
Moeurs
lies colons.
admettons, ce qui doit être' très-près de la vérité, que ia population
totale de la colonie fût alors de 50 000 habitans, nous trouverons que
la consommation annuelle moyenne pour chaque individu n’a pas été
moindre de 17 gallons [76, 9 litres]. Or, comme il est évident que les
enfans et une partie au moins des femmes sont loin de se livrer à de
pareils excès, ce n’est pas trop que de doubler cette quantité pour savoir
ce que les ivrognes de la colonie consomment. A ce compte ce serait
pour chacitn d’eux au moins i 5 4 litres par an, ou par mois i 3 litres,
consommation dont il n’y a d’exemple dans aucun autre pays du monde
sauvage ou civilisé. J ’ignore quels miracles pourra opérer ia Société de
tempérance qui vient de se former à Port-Jackson.
Longtemps, avons-nous dit dans notre chapitre X X X I I I , on négligea
. dans ia colonie l’influence de la religion pour épurer la moralité des
convicts ; déjà en 1802 on se piaignoit avec amertume du mépris générai
que cette classe d’habitans affectoit pour toutes les choses sacrées et
religieuses; cependant, et aujourd’hui encore, les colons se montrent, à
cet égard, d’une incurie incroyable envers ies convicts qui travaillent
chez eux; à peine dans un petit nombre de fermes récite-t-on, les dimanches,
les prières du rite anglican; et de ceux encore qui se livrent
à ces soins, à peine, d’après ie docteur Lang, en compte-t-on i sur 5 habitans,
et peut-être même t sur 10. Les exercices religieux réclamés par
la population catholique ont été jusqu’ici plus rares encore et plus difficiles
à réaliser. Au reste, ii est facile de concevoir que ces principes,
qui forment ia base de toute saine morale, sont extrêmement relâchés à
Port-Jackson, même parmi les meilleurs, et que la plupart des autres n’y
songent pas du tout.
Libertinage, — Le libertinage développé par d’anciennes habitudes, et
qu’entretient ici une foule de circonstances, est un des plus grands fléaux
de ia colonie, et l’un de ceux auxquels il est le plus^ difficile de porter
remède. Nous avons déjà parlé du défaut d’équilibre entre les deux-
sexes , et nous avons montré que, chez ies convicts, le rapport du
nombre des femmes à celui des hommes suivoit une marche progressive
ascendante dont il étoit difficile d’assigner les limites. Que doit-on
attendre des moeurs de gens accoutumés à vivre dans un pareil désordre!
LIVRE V.—Des Sandwich à Port-Jacksoî^inclusivement. 869
Le tableau des infamies qui proviennent de aes causes a été plusieurs
fois signalé par les écrivains anglais.
L’un d’eux, Thomas Reid, se piaignoit, en 1820, que les lieux de prostitution,
quoique réduits depuis peu, à Sydney, de 67 à 23, étoient encore
excessivement nombreux comparés à ia population de la ville. « On
» peut se faire une idée de l’affluence qui existe dans ces maisons, dit-il,
» par le gain que font les personnes qui les tiennent, gain tellement
» énorme qu’elles se trouvent à même d’accumuler, dans l’espace de
” trois ans, ceqii’elle.s appellent une fortune : c’est un objet d’étonnement.
« Si ces scandaleux désordres ne sont pas rares, même dans les rues
» les mieux tenues de la capitale, ii seroit difficile de décrire, dans
» les autres, les horribles excès qui s’y commettent. Dans le quartier
’• nommé les Rocks (pl. 94), les scènes d’ivresse, de honteuse débauche
» et de licence effrénée, sont surtout si fréquentes et .si dégoûtantes,
>> qu’on ne peut y songer sans en être révofté; et telle est à cet égard
» l’absence absolue de toute décence, que, même dans le jour, une per-
» sonne honnête courroit risque d’y être insultée; mais l’imprudence
» de s’y montrer seroit bien plus grande encore pendant ia nuit (i). » Ces
détails sont confirmés par le second forgeron de l'Uranie, nommé Larose,
qui, tenant son journal avec beaucoup de soin, parle du quartier dont
il s’agit dans ies termes suivans : « Ce iieu est rempli de concubines
» et de voleurs, lesquels lorsqu’ils voient un individu un peu en ribote,
» vous le détroussent le mieux du monde, et souvent le battent jusqu’.à
» ie laisser sur la place, quelquefois tout nu.» Je cite exactement.
On devoit s’attendre à ce que la capitale d’une colonie de déportation
fût le principal théâtre de ia débauche et du libertinage.; cependant
Parramatta est, à quelques égards, témoin d’excès peut-être encore plus
monstrueux et plus dégoûtans. Voici ce que raconte, sur ce sujet, le
même M. Reid, l’un des chirurgiens-inspecteurs chargés, en 1820, de
conduire à Port-Jackson une cargaison de femmes convictes ;
« Etant allé visiter la manufacture de Parramatta, j’y trouvai les mi-
» sérables créatures que j’avois amenées d’Angleterre dans un état diffi-
» eile à décrire; toutes se réunirent autour de moi, et restèrent plusieurs
( 1 ) V oy e z R e id ’ s Tw o v o y a g e s to N ew -S o u th -W a le s an d Van D iem en ’s L a n d , 18 2 2 .
Voyage dc l’ Uranie. — Historique. T. II. S SS SS
C o lonie
de
P o rt-Ja ck son ,
Moeurs
des colons.