
Sé jou r La chaleur étoit très-forte : M. Davis , voyant le peu d’empressement
à Wahou. mettoit Boki à nous offrir un gîte, nous engagea, M. Duperrey et
Août. moi, à venir nous reposer chez lui. Boki fut laissé sur le rivage : grand
et d’une grosseur extrême, les jambes horriblement ulcérées, c’étoit une
espèce de masse inerte jouissant à grand’peine de la faculté de locomotion.
M. Davis étoit à-la-fois ici capitaine et armateur pour la traite des pelleteries
à la côte Nord-Ouest d’Amérique, et du bois de sandal aux îles
Sandwich. Fixé momentanément à Wahou pour les intérêts de son commerce,
il y avoit plusieurs navires sous ses ordres. Par sa fortune, son
éducation et ses manières distinguées (i), il devoit naturellement tenir
le premier rang sur cette terre sauvage; aussi étoit-il entouré d’une haute
considération. Sa maison étoit comparativement grande, spacieuse , et
quoique en partie construite sur les principes du pays, elle différoit notablement
des autres à plusieurs égards, sur-tout par l’ameublement.
Quant à D. Francisco de Paula Marin, que les Anglo-Américains
nommoient ici, je ne sais pourquoi, Ménini et Marini, c’étoit un Espagnol
actif, industrieux, qui, né à Xérès en Andalousie, étoit venu fort
jeune aux Sandwich, où il résidoit depuis environ vingt-six ans. Livré
avec beaucoup de succès à la pratique de l’agriculture et à l’éducation
des bestiaux, ¡1 avoit naturalisé à Wahou ia plupart de nos légumes et
de nos fruits d’Europe, et quelques-uns de ceux du nouveau monde. La
vigne entre autres, cultivée par ses soins, et je pourrois même dire par
ses mains, lui avoit prouvé que le soi et le climat conviennent très-bien
à cette production; le vin qu’il me fit goûter étoit passable, quoique
encore très-nouveau; mais je me suis assuré plus tard par moi-même
qu’ii gagne en vieillissant.
Parfaitement instruit des usages et des moeurs d’un peuple chez lequel
il vivoit depuis tant d’années, M. Marin me donna des renseignemens
fort utiles. Je dus regretter vivement de ne pas être venu tout de suite à
Wahou, au lieu de visiter si péniblement et avec si peu d’avantage
Owhyhi et Mowi : ic i, en effet, nous nous fussions procuré sans le
( i ) M. W . H . D a v is étoit neveu de M. le général Araosa D a v is , alors gouverneur de la
p rovince de Massachusets, aux Eta ts-Unis d’Amérique.
LIVRE IV. — D e G ® a m a u x S a n d w i c h i n c l u s i v e m e n t . 547
moindre embarras toutes ies ressources que nous avions eu tant de difficulté
à rassembler dans ies deux autres îles; moins souvent obligés à
changer de station et à perdre ainsi du temps, nous aurions eu plus de
loisir pour exécuter nos observations scientifiques et pour recueillir les
faits nouveaux et curieux que l’obligeance de nos amis eût bien voulu
nous faire connoître.
Après avoir dîné chez le capitaine Davis, nous allâmes nous promener
ensemble du côté de Waïtiti, village peu éloigné d’Onorourou. Le
soleil, déjà fort avancé dans sa course, répandoit cependant encore une
chaleur très-intense, et dont l’impression directe ne pouvoit être modérée
par l’ombrage imperceptible de huit ou dix chétifs cocotiers disséminés
sur la route.
Le cimetière des Européens, que nous aperçûmes sur les bords de
celle-ci, offrit à nos yeux quelques monumens pour la plupart à moitié
ruinés, témoignage à-la-fois de l’amitié de ceux qui les érigèrent et de
l’impéritie des architectes.
Au retour, je me présentai chez le capitaine Wildes, du navire anglo-
américain le Parangon : M. Requin , notre commis aux revues , avoit déjà
obtenu la promesse qu’il nous livreroit dès le lendemain tout le riz et
ie biscuit dont nous avions besoin ; par un surcroît d’obiigeance que je
ne saurois assez reconnoître, M. Wildes voulut bien se charger encore
de nous envoyer ces denrées par ses propres embarcations.
M. Davis, en conversant avec Boki, lui apprit que son frère Kraïmokou
avoit été baptisé à bord de ÎUranie : mu par un désir semblable,
le chef de Wahou s’empressa d’insister pour obtenir la même faveur; je
lui promis d’en parler à M. l’abbé de Quélen, et de faire procéder le jour
suivant à la cérémonie, si cet ecclésiastique n’y voyoit aucun empêchement.
MM. Raillard et Bérard commencèrent à terre, le 27, quelques observations
magnétiques sur un point voisin du rivage et de la maison
de M. Marin, qui consentit de fort bonne grâce à ce que nos instrumens
fussent déposés chez iui ; M. Duperrey s’occupa de son côté à faire
la géographie du port d’Onorourou.
Boki se rendit à bord à une heure et demie, accompagné de sa femme,
S é jo u r
à Wahou.
18 1 9 .
Août.