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Le but cie la relâche de cet officier aux îles Malouines étoit de reposer
son équipage et de renouveler sa provision d’eau. Son expédition ayant
été beaucoup plus rapide qu’il ne l’avoit calculé au départ, il me fit
connoître qu’ii pouvoit disposer en ma faveur de quelques quintaux de
biscuit, ce que j’acceptai avec empressement. Nous étions aussi fort à
court de barriques à eau; celles qui étoient à bord du Mercury w eussent
pu nous suffire qu’en nous astreignant à la ration la plus minime. Je demandai
donc au capitaine Haies de vouloir bien me céder queiques
futailles, et ce fut de la meilleure grâce du monde quil y consentit.
Mais lorsque je voulus iui faire accepter un juste dédommagement des
objets qu’il venoit de nous céder, ii s’y refusa avec chaleur en m’écrivant
qu’il regarderoit toute acceptation de ce genre comme un acte de bassesse,
et que ses armateurs le désapprouveroient hautement s’il se permettoit de
faire payer l’assistance qu’il étoit assez heureux pour rendre, en cette occasion
, à des marins en détresse et naviguant pour le progrès des sciences ;
il me fut impossible de vaincre cette honorable résistance.
M. Haies n’attendoit plus pour remettre sous voiles que ie retour des
vents favorables ; il voulut bien promettre qu’il se chargeroit de nos paquets
pour le ministre, et je cherchai à lui exprimer la vive reconnoissance
que nous devions à la délicatesse de ses hons procédés à notre
égard. La conduite de l’officier anglais, mise en parallèle avec celle des
capitaines anglo-américains, n’a pas besoin de commentaire.
20, Le 20 , un des matelots de-M. Orne arriva de ia baie Marville, par
terre, pour annoncer n son capitaine le retour prochain de ia goëlette le
Brooks, qui, après s’être absentée de la baie Française, étoit sur le point
23. d’y revenir : ce petit navire ne s’y montra cependant que dans la journée
du 23.
Le capitaine Weddell, du brig écossais la Ja n e , alors mouillé au Port-
Egmont, arriva sur cette goëlette, et vint aussitôt me voir. Il me témoigna
son étonnement et son chagrin d’avoir appris si tard l’événement malheureux
de mon naufrage , ce qui l’avoit empêché de me faire, en temps
opportun, ses offres de service (i). Je ie remerciai de son obligeance, et
( i) V o ic i comment M . Wed dell rend compte, dans la relation de son v o y a g e , des circonstances
qui lui firent apprendre si tard l’ événement malheureux qui m’ étoit arrivé : « L e navire
LIVRE VI. — D e P o r t - J a c k s o n e n F r a n c e . 1263
lui exprimai moi-même combien je regrettoîs de n’avoir pas eu à traiter
avec un officier de la marine anglaise, auprès duquel j’eusse été sûr de
trouver cette loyauté généreuse, et ces égards pour les expédition.s
scientifiques, qui distinguent les habitans de tous les pays civilisés.
Le capitaine de la Jane me fit l’honneur de dîner avec moi. Dans le
cours de notre conversation je crus comprendre que ma chaloupe pontée,
que j’allais abandonner en quittant les Malouines, comme désormais
superflue pour nous, pouvoit être utile au genre de pêche auquel
il se livroit, je ia lui offris, et vis avec plaisir que ce présent lui étoit
agréable.
Ce capitaine Weddell est le même qui exécuta, de 18 2 2 à 18 2 4 , un
voyage, à la fois commercial et scientifique, dans ies mers antarctiques.
Quoique son but principal fût ia pêche des baleines et des phoques, il
explora cependant, avec autant de résolution que de bonheur, la Nouvelle
Shetland, les îies Orkneys méridionales, la Géorgie du Sud, fa
Terre-de-Feu et les Malouines (1), et s’avança vers ie pôle Sud pius que
tout autre navigateur ne favoit fait avant lui, c’est-à-dire jusque par la
latitude 74° i /■
la Jane, d it - il, étoit au P o n -E gm o n t quand le Pinguin y passa en se rendant à W e s t -P o in r ,
pour y conduire Pofficier que le commandant de VUranie en vo yo it auprès du capitaine Orne.
L e patron de ce sloup v int à mon b o rd , mais ne me p arla ni du naufrage de ce b â tim en t, ni de
l’officier français qu’ il a vo it a v e c lu i; au contraire, il s’ arrangea de manière à ce que cet officier
ne pût nie voir, évidemment à dessein d’ empêcher la concu rrence , relativement au transport de
l’ équipage infortuné de cette corvette. Peu de jours après, a yant conduit la Jane à W e st-P o inr,
où se trouvoit le Général Knox, je ne tardai pas à apprendre les détails de cette catastrophe.
A cet instan t, le Brooks, qui revenoit de la baie F ran ç a is e , nous apprit qu’un navire patriote
de B u enos-Ayres et un pêcheur de baleines an g la is , faisant son retour en A n g le te r re , avoient
relâché sur le même point. L e secret alors n’éto iî plus possible, et comme la goëlette devoit
immédiatement retourner à la baie F ran ç a is e , je lui demandai et obtins mon passage, sous
le prétexte d’aller acheter des provisions au baleinier. A mon a r riv é e , j’ allai demander l’hospitalité
au capitaine H a ie s ; j’ appris là que le commandant de l’ expédition française a vo it frété le
JWercury à des conditions qui me sont inconnue s, mais que le capitaine O rne n’ avoit pas exigé
pour le même o b je t moins de 2 0 0 00 piastres [ jo 8 60 0^], ce qui est une somme considérable
pour des hommes en détresse. J e ne le soupçonne pas cependant d’avoir été insensible aux
souffrances des autre s, car je le respecte beaucoup pour piusieurs vertus qu’ il possède; mais
j’attribue plutôt cette extorsion apparente à l’idée qu’ il s’étoit faite de la libéralité du com m an d
an t.» (V o y e z ./i voyage towards the South pole, etc., by Jam e s W e d d e ll, e tc .)
( i) L a relation intéressante de ce voy age a été publiée en 1 825, sous le titre que nous venons
de donner dans la note ci-dessus.
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