies avirons sur les bras, tandis que
le docteur Quoy tenoit ie gouvernail. Pendant les trois quarts d’heure
que nous restâmes ià, nous tuâmes un assez grand nombre de manchots
à coups de bâton et de sabre. Enfin nous partîmes pour rejoindre ie
camp de Í Uranie, ayant avec nous un phoque, 24 oies et 24 manchots,
ce qui pouvoit fournir pendant trois jours des vivres à tout l’équipage.
Les vents étant contraires nous n’arrivâmes au terme de notre petite excursion
que sur les quatre heures du soir. »
Depuis queiques jours nous cherchions à nous procurer des chevaux,
qui nous eussent offert une nourriture moins désagréable que celle des
amphibies marins dont nous étions obligés de faire usage; mais jusqu’alors
nous n’avions pas été assez heureux pour découvrir ieur gîte. Enfin un de
nos matelots parvint à en tuer un; il étoit malheureusement unique sur
le point où on ie rencontra; toutefois ce fut pour nous une grande nouvelle,
et l’on expédia aussitôt une corvée d’hommes pour apporter la chair
de cet animal.
Pendant toutes ces tentatives pour assurer nos moyens de subsistance,
ie gros de l’équipage continuoit à alléger le navire des poids considérables
que l’on pouvoit déraper de ia cale. Quand les vents souffloient de
terre, la houle étant presque nulle dans la baie, la corvette, sur laquelle je
me trouvois toujours, avoit des mouvemens peu fatigans; mais avec les
vents du large les secousses étoient horribles. Le 21 février surtout, les
lames furent tellement grosses que je crus, à diverses reprises, que países
chocs redoublés sur le soi notre malheureux navire alloit entièrement
s’entr’ouvrir. Le mauvais temps empêcha que les communications ordinaires
de terre avec ie bord eussent iieu, et nous aurions été obligés de
nous passer tout à fait de nourriture ce jour-ià, si l’on ne fût parvenu
sur le soir à trouver un petit barachois, où malgré la houle on pouvoit
s’embarquer sans danger; on nous fit donc parvenir, pour souper, une
portion de la misérable pitance qui étoit commune à tous depuis notre
naufrage. Cette fois c’étoit une espèce de turhtine, ou soupe composée
de queiques débris de biscuit, pêche's dans la cale, mêlés à des morceaux
de phoque bouillis sans sel, car nous n’avions point encore eu le temps
d’en faire.
La nuit suivante fut terrible; j’avois gardé avec moi, sur la corvette,
une quarantaine de mes meilleurs matelots : aucun de nous ne put fermer
l’oeil. Nos embarcations tout armées stationnèrent sans interruption
le long du bord, prêtes à nous recevoir dans le cas d’un dernier
malheur. Nos basses vergues, frappées en béquilles, sur les bas mâts,
panicipoient au mouvement commun, et nous faisoient craindre à chaque
instant de voir la mâture se briser en totalité. Ces secousses multipliées
diminuèrent l’espoir que nous avions conservé jusqu’alors de réparer les
avaries de la corvette.
.Au jour cependant nous continuâmes nos travaux: nous reprîmes les
portugaises qui lloient les vergues aux mâts, et quoique les chocs du
bâtiment lui eussent fait une souille assez profonde dans le sable, nous
disposâmes les apparaux dont nous avions résolu de faire usage pour
abattre la corvette sur bâbord, et éventer ainsi notre voie d’eau, s’il étoit
possible. Le soir, ne voulant pas recommencer l’épreuve beaucoup trop
cruelle de la nuit précédente, j’ordonnai à tout l’équipage, sans exception,
de descendre à terre, et, après m’être assuré qu’il ne restoit plus
personne à bord, je m’embarquai moi-même ie dernier dans mon canot,
et allai coucher à notre camp.
Dès le point du jour nos travailleurs m’accompagnèrent à bord; on 23.
continua les dispositions commencées ia veille, et ce système d’opérations
se poursuivit jusqu’au 28 février. A cette époque nos apparaux d’abat- 28.
tage étant en place, ils furent mis en jeu sous l’action de tout l’équipage
réuni; et cet effort fut assez considérable pour briser nos francs funins et
nos poulies de carène. Or nous avions composé cet appareil de tout ce
que nous avions de plus solide et de plus résistant; aussi fa non-réussite que
nous venions d’éprouver fit-elle évanouir presque toutes ies espérances que
nous avions conçues de réparer ies avaries de la corvette ; mais qu.tnd nous
apprîmes par nos plongeurs que les chocs multipliés du bâtiment sur le
sol avoient considérablement augmenté ses avaries primives en enlevant
plusieurs bordages, nous ne conservâmes plus aucun espoir.L’avis
de mes officiers, consultés sur ce point, fut identiquement ie même
que le mien, et nous reconnûmes unanimement qu’en raison des foibles
moyens dont nous pouvions disposer nos avaries étoient tout à fait irré