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Août.
parce que, prétendoit-il, elle étoit tabouée; en conséquence, elle resta
sur le pont, où je iui envoyai quelques confitures quelle mangea avec
plaisir. Toutefois, quand son mari, suivant ia coutume de ses compatriotes,
se sentit rassasié et eut quitté la table, elle vint prendre sa place,
et se dédommagea de ia contrainte momentanée où elle avoit été tenue,
en avalant coup sur coup plusieurs verres d’eau-de-vie avec une délectation
très-remarquable.
Dès que la nuit fut venue, je fis, à la demande de Kraïmokou, lancer
quelques fusées que nos Sandwichiens contemplèrent avec de grandes
exclamations et en répétant mditdi, mditdi [bon, bon]. Après ce petit
divertissement, mes convives retournèrent à terre.
Je desirois entretenir le roi sur les intérêts de son gouvernement.
J ’allai chez'lui le 1 3 , et le trouvai seul avec Tamahamarou sa femme
favorite. Je n’ignore pas, iui dis-je, l’alliance qui existe entre le roi des
îles Sandwich et ceiui de la Grande-Bretagne ; ce dernier étant aussi
ami et allié du roi de France , je viens vous déclarer que le bâtiment
que je commande et ceux qui viendront plus tard aux Sandwich sous
le même pavillon, seront toujours disposés à vous accorder les secours
pqopres à maintenir la tranquillité de vos états et la force de votre autorité.
J ’ajoutai que ies mauvais desseins de quelques-uns cfes chefs de
l’île d’Owhyhi m’étant connus, s’il croyoit que ma déclaration pût avoir
sur eux quelque influence utile, je l’aiitorisois à la leur faire connoître.
Riorio parut satisfait des témoignages d’intérêt que je lui donnois ; mais
il pensa qu’en répétant moi-même devant l’assemblée des notables ce que
je venois de lui dire, l’effet en seroit meilleur et pius assuré. Le premier
ministre Kraïmokou, la reine veuve Kaahoumanou et M. Young,
auxquels on fit part ensuite de cette ouverture, en approuvèrent fort la
mise à exécution ; ce dernier sur-tout m’assura connoître assez les Sandwichiens
pour ne pas douter que le renouvellement de ma déclaration au
roi ne remplît de crainte les envieux et les turbulens , encore indécis ,
et que ce jeune prince y trouveroit un gage de paix et de puissance.
Ces considérations me firent demander pour le lendemain une convocation
extraordinaire de l’assemblée, à laquelle je promis d’assister.
A l’heure convenue, le conseil se tint sous une espèce de hangar
LIVRE IV. — D e G o a m a u x S a n d w i c h i n c l u s i v e m e n t . 537
construit en face d’une case ordinaire. Malgré l’ardeur du soleil, le roi
s’obstina à rester en dehors, par la raison péremptoire que ce local étoit
taboué pour lui. Je m’attendois à le voir en grand costume; mais il étoit
au contraire vêtu fort négligemment d’un langouti, avec une pagne assez
commune sur l’épauIe. A l’exception de Kékouakalani ( i ) , qui refusa de
s’y montrer, ies chefs convoqués prirent séance, c’est-à-dire qu’ils s’accroupirent
sur des nattes étendues par terre. La reine Kaahoumanou
parut bientôt aussi : elle étoit vêtue d’une assez belle étoffe de soie,
couleur gorge de pigeon, drapée avec grâce ; plusieurs suivans portoient
un parasol européen, des émouchoirs, &c. Personne ne se leva pour la
recevoir, ni même n’eut l’air de faire attention à elle : cependant c’étoit
elle qu’on avoit attendue pour ouvrir la séance.
M. Rives, qui parioit la langue sandwichienne avec facilité, me servit
d’interprète. Je commençai par rappeler aux chefs de l’île l’espèce de
traité qui avoit eu lieu jadis, par l’intermédiaire du capitaine Vancouver,
entre le roi Taméhaméha et le souverain de l’Angleterre; je
déclarai ensuite qu’en ma qualité de commandant d’un bâtiment de
guerre du roi de France, allié iui-même de la Grande-Bretagne, j’étois
bien aise de faire connoître tout l’intérêt que je portois à Riorio, et
combien je desirois que la tranquillité et le bon ordre régnassent dans
ses états ; que si malheureusement la guerre civile éclatoit aux îies Sandwich,
les navires marchands qui depuis tant d'années viennent y faire
ie commerce, ne voudroient plus y relâcher, et que les vaisseaux des
souverains amis de ieur ro i, jaloux de protéger sa puissance, ne man-
queroient pas de sévir vigoureusement contre quiconque auroit méconnu
son autorité. Je les engageai donc à se réunir de bonne foi autour d’un
prince qui n’avoit en vue que la prospérité et le bien-être de leur pays;
j’insistai enfin sur ie bonheur qui naît de la tranquillité, du commerce
et des progrès de la civilisation.
( i ) R io r io a yant jugé co n v en ab le , peu de temps après notre départ des S an dw ich , de
détruire dans ses états, par un seul acte d’autorité, le culte des idoles et les restrictions du
tabou , trouva une v iv e opposition dans K é k o u a k a lan i, qui leva contre lui une armée ;
Kraïmokou eut 1 honneur de commander les troupes ro y a le s , et de détruire dans un combat
fam eu x , livré à deux ou trois milles de Karakakoua [voyez pl. 1 5 ) , le ch e f in su rg é , q u i,
complètement v a in c u , périt Iui-même dans fa c tio n .
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