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N ov em b re.
L ’arrivée du capitaine de port, M. Piper, me tira de cette extase;
je l’avois connu dans une de mes précédentes relâches, et j’éprouvai
un véritable plaisir à le revoir. Prévoyant qu’après une longue traversée,
nos provisions devoient se ressentir un peu de notre absence de tout
pays civilisé, il s’étoit fait accompagner de quelques-uns de ces rafraî-
cbissemens dont les marins sont si avides ; des fruits, des oeufs frais
et du iaitage. Son attention obligeante ne s’étoit pas bornée là : devançant
notre impatience, il nous apportoit les lettres qui nous attendoient
dans cette colonie, et vouloit nous faire jouir quelques instans plutôt
du bonheur indicible de recevoir des nouvelles de nos familles.
L’envoi d’un officier au gouverneur, ie salut d’usage , et divers objets
à régler relativement à la santé de l’équipage, m’occupèrent jusqu’au
moment où l’état-major de l’Uranie et moi nous pûmes aller faire , en
corps, une visite au gouverneur et aux principales autorités du pays.
Par-tout nous reçûmes un accueil distingué, et ies offres de service les
plus empressées pour l’exécution des travaux scientifiques qui faisoient
l’objet spécial de notre mission.
Une maison fut louée pour établir notre observatoire, au sommet
de Bunkers-Hill (pl. 9 4 ) , et bientôt tous nos instrumens y furent
installés.
L ’activité et ie zèle de chacun de nous furent de nouveau excités par
la multitude d’objets curieux et intéressans qui s’offrirent de tout côté
à nos regards. M. Gaimard, et plusieurs autres personnes de l’état-
major, quittèrent Sydney le 20 novembre de très-grand matin, et firent
à cheval une course jusqu’à Botany-Bay, à peine éloigné d’une lieue
et demie du point où nous nous trouvions. Le but de cette excursion
étoit l’étude des productions naturelles du pays, et la visite d’une fabrique
appartenant au capitaine Piper, établie sur les bords de la rivière Cook.
De là, ces messieurs se rendirent, en traversant un terrain marécageux,
à un corps-de-garde occupé par cjuelques soldats invalides, dont l’objet
est de surveiller i’entrée des navires qui arrivent à Botany-Bay. Le lieu
où est situé ce corps-de-garde est connu sous le nom de Jardin des Français,
en mémoire de la relâche qu’y fit M. de la Pérouse en 1788.
Dans le voisinage, M. Gaimard vit un sauvage qui, d’une conformation
LIVRE V. — D e s S a n d w i c h à P o r t - J a c k s o n in c l u s i v e m e n t . ¿ 2 7
différente de celle qui est propre à ses compatriotes, avoit les membres
forts et musculeux : sa barbe étoit iongue et fournie, et son coi'ps assez
veiu; mais il ne portoit aucune espèce de vêtemens.
Le 2 I , le même M. Gaimard se rendit à Parramatta (pl. 9 3 ). Arrivé
vers les dix heures du matin , il rencontra près du temple protestant une
soixantaine de jeunes filles habillées de bleu. « Ce charmant troupeau,
dit-il, étoit conduit par quatre grandes demoiselles vêtues avec plus d’élégance
; toutes nous saluèrent d’une manière décente et fort aimable.
On nous apprit quelles appartenoient à l’institution des orphelines.
« Mes camarades et moi, poursuit M. Gaimard, nous revînmes le
même jour à Sydney, par une route belle et soigneusement entretenue ,
où i’on rencontre sur divers points des ponts bien construits, et des
bornes en pierre qui indiquent les distances. Plusieurs voitures peuvent
passer de front sur cette grande route, tracée au miiieu de ces eucalyptus
que Pérou désigne sous le nom de géans des forêts australes ; l’ombrage
et ia fraîcheur que nous y goûtions rendirent notre course fort
agréable. Des champs nouveliement défrichés, de jolies maisons de campagne,
de nombreux troupeaux de boeufs, quantité d’oiseaux bruyans
ornés des plus vives couleurs, tout se réunissoit pour nous faire éprouver
ces sensations indéfinissables dont l’ame la plus froide ne sauroit se
défendre à ia vue d’un si riche paysage conquis sur ia nature brute, et
qui atteste i’active industrie et sur-tout la constance du peuple qui
a su si admirablement mettre en pratique les vrais principes de la colonisation.
»
Les prévenances dont nous étions l’objet de la part des principales
autorités du pays étoient telles, que, voulant, comme de raison, subordonner
les plaisirs aux travaux que nous devions exécuter, nous fûmes
obligés de refuser plusieurs fois les invitations qui nous étoient adressées.
Cependant il ne fut pas toujours possible de nous soustraire à ces témoignages
presque journaliers de politesse.
Le 2 4 nous assistâmes au dîner que nous offrirent collectivement
M. le lieutenant gouverneur Erskine et les officiers de la garnison ; ie
repas eut lieu aux casernes, dans la saile à manger ordinaire de i’état-
major. On a peu d’exemples en Europe d’une propreté pius exquise ,
bdjouf
à P o rt-Ja ckson .
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N ovembre.