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CHAPITRE XLVI.
Remarques sur Montévidéo.
J ’ai hésité si je consacrerois un chapitre particulier au petit nombre
de documens que nous avons recueillis sur Montévidéo. L’armement de
notre petit navire, la nécessité d’en vider la cale en entier et d’en refaire
l’arrimage, avec un équipage presque exténué de fatigue, nous prirent un
temps si considérahie, que force nous fut de négliger l’exploration d’un
pays très-curieux à la vérité, mais dont l’examen eût exigé une santé et
des loisirs dont nous étions loin de pouvoir disposer. Voici cependant
quelques faits que nous avons pu glaner.
§. I."'
Notes historiques.
Ne voulant point essayer de traiter ici ia vaste histoire de cette
contrée, ni même seulement de la parcourir dans sa généralité, je me
bornerai à rappeler que, naguère sous l’administration européenne,
Montévidéo faisoit partie de la province du Paraguay. Des personnes,
d’ailleurs instruites, m’ont assuré que la découverte de Rio de la Piata
datoit de 1508; mais l’erreur étoit manifeste. C’est en effet un point
bien établi dans J’histoire (i), que J ." de Solis entra le premier dans
cette rivière en 16 1 6, et, quant à la fondation de Montévidéo, tout le
monde est d’accord qu’eile ne remonte qu’à l’année 17 2 6 .
La mémorable révolution des colonies espagnoles arracha violemment
cette ville du long état de paix où elle avoit vécu sous l’ancien ordre de
choses, pour la placer dans une situation précaire, que les armes portugaises
fixèrent bientôt, en lui assurant du moins, par une occupation
militaire, la tranquillité politique.
On sait que Buenos-Ayres a été le berceau de cette révolution, pré-
(i) V o y . H'ist. du Paraguay, par le P. C h a r le v o ix ; 1 . 1, p. 22.
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LIVRE VI. — D e P o r t - J a c k s o n e n F r a n c e . 1 3 2 9
parée de longue main par des-personnes qui ne prévoyoient pas, peut-
être, tous les crimes et tous les malheurs qui devoient en être la suite.
Cette capitale infortunée, gouvernée depuis par des hommes ambitieux
et sanguinaires, ne tarda pas à devenir !e triste théâtre de la tyrannie ia
plus odieuse, et de l’anarchie la plus complète.
Successivement renversés et proscrits, les meneurs de la république Argentine
se montrèrent moins occupés de consolider l’indépendance de leur
pays que d’opprimer les rivaux qui leur faisoient ombrage. Les Espagnols
européens devinrent surtout l’objet de leur haine et des vexations les pius
atroces. Parmi tant de chefs qui se succédoient au pouvoir, la plupart
n’étoient mus que par leurs passions et leur intérêt personnel, mais non
par un pur désir du bien et l’amour de la patrie. L ’un d’eux, en
raison de sa cruauté excessive, mérita ie titre de Catilina de F Amérique
du Sud; à la suite des proscriptions qu’il ordonna, beaucoup d’émigrations
eurent lieu. « Dans les révolutions, a dit J.'* Jacotot, la mort est
<• ie cortège obiigé de l’opinion dominante; il est aisé de la reconnoître
» au bourreau qui l’accompagne. »
Montévidéo, natureilement liée à ce tourbillon, ne put cependant y
prendre beaucoup de part, ayant été occupée presque aussitôt par un corps
de troupes portugaises, de 6 à 7 000 hommes, qui tinrent en respect la
ville et les environs. Cependant les paysans qui vivent sur la rive
gauche du fleuve étoient tous révoltés contre ies autorités civiles, et ne
reconnoissoient d’autres lois que leurs volontés ou leurs caprices. Ces
hommes, à demi sauvages, nommés Gahouches, sont dans ces contrées ce
qu’est l’Arabe dans ses déserts, avec ia différence que les solitudes de
l’Amérique méridionale sont ici couvertes de verts pâturages au lieu de
sable, et que des millions de boeufs, de chevaux et de mulets font ia richesse
des peuples nomades qui ies habitent.
On a vu des bandes de plusieurs milliers de ces habitans révoltés se
porter sur Montévidéo, et tirer des coups de fusil jusque sous ses remparts;
mais ils ont été chassés assez loin par les forces portugaises,
et i’on a été longtemps obligé d’avoir des soldats campés hors de la
ville pour empêcher leurs brigandages. C’est par de telles précautions
que les Portugais sont enfin parvenus à pacifier tout le Paraguay
Histoire.