
D e l’homme
en société.
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uns les autres avec leurs armes, frappent la terre du pied, et débitent,
dun air de mépris, des paroles outrageantes contre leurs adversaires,
pour s’exaspérer mutuellement.
Guerre de tribu a tribu. — Quand une tribu ou portion de tribu a reçu
quelque injure grave de gens appartenant à une autre peuplade, elie lui envoie
un défi; on n’a pu connoître jusqu’ici ni l’autorité quM’envoie,
ni la forme qu on lui donne. La rencontre a exactement lieu au jour désigné;
les troupes ennemies campent en présence, et s’ii se trouve dans
1 une et dans l’autre armée des personnes qui soient liées d’amitié, elles
se visitent alors et, en se voyant, se mettent à pleurer d’une maaière
piteuse. Les cabanes destinées à passer ia nuit sont construites à part pour
chaque parti. Avant que le combat commence les femmes et les enfans se
rangent sur les derrières de l’armée, comme pour être spectateurs du
combat et encourager les guerriers : Et in proximo pignora, und'e femina-
runi ululatus auditi, unde vagitus infantium (i). Quelquefois l’engagement a
lieu dans une arène circulaire, d’environ quarante pieds de diamètre, sur
trois pieds de profondeur. Voici les détails d’une bataille de ce genre,
dont un Anglais naufragé à la baie Moreton a été le témoin; iis sont rapportés
par M. Field [op. cit. ).
« Un nombre considérable d’étrangers des tribus voisines étant accourus
pour assister comme curieux à ce combat, ies armées ennemies se rangèrent
bientôt parallèlement, à droite et à gauche de l’enceinte creusée à
1 avance. Deux femmes sautèrent alors dans Je cirque et commencèrent le
combat en se frappant à outrance avec des bâtons pointus. Mais en peu de
minutes, leur tête, leurs bras, et les autres parties de leur corps se trouvèrent
tellement couvertes d horribles contusions, que ces malheureuses furent
obligées de se retirer. L une d elles cependant fut déclarée victorieuse, et
son succès proclame par tous ceux de sa nation avec d’éclatans cris de joie,
»Les hommes parurent à leur tour dans l’arène; deux d’entre eux,
après s etre défies mutuellement de la voix et du geste, se lancèrent leurs
sagaies, dont i un d eux fut blessé ; ses amis l’enlevèrent àl’instant, le pla-
( 1 ) Ils ont prés d’ eux ies gages de leur amour; ils entendent les hurlemens de leurs femmes,
les cris de leurs enfans : ce sont pour eux les témoins les plus redoutable s, les panégyristes les
plus flatteurs, ( T a c i t e , de mor. Germ.)
LIVRE V .— D e s S a n d w i c h à P o r t - J a c k s o n i n c l u s i v e m e n t . 7 9 3
cèrent sur leurs^enoux, le couvrirent de peaux de kanguroos, tandis
que les gens de son parti, de tout âge et de tout Sexe, se mirent à hurler
et à faire de tristes lamentations. La blessure étant mortelle, en
moins d’une heure ce malheureux expira. On l’emporta aussitôt sur
les derrières de l’armée, où l’on se mit en devoir de l’écorcher.
» Cependant de nouveaux champions qui étoient entrés en lice conti-
nuoient le combat, quand tout-à-coup un cri général et effroyable se fit
entendre, excité par un acte de déloyauté dont l’un des assaillans venoit
de se rendre coupable. Aussitôt la foule des étrangers s’éloigne; les armées
se forment en ligne et se choquent. De nombreux guerriers s’avancent,
jettent ieurs sagaies, se retirent ensuite dans leur ligne, à ia
manière de notre infanterie légère, tandis que d’autres, qui se sont embusqués
derrière des arbres, guettent avec plus d’avantage l’occasion de
frapper leurs ennemis.
»La mêlée continua ainsi pendant près de deux heures, durant lesquelles
plusieurs hommes furent blessés, et d’autres tués. Celui des partis qui
•étoit le moins nombreux commença enfin à plier; les femmes, les enfans
prirent la fuite et furent suivis par tous les hommes, à l’exception toutefois
de ceux qui écorchoient le mort. La nuit n’étoit pas encore close lorsqu’une
troupe de vaincus revint sur le champ de bataille, portant avec
eux les corps de ceux de leurs compagnons qui avoient été tués; dès
qu’on les eut déposés à quelque distance du camp, une lamentation générale
se fit entendre; après quoi, eut lieu une certaine cérémonie mystérieuse
que les Européens ne purent voir; probablement elle avoit
pour objet l’écorchement des cadavres et Je brûlement des corps. Ces
tristes opérations étant accomplies , la trouve se mit en marche pour
revenir à la baie Moreton. Dès qu’ils eurent mis le pied sur les terres
qui appartenoient à leur tribu, les gens qui portoient avec grand soin,
et hors de tous regards profanes, les peaux des guerriers écorchés,
mirent ces peaux à sécher devant un grand feu; après quoi ii y eut encore
certaines cérémonies, à la suite desquelles un conseil général fut
tenu. On prit enfin ces peaux et on les porta au milieu de la forêt voisine
en faisant des cris épouvantables. Mais l’auteur de la relation ne put jamais
obtenir la permission de voir ces dernières scènes funèbres.»
D e l’ homme
en société.
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