
I
Colonie
de
Port-Jackson.
Considérations
sur
les bagnes, etc.
deroit que par des peines cruelles, plus propres à effrayer des bêtes féroces
qua corriger des créatures humaines. La compassion, lorscjuelle n’est
pas la conséquence de la foiblesse, a souvent opéré des prodiges même
sur les plus grands criminels.
Régime.-— L’alimentation devroit être salubre et suffisante, mais non
pas recherchée , quoiqu’il la fallût variable selon les catégories ; on auroit
soin de ne pas tomber dans ie grave inconvénient d’un régime trop
agréable et trop donx(i). A cette question se rattache naturellement celle
de l’existence d’une cantine, établissement qui donne lieu, je pense, à
beaucoup d’inconvéniens, dont le pius grave est de ne pouvoir pas graduer
convenablement la nourriture sous le rapport de la pénalité ; eile
est d’ailleurs une source de monstrueux abus.
Travaux. — L’emploi des forçats a aussi ses difficultés. On pourroit
continuer d’utiliser dans les ports ceux qui sont condamnés à perpétuité,
en les faisant aller à la fatigue enchaînés et non autrement. Et, dans le
cas où ce genre de travail ne seroit pas momentanément nécessaire, des
ateliers seroient ouverts pour les occuper pendant les heures de peine,
de manière à ne laisser au sommeil et au repos que ce qui peut être
exigé par une hygiène raisonnable.
Les forçats condamnés à temps travailleroient également enchaînés, et
sous une discipline particulière , soit à l’exploitation des mines, au dessé-
(1) et Le régime qui,a fait place au système pénitentiaire, dans les prisons militaires, avoit le
défaut capital de traiter les condamnés beaucoup mieux quïts ne l’étoient à la caserne, et une
partie des récidives étoient dues au bien-être quïls y trouvoient ; mieux nourris, n’ayant à faire
aucun sendce, toujours bien couverts et bien chauffés, ne s’occupant qu’à gagner de l’argent,
qui n’étoit pour eux, à leur sortie de prison , qu’un nouveau sujet de débauche, plusieurs se sont
fait condamner à l’emprisonnement pour être admis dans une maison de détention; la correspondance
avec leurs camarades a fait connoître qu’ils engageoient ces derniers à commettre
quelques délits qui les fissent condamner pour partager avec eux les avantages dont il.s jouissoient.
» Trouvant dans cette maison les moyens d’apprendre un état et de recevoir une instruction
primaire suffisante, il en est quelques-uns qui en ont profité et qui, par suite de l’instruction
qu’ils y ont reçue, ont, depuis leurlibération du service, formé des établissemens industriels qui
ont prospéré.» (Voyez Spectateur militaire, tome X V I , page 4 ° 9 -)
Je suis loin de vouloir appliquer ici la réflexion maligne de Duelos dans ses Mémoires secrets
sur le r'egneite Louis X I Ceux qui pourroient faire punir les grands coupables, dit-il, sentent
»qu’ils ont ou auront eux-mêmes un jour besoin d’une pareille indulgence; » mais seroit-ce
merveille que les personnes d’un esprit aigre et chagrin eu.ssent eu quelquefois cette mauvaise
pensée!
LIVRE V. — D e s S a n d w i c h à P o r t - J a c k s o n i n c l u s i v e m e n t , i i 8 i
chement des marais, ait creusement des canaux, au défrichement des
landes, à la confection et à l’entretien des grandes routes et des chemins Port-Jackson.
vicinaux, à la construction d’édifices publics, à la réparation des fortifi- Considérations
cations; soit enfin, dans certains cas, à des ouvrages d’atelier, d’après le ies bagnes, etc.
système d’Auburn , système qui consiste, comme on l’a publié (i), à renfermer
solitairement les prisonniers pendant la nuit, et à les faire travailler
en commun, mais en silence, durant le jour (2).
Plusieurs personnes, non moins éclairées que bien pensantes, ont
maintes fois exprimé le désir que la France eût un établissement de déportation
analogue (3) à celui de Port-Jackson. Ce projet n’est peut-être pas
inexécutable, mais il offre des difficultés de divers genres, dont les plus
graves, sans contredit, sont le choix d’une localité convenable, les grandes
dépenses qu’il nécessiteroit, et surtout une constance assez prolongée
dans les mêmes vues , pour avoir des chances suffisantes de réussite (4).
Sans cette dernière condition, tout projet dont le temps seroit un des
élémens nécessaires ne pourroit être couronné de succès.
Conviendroit-ii de fonder en France des colonies pénales agricoles
et des établissemens spéciaux pour l’emploi et la réhabilitation des forçats
libérés! De graves et savans écrivains ont émis, à cet égard, des
vues pleines de sagesse; on peut consulter, entre autres, sur cette matière
le iivre de M. Huerne de Pommeuse Sur les colonies agricoles, et ie
Traité d’économie politique chrétienne, de M. le comte Aiban de Villeneuve
Bargemont, ouvrage si riche de faits, et d’ailleurs si remarquable par ie
talent de l’auteur.
Punitions. — Autrefois l’évasion d’un forçat condamné au bagne à perpétuité
étoit punie de mort, et celle d’un forçat relaps encouroit la peine
(1) Voyez MM. C. deBeaumontet de Tocqueville, D u système pénitentiaire.
(2) «Dans l’ancienne prison d’Auburn on a essayé l’isolement sans travail, et les détenus qui
ne sont pas devenus fous ou morts désespérés ne sont rentrés dans la société que pour y commettre
de nouveaux crimes. » ( De Beaumont et de Tocqueville, op. cit.)
(3) J ’insiste sur ce mot analogue, parce que je suis loin de croire qu’on ne puisse pas proposer
des perfectionnemens notables au plan que les Anglais ont suivi dans l’établissement de
leurs colonies australes.
(4) « Notre courage admirable sur le champ de bataille, dit M. de Villeneuve Bargemont
(op. cit.), recule devant les entreprises qui exigent du temps et de la patience. »