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Août.
Hélène avoit été engloutie avec toutes les personnes qui s’y trouvoient.
J ’ignore quel est l’auteur de ce conte ; mais il étoit si bien accrédité aux
Sandwich, qu’il me fallut répondre plusieurs fois à la même question.
Ce jeune chef m’apprit que le roi Riorio, ayant quitté, à la mort de
son père, la ville de Kayakakoua, où se trouvoient ses principaux magasins,
ses ateliers et ses chantiers de construction, étoit allé fixer sa résidence
au village de Kohaïhaï, dans la baie de ce nom, et y tenoit alors
sa cour.
La paix, il est vrai, n’avoit pas été troublée à la mort de Taméhaméha ;
mais plusieurs des principaux chefs de file ayant élevé des prétentions
sur lesquelles on n’étoit pas encore parfaitement d’accord, il régnoit
dans les relations politiques un état de vague et d’indécision qu’on cher-
choit en ce moment à arranger.
Parmi les personnes attachées à la cour de Riorio, on comptoit les
femmes du roi défunt, les princes et princesses du sang royal, les principaux
chefs des îles Sandwich , ceux de l’île Atouaï et de Wahou
exceptés, et les Européens qui sont à Owhyhi.
A son arrivée, Kouakini me fit cadeau de quelques fruits ; voulant
capter sa bienveillance, je lui offris un manteau de drap écarlate qui parut
lui faire plaisir; puis , après avoir déjeûné ensemble , nous desce«dîmes à
terre dans mon canot. Mon but étoit de iui rendre sa visite, de voir sa
famille et de choisir un lieu propre à faire des observations magnétiques ;
je voulois aussi presser le départ de l’exprès qu’il m’avoit promis d’envoyer
au roi pour lui faire part de mon arrivée, de mes besoins et de
mes demandes , formalité sans laquelle rien ne pouvoir m’être délivré.
Nous abordâmes sur la grève avec beaucoup de facilité, le ressac y
étant presque entièrement nul. Je vis dans le voisinage du débarcadère
le lieu où avoit existé le palais, ou, plus exactement, la maison de T a méhaméha;
il n’en restoit que la place, cet édifice ayant été brûlé pour
des raisons que nous exposerons ailleurs. Une foule d’oisifs, et un assez
grand nombre de soldats armés de fusils tenus d’une manière bizarre ,
marchoient sans ordre cà et là : ces derniers, vêtus comme leurs compatriotes
d’un langouti et d’im manteau en écorce de mûrier à papier ,
sembloient moins occupés à faire une garde rigoureuse autour de nous
LIVRE IV. — D e G ® a m a u x S a n d w i c h i n c l u s i v e m e n t . 5 2 3
qu’avides de voir des étrangers dont les habits d’uniforme sur-tout sembloient
les émerveiller.
Je fus conduit dans une petite case propre et bien construite, quoique
simplement en bois et en feuilles de palmier ; elle étoit occupée par deux
femmes d’une trentaine d’années , dont l’une, épouse de Kouakini ,
étendue sur un bois de lit à l’européenne recouvert de plusieurs nattes et
garni de rideaux en indienne à fleurs, me tendit obligeamment la main
en me disant aroha [amitié]. Qu’on se figure une grande femme surchargée
d’obésité, étalant à nu sans façon ses robustes appas à nos
regards stupéfaits, et qu’une pagne ployée en plusieurs doubles, à la
manière du pays, enveloppoit seulement de la ceinture en bas, tandis
que sa main, plutôt par un manège de coquetterie que par pudeur ,
ramenoit de temps en temps sur une de ses épaules une seconde pagne.
Cette colossale princesse se nommoit Kéohoua; sans être jolie, sa figure ,
dont notre planche 83 pourra donner une idée exacte, n’étoit pas dépourvue
de dignité. L ’autre femme, qui étoit son amie, et qui n’avoit
rien à lui envier en fait de corpulence, se vautroit sur une natte étendue
à terre.
Beaucoup de curieux des deux sexes étoient accroupis à la porte, en
dehors de cette case, tandis que les soldats qui rôdoient tout autour fai-
soient entendre de temps à autre une petite cloche dont je ne pus alors
deviner l’objet, mais qui, plus tard, me parut destinée à marquer l’instant
où les soldats devoient changer la direction de leur marche.
J ’admirai en sortant une belle batterie de canons voisine, que Kouakini
me montra en me conduisant chez ses trois soeurs (i), veuves de Taméhaméha.
Elles étoient absentes , et le prince fut obligé de me faire lui-
même les honneurs du logis. Une quantité de belles étoffes du pays,
pliées avec soin et rangées en tas, formoient une espèce de divan assez
commode, sur lequel nous nous assîmes; dans le reste de l’appartement,
plusieurs personnes se tenoient accroupies sur des étoffes du même genre
qui couvroient le sol. La femme du prince et sa compagne ne tardèrent
pas à arriver, et tout de suite elles se mirent à plat ventre par terre,
( i ) Enfans ainsi que lui de Tancien roi de M o w i , elles furent épousées toutes trois par
T am éham éh a, à l’époque où il fit la conquête de cette île.
i8iç.
Ao ût.