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jets nous avoit réservé, pour la fin du voyage, une bien rude épreuve!!!
Arrivés à l’entrée de la baie Française, le jour étoit clair, la mer fort belle,
el une brise agréable nous faisoit filer cinq milles à l’heure; des vigies
placées en tête de mât et sur i’avant du vaisseau n’apercevoient rien
qui fût de nature à nous donner de l’inquiétude; on sondoit continuellement
de dessus les grands porte-haubans, et tout l’équipage étoit à son
poste pour le mouiliage. A 5** 45 ' de l’après-midi, la sonde, qui jusque-
là n’avoit pas trouvé fond à 20 brasses, indiqua des roches à cette profondeur,
et peu de temps après, 18 brasses seulement; nous n’étions alors
qu’à environ une demi-lieue de terre. Par prudence je crus devoir m’en éloigner
quelque peu davantage, et je laissai porter en conséquence de deux
quarts, précaution qui devoit nous devenir si funeste! Ce fut en effet à l’instant
où tout paroissoit concourir à nos voeux, que la corvette se trouva
tout à coup arrêtée, par un choc violent, sur une roche sous-marine ! La
sonde à cet instant donnoit à tribord i 5 brasses, et i 2 à bâbord, en sorte
que l’écueil fatal sur lequel nous venions de frapper avoit une iargeur
moindre que celle de la corvette ; c’étoit comme une cime de clocher.
En contre-brassant vivement toutes les voiles, nous remîmes aisément
le navire à flot; mais nous ne tardâmes pas à craindre, en voyant divers
morceaux de hois répandus à la surface de ia mer, que l'Uranie ne vînt
de recevoir une avarie grave dans sa carène, ce qui malheureusement
avoit eu lieu en effet. Ayant immédiatement fait sonder dans l’archi-
pompe, le maître calfat y trouva d’abord 15 pouces d’eau, puis bientôt
après 27 et 35 pouces. Nos pompes royales furent aussitôt mises en
mouvement, et ceiles à chapelet ne tardèrent pas à y être elles-mêmes;
tout l’équipage, tout i’état-major furent employés à les manoeuvrer.
Mais avec quelle douleur ne m’aperçus-je pas que ces moyens, cependant
très-puissans, pouvoient à peine suffire pour nous franchir, ou étaler
notre voie d’eau! Je fis aussitôt travailler à larder une honnette, manoeuvre
qui consiste, comme on sait, à coudre des matelas à une voile de ce nom,
et à la faire glisser sous les flancs du vaisseau, de manière à ce que, s’introduisant
dans la plaie, l’ouverture par où pénètre l’eau en soit diminuée.
Cette opération laborieuse et difficile, en raison de notre situation particulière,
n’eut pas tout le succès dont nous nous étions flattés; et comme.
LIVRE VI. — D e P o r t - J a c k s o n EN F r a n c e . 1 2 3 3
malgré tous nos efforts et ie jeu des pompes, l’eau alioit toujours croissant
dans la cale, il me fallut bien songer à jeter la corvette à la côte, pour
sauver du moins l’équipage et les travaux de l’expédition.
Bientôt la brise nous devint contraire, et la nuit, qui ne tarda pas a
nous envelopper de ses ombres, vint ajouter encore aux difficultés de
notre position. Mais quelle nuit, grand Dieu ! . . . . II nous falioit louvoyer
pour atteindre le fond de la baie Française, ie seul point où nous pussions
espérer de trouver, à l’abri des lames, une anse sablonneuse, propre
à recevoir notre vaisseau. Penserà jetarla corvette à la côte, sur ies rivages
rocailleux et escarpés que nous prolongions, ç’eût été nous exposer à une
perte certaine, corps et biens. Alors, plus malheureux encore que les
équipages de la Pérouse, personne n’eût jamais pu connoître quel avoit
été notre sort; tout eût été englouti dans une mer profonde!
Ainsi que nous l’avons dit, tout le monde à bord se trouvoit employé
au service des pompes, et je n’en distrayois momentanément que le petit
nombre de ceux qui étoient indispensables à la manoeuvre des voiles.
Toutefois, malgré nos efforts, la mer montoit toujours dans le navire,
et déjà il etoit a moitié plein d’eau, alors que la brise contraire nous
obligeoit à louvoyer encore. Dans cette situation vraiment terrible, la
bordée nous conduisit devant une petite anse rocailleuse, où íes moins
aguerris eussent bien désiré que je jetasse la corvette, et i’un d’eux osa
même se hasarder à m’en donner le conseil; je lui fis entendre à mon tour
qu étant embarqué pour obéir et non pour donner des avis, je l’enga-
geois à retourner à son poste. Ce pauvre garçon ne voyoit pas à quel point
ia manoeuvre qu’il avoit combinée eût été intempestive. Loin de penser
comme lui, je n’hésitai pas à virer de bord de nouveau pour courir au large,
espérant pouvoir, à la bordée suivante, pénétrer en dedans de i’île aux
Pingouins, où j’étois certain de trouver un refuge plus assuré; mais,
comme si tout eût dû contribuer à nous éprouver pendant cette nuit de
douleur, la brise, déjà foible, nous manqua tout à coup, et nous força à
jeter l’ancre à un mille de terre dans l’Est de l’île aux Pingouins : il étoit
alors I I heures du soir.
Je sentois I impossibilité de rester longtemps dans cette situation
cruelle; 1 équipage étoit fatigué, et l’eau, déjà rendue à ia hauteur du
1820.
Février.