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A oût.
d’autres massoient les princesses. Ces colosses féminins, qu’on eût dit
n’exister que pour manger et pour dormir, nous regardoient ia plupart
d’un air stupide. Kaahoumanou, dont le capitaine Vancouver nous a
transmis l’intéressante histoire, et qui avoit été la favorite de Taméhaméha,
ne nous parut point encore arrivée au déclin de l’âge , quoique
depuis ce temps vingt-cinq années se fussent écoulées (i). Elle étoit très-
grande, et, comme toutes les autres, surchargée d’embonpoint. En ce
moment, indisposée et se plaignant de ressentir des douleurs generales,
elle poussoit des soupirs, et se lamentoit de manière qu’on l’eût dite près
d’expirer, ce que son encolure rebondie et son visage de prospérité sembloient
démentir. Je prescrivis quelques médicamens, que M. Rives se
chargea d’administrer. »
Il est facile d’imaginer que notre conversation ne fut pas très-soutenue;
mais d’excellentes pastèques qu’on nous servit nous fournirent le moyen
d’en dissimuler la langueur. M. Rives et un Anglo-Américain qui se
trouvoit là n’y touchèrent point; habitans du pays, iis se croyoient tenus
d’observer la règle commune qui interdit aux personnes des deux sexes
de manger ensemble sous le même toit.
On avoit annoncé l’arrivée du premier ministre, Kraïmokou [voyez
>pl. 84, fig. I ), chef très-considéré, habile et influent dans les affaires,
et que j’étois bien aise de voir ; cependant, comme il ne venoit pas,
et que le roi, lassé d’attendre, étoit déjà parti, je sortis dans l’intention
d’alier rendre visite au respectable Anglais, M. John Young (pl. 82, fig. 2),
qui fiit si long-temps l’ami et le sage conseiller du roi Taméhaméha.
La maison de cet intéressant vieillard (2), située au sommet d’une colline
qui domine le village de Kohaïhaï, est bâtie en pierre, bien aérée et
salubre. Je le trouvai assis au pied de son l it , car depuis quelque temps il
étoit malade : ia mort du roi i’avoit beaucoup affecté. Il partageoit avec
lui, en quelque sorte, le suprême pouvoir; faveur qui lui fit plus d’un
ennemi et plus d’un jaloux. Riorio, à la vérité, conservoit pour iui
beaucoup de considération et d’égards ; mais ce jeune prince , encore peu
( I ) E n 1 8 1 9 , la reine Kaahoumanou étoit âgée d’environ quarante-trois ans.
( 2 ) N é à L iv e rp o o l en A n g le te r re , Y o u n g pouvoit a voir alors soixante et dix ans; il
habitoit les S andw ich depuis le commencement de 17 9 0 .
LIVRE IV. — D e G ® a m a u x S a n d w i c h i n c l u s i v e m e n t . 533
expérimenté dans le maniement des affaires d’état, avoit de la peine à
contenir dans le devoir quelques chefs insubordonnés que son père avoit
soumis par les armes.
Taméhaméha, dans ie principe, n’étoit le chef que d’un district peu
étendu de la partie septentrionaie d’Owhyhi ; par son habileté, par sa force
corporelle, sa prudence et son esprit entreprenant, ii étoit parvenu à mettre
sous sa dépendance son île natale toute entière, et même à pousser ses
conquêtes jusqu’aux îles Mowi et Vahou, dont ii s’étoit emparé. Quelques
uns des chefs qu’il avoit soumis étoient demeurés ies ennemis
secrets de lui et de sa famille, et n’avoient pas perdu l’espoir de recouvrer
leur indépendance; les autres lui étoient sincèrement attachés,
soit par affection pour sa personne, soit en vue de leur propre intérêt.
Parmi les premiers, Kékouakalani, chefinfluent d’un district d’Owhyhi,
se faisoit sur-tout distinguer par son animosité contre Riorio, son parent;
et cette animosité étoit telle, qu’il ne parioit pas moins que de renverser
la puissance royale et de massacrer tous les Européens établis aux Sandwich
: c’étoient eux, selon lui, qui avoient le plus contribué à les asservir
et à concentrer la souveraineté dans les mains d’un seul. Aucun acte d’hostilité
n’avoit encore eu lieu; cependant on craignoit la guerre , quoique le
jeune roi et ses amis fissent tous leurs efforts pour l’éviter. Espérant
parvenir à une conciliation , Riorio , d’après les avis de Kraïmokou, avoit
rassemblé à Kohaïhaï une espèce de congrès des principaux chefs jusque-
là soumis à l’autorité de son père : chacun y faisoit entendre ses réclamations
; ie jeune roi accordoit ou refusoit certains privilèges, se relâ-
choit sur quelques-unes de ses prérogatives, tenoit ferme dans d’autres
occurrences, et comptoit, par cette politique, consolider sa domination.
Une des choses qui déplaisoient le plus aux autres chefs, c’étoit que le
roi se fût arrogé le monopoie exclusif du bois de sandai, seule substance
dont le commerce eût pu jusque-là procurer de grands avantages. Non-
seulement Taméhaméha avoit eu tous les profits qui résultoient de ia
vente de ce bois aux étrangers , mais encore personne n’avoit été appelé
à recevoir une part quelconque des marchandises européennes accumulées
dans ses magasins. Plutôt que de s’en faire une source de largesses en
faveur de ses vassaux, il aimoit mieux laisser périr ces marchandises en
18 19 .
Août.