
D e i’homme
en société.
Le iendemain il alla, en compagnie de plusieurs hommes de sa tribu,
recueillir ies cendres de la défunte. 11 marchoit le premier d’un air
grave, portant à la main la sagaie avec laquelle il prétendoit tuer ie
karrahdi qui, disoit-il, n’avoit pas eu assez de soin de sa compagne
pendant sa maladie. Ce fut avec le bout de cette arme qu’ii rassembla
les restes calcinés du corps. Ensuite il éleva au-dessus même de ces
débris un tombeau de terre, en forme de sillon, sur les côtés duquel
il plaça de forts tronçons de bois, et au sommet un morceau d’écorce.
Pendant toute cette cérémonie sa contenance fut triste et austère; le
morne silence qu’il gardoit montroit assez la profonde douleur qui péné-
troit son âme. Rien ne put le distraire des fonctions quil s’étoit imposées
; il ne s’en acquitta pas à la hâte, mais avec tous les soins et la
solennité qui pouvoient attester la cordiale affection qu’il avoit eue
pour celle qui faisoit maintenant l’objet de ses regrets. Cette pénible
tâche une fois accomplie, Béneiong resta debout pendant quelques
minutes, les mains croisées sur la poitrine et les yeux fixés sur son travail,
comme un homme absorbé dans ses pensées mélancoliques ; après quoi
il se retira.
Lorsque ie corps qu’on va brûler est celui d’un homme, on met
toujours ses armes à côté de lui; et cet usage de consumer ou d’ensevelir
avec le mort les objets qui iui avoient pius particulièrement servi,
se retrouve par-tout sur le globe, dans l’antiquité comme dans ies temps
pins modernes, chez les nations civilisées comme chez les sauvages. Fuñera
sunt, pro cuJtu Gallorum, magnifica et sumptuosa ; omniaque qua vivis cordi
fuisse arhitrahantur, in ignem inferunt, etiam animalia (i).
Morts écorchés. — A la suite d’un combat que se livrèrent les naturels
de la baie Moreton, et dont il sera bientôt rendu compte, ies hommes
tués pendant la bataille furent secrètement écorchés par leurs compatriotes
, et leurs peaux séchées devant ie feu, puis emportées dans les
bois, sans qu’on ait jamais pu savoir ce qu’elles devinrent; on brûla les
( I ) « Les Gaulois sont dans l’usage de fa ire des funérailles magnifiques et somptueuses ; tout
« ce qu’ils s’ imaginent avoir été affectionné par le dé funt, est jeté à côté de lui sur le bûcher,
»m êm e les animaux. » (Cæ s . de bello G a llic o , lib. V I . ) Voyei aussi la B ib le , V É n é id e ,
T a c i t e , de moribus Germanorum, & c .
LIVRE V . — D e s S a n d w i c h à P o r t - J a c k s o n i n c l u s i v e m e n t . 7 7 1
corps ainsi qu’on vient de le voir, mais toujours avec beaucoup de
mystère.
Deuil. — On retrouve ici ce respect pour les morts, si imiversellement
répandu chez tous les peuples. Le deuil des indigènes consiste à se barbouiller
la tête et le corps avec de l’argile blanche, qui doit rester sur la
peau jusqu’à ce qu’elle tombe d’elie-même. Quelquefois sur cette couche
d argile iis en jettent une de cendre, et font connoître leur affliction, soit
par des gémissemens et des larmes, soit même par un jeûne austère.
Les femmes témoignent plus particulièrement ieurs regrets par des brûlures
qu’elles se font avec un tison, vers la partie antérieure et supérieure
de la cuisse, opération si douloureuse qu’elle les rend boiteuses pendant
quelques jours; mais jamais, en pareil cas, on ne les entend articuler
une plainte. Il y en a peu parmi elles qui n’aient de ces sortes de cicatrices
(i). Les parens et les parentes du mort, ou tout au plus ses amis
intimes, sont les seuls qui doivent porter ainsi ie deuil. Le capitaine
King a vu, à ia côte Nord-Ouest de la Nouvelle-Hollande, des personnes
qui exprimoient leur profonde douleur en jetant des cris, en se roulant
par terre, et en couvrant leur corps de sable.
Une femme des environs du port Stephens qui avoit perdu un jeune
fils âgé de six ans, en eut tm tel chagrin, que de belle, forte et fraîche
qu’elle étoit, elle devint cacochyme et étique, et n’offrit bientôt plus que
le triste spectacle d’un corps ruiné par la douleur, les veilles et les abstinences;
des pleurs continuels avoient profondément sillonné l’espèce de
fard blanchâtre (2) dont eile avoit recouvert son visage ; sa marche étoit
pénible, et son corps à demi courbé ne pouvoit avancer qu’en s’appuyant
de temps en temps contre les arbres. Rencontroit-elle quelqu’un de ses
amis, elle laissoit de nouveau couler ses larmes, et éievoit ses mains
vers le ciel (3).
Réunions de famille. — Les individus dont chaque tribu se compose
( I ) Plusieurs de ces usages régnent également a u x îles S andw ich. ( Voy. ci-dessus p 500
et suiv.)
( 2 ) A u port du R o i-G e o rg e , la peinture blanche dont ies sauvages se barbouillent e«t
aussi pour eux un signe de deuil.
( 3 ) D aw so n , Present state of Ausrraiia.
D e I’ homme
en société.
Amusemens.