
Considérations
sur
les bagnes, etc.
t'aud, et leurs attentats ne sont plus alors dirigés contre les personnes,
mais contre les propriétés. »
Les criminels libérés infestent ia société par ie mal qu’ils font et par
les principes qu’ils propagent. C’est â eux et à leurs adeptes que sont dus
la plupart des vols combinés qui se commettent, surtout dans les grandes
villes, les vols avec effraction et les faux en écriture privée et en actes
publics. Si je consulte les documens qui depuis quelques années ont été
publiés en Lrance (i), relativement au nombre des accusés en matière
de faux, je vois que pendant les neuf années qui se sont écoulées de 1825
à 1833 il n’y a pas moins de 3 i68 individus mis en jugement pour ce
crime; sur ce nombre i 799 ont été condamnés , et les i 369 autres, qu’il
a fallu acquitter par défaut de preuves suffisantes, sont rentrés dans le
sein de la société, avec des connoissances d’autant plus dangereuses
qu’elles ^voient été perfectionnées dans les prisons.
« Quand on examine, dit M. A. Chevalier dans son Mémoire sur les
faux en écriture, les divers procédés mis en usage par les faussaires dans
les actes falsifiés, on est forcé de reconnoître qu’il y a parmi ces hommes
deux classes bien distinctes : l’une composée de gens qui n’ont pas de
connoissances dans l’art de falsifier les écritures ; ceux-ci le plus souvent
sont condamnés, les experts faisant reparoître les écritures enlevées;
l’autre, de gens habiles, qui ont apporté, dans la falsification , des connoissances
qui mettent souvent le chimiste en défaut. » *
Au nombre des principes destructeurs de la morale publique que les
torçats libérés propagent à leur rentrée dans le monde, on doit compter
ce flot de doctrines anti-sociales qui sont la conséquence de la haine invétérée
que ces criminels ont conçue contre ce qu’ils appellent leurs oppresseurs.
La corruption des domestiques, dans les maisons où ils ont
l’art de s’introduire avec de bons certificats, et même, ce qui est plus
déplorable, à l’aide de renseignemens favorables qu’ils obtiennent de personnes
foibles ou trompées, est un des moyens auxquels ils s’attachent de
préférence , comme le plus fécond pour eux en résultats productifs.
Une horrible pédérastie se répand aussi, avec une incroyable rapidité,
(1) Voyez les Comptes généraux de l’administration de la justice criminelle en France.
LIVRE V. — D e s S a n d w i c h à P o r t - J a c k s o n i n c l u s i v e m e n t , i i 6 i
partout où ces êtres pervers parviennent à avoir accès; et si d’heureuses
circonstances ne permettent pas d’y porter un remède prompt et effi- Port-Jackson.
cace, on pourra bientôt appliquer à plus d’une de nos villes ces paroles Considérations
de la Genèse : Clamor Sodomorum et Gomorrha. multiplicatus est, et pecca- ha/n/ etc.
tum eorum aggravatum est nimis.
On doit conclure des considérations que nous venons de présenter,
qu’en envoyant des criminels aux bagnes, tels qu’ils sont organisés aujourd’hui,
la société se punit elle-même beaucoup plus cruellement qu’elle
ne punit les coupables; et, ce qui doit faire naître de sérieuses réflexions,
chez ceux du moins que le bonheur de ia Lrance intéresse encore, c’est
que ies mêmes doctrines sont élaborées et prêchées dans les maisons
centrales de détention, et dans quantité d’autres prisons, où d’anciens
forçats sont enfermés par suite de condamnations en récidive.
II est hors de doute que les assassins sont beaucoup moins nuisibles
à la société que les voleurs et les bandits de profession (1); or ces derniers
affluent surtout dans les maisons centrales et dans ceiles de détention
; ils sont la pire espèce de malfaiteurs, ia pius habile à la fois et ia
moins punie,
(1) <c Les coups et blessures, l’honiicide, le meurtre même quand ils n’ont pas pour but de
faciliter le vol, sont dus le plus souvent à l’entraînement d’une passion violente qui peut laisser
des remords; à un accès de ¡alousie , à un transport de colère, au désir de repousser une provocation
ou de venger une injure. Dans des circonstances particulières, ces crimes peuvent même
avoir pour principe un sentiment d’honneur, mal compris il est vrai, mais que savent excuser
nos préjugés.
» Les attentats contre les propriétés, au contraire, longuement prémédités et renouvelés sans
cesse, prouvent une affligeante persévérance dans le mal et ne supposent pas moins de dépravation
que de lâcheté L’escroc, le faussaire, le banqueroutier frauduleux de nos départemens
septentrionaux, qui, avec des formes polies et une instruction variée, consomme froidement la
ruine de vingt familles dont il a surpris la confiance, est à nos yeux plus vil, plus immoral que
l’habitant illettré de nos provinces du midi qui, dans une rixe, frappe son adversaire ou lui
donne la mort.» (Guerry, Essai sur la statistique morale de la France.)
Le directeur de la prison centrale de Montpellier me disoit, lorsque j’allai visiter cet établissement
en 1834, G femmes les plus coupables étoient celles qui se comportoient le mieux
dans la maison; mais que les petites voleuses, qui ont le plus l’habitude du crime, étoient de véritables
teignes, dont il étoit très-difficile de venir à bout.
Cette opinion se trouve en quelque sorte confirmée par l’observation consignée dans le
Compte rendu de l’administration de la justice criminelle en France, pour l’année i 828, où il
est dit que «ceux qui ont subi les peines les plu§ sévères paroissent les moins prompts à reprendre
leurs criminelles habitudes. »