
P o r t-Ja c k so n . dans une position plus commode; enfin la poser sur ses genoux, et
^en dans ses yeux une forte expression de sollicitude et de
douleur. Hâtons-nous d’ajouter que de pareils traits de sensibilité'-, de ia
part des hommes , ne sont pas rares, et qne des marques d’un profond chagrin
se decèlent aussi assez souvent chez eux à la mort de leurs compagnes.
Mais lorsquun indigène se met en colère, sa frénésie ne connoît pius
de bornes; malheur à la femme qui est i’objet de sa fureur! les coups de
sagaie dans les cuisses, de waddy ou de casse-tête sur le crâne, ne lui
seront pas épargnés. C ’est principalement quand elle revient de ia pêche
sans rapporter la quantité de poisson nécessaire aux besoins de la famille,
quil lui fait vivement éprouver son ressentiment; mais la jalousie est la
cause la plus fréquente de pareils sévices. Barrailler vit un jour un naturel
transporté de colère parce que, disoit-il, sa femme avoit été séduite; il
vouloit la tuer si elle ne iui faisoit pas connoître le nom de son séducteur,
et il la frappa à coups de waddy, jusqifa ce qu’il en eût obtenu l’aveu
forcé quil desiroit. Revenu à lui et convaincu de l’innocence de cette
infortunée, il témoigna un grand regret de l’avoir maltraitée.
Plusieurs naturels ont assassiné leurs femmes convaincues d’adultère;
on m’en a cité un entre autres, qui ne pouvant atteindre la coupable,
mais rencontrant sur ses pas une fille âgée de douze ans qu’elle avoit eue
d’un premier mari, exerça sur elle sa vengeance en la noyant de ses
propres mains. Après de tels excès, on ne peut qu’être surpris de vbir un
père se glorifier d’avoir des enfans mulâtres dans sa famille; ceux-ci,
pour le dire en passant, sont élevés comme les autres enfans, et participent
conséquemment aux mêmes moeurs.
L’homme et la femme, une fois qu’ils se regardent mutuellement
comme mariés, restent en général fidèles l’un à l’autre, et ne se séparent
pas volontiers; aussi peut-on assurer qu’ils sont fermes et constans dans
leur attachement réciproque. Arrive-t-il, ce qui n’est pas fort rare, qu’un
enlèvement ait lieu, le mari en éprouve un chagrin aussi vif que durable.
Tempérament. — La chasteté n’est pas assurément la vertu dominante des
filles ; et toutefois le tempérament des personnes de l’un et de l’autre sexe est
plutôt froid que chaud , ce qu’il faut attribuer peut-être autant à leur constitution
particulière qu’à ieur genre de vie. Quoique étrangères à nos idées
LIVRE V. — D e s S a n d w i c h à P o r t - J a c k s o n i n c l u s i v e m e n t . 7 3 7
de convenances, les femmes néanmoins ont une sorte de modestie natu- P o n - Ja c k s o n .
relie» qui les porte à cacher soigneusement par leur attitude et leur main- 1 homme
^ ° ' en société.
tien , ce que nous voilons par l’habillement, avec plus d’avantage et
d’exactitude. On doit croire que parmi elles la pudeur est souvent outragée,
et sans doute il ne sauroit en être autrement dans un pays où la nudité
est aussi complète; cependant on n’y remarque point ce que nous pourrions
nommer des indécences ; un sentiment inné de retenue et de modération
s’oppose à la production des désordres, auxquels plus d’un Européen
pourroit croire que les sauvages s’abandonnent.
Défauts des enfans. — Leurs enfans n’étant assujettis à aucune sorte
d’éducation morale, ont précisément ici ies défauts que nous remarquons,
en Europe, chez ceux des nôtres que nous nommons enfans
gâtés. Autorisés peut-être aussi par l’exemple de ieurs pères, ils se
livrent sans contrainte à des excès de colère vraiment incroyables. Un
jeune garçon de sept ans, contrarié de ce qu’un Anglais ne l’avoit
pas embarqué dans un canot, où il desiroit aller, après avoir poussé des
cris horribles et donné des preuves de la violente passion qui le possédoit,
se jeta la face contre terre, la battit de ses mains, et l’on eût dit
qu’il vouloit la mordre; se relevant bientôt après, dans un transport de
rage, il s’arracha les cheveux, et courut vers ie rivage comme pour se
précipiter dans la mer; s’étant arrêté néanmoins près du bord, et ayant
recommencé cette scène de fureur, un naturel, que ses cris avoient attiré,
courut à lui et le prit dans ses bras ; mais ia féroce petite créature se
débattit si bien, se rua sur iui avec tant de force, en lui égratignant la
figure, que celui-ci fut obligé de lâcher prise; on s’en empara enfin de
nouveau et on l’emporta au milieu des bois. II arrive cependant presque
toujours que lorsqu’un enfant pousse des cris, ses parens n’y font aucune
attention, à moins qu’il ne soit extrêmement jeune; ils préfèrent attendre
que ia colère se détruise par sa propre violence.
Barrailler raconte encore que, pendant son voyage dans ies Montagnes-
Bleues, ayant donné au fils d’un des sauvages qui l’accompagnoient les
restes de son déjeuner, celui-ci se mit aussitôt en devoir de s’en régaler.
Sa mère s’étant avisée de prendre un morceau de viande et de le manger,
il se mit à jeter les hauts cris et alla se plaindre à son père, qui défendit