
1819.
A oût.
presque en face de l’endroit où nous étions assis, en appuyant simplement
leur menton sur un petit coussin de forme cylindrique qui leur
fut offert. Dans cette posture, qui paroit être ici du meilleur ton, elles
nous regardoient fixement et prenoient part à la conversation avec autant
de vivacité que de grâce. Elles avoient à la main, pour s’essuyer la
figure, un mouchoir à l’un des angles duquel etoit attache un petit miroir
qu’elles consultoient souvent avec une sorte de complaisance.
Kouakini, voulant me faire les honneurs de sa cave, fit apporter un
flacon en cristal, rempli d’une espèce de vin blanc, que je ne jugeai pas
très-spiritueux, et qui ressembloit un peu pour le goût au madère. Un
seul verre, entortillé dans je ne sais combien de morceaux d’étoffe , ayant
été débarrassé de ces enveloppes, le prince commença par boire une
rasade; j'fen fis autant, ainsi que les olfiders qui ra’avoient accompagné ;
et les autres personnes présentes , hommes et femmes , se contentèrent, si
elles voulurent, des santés que nous leur portâmes. Cependant on servit
à la princesse et à sa compagne quelques poignées de petites graines noires
(de pastèque apparemment), que ion plaça sur un tapis, en quelque
sorte sous leur nez, et qu’elles se mirent aussitôt à gruger une à une
en les dépouillant de leur coque avec les dents, et cela avec autant de
promptitude et de dextérité qu’eût pu le faire un écureuil.
Je desirois voir les chantiers et les principaux ateliers de Taméhaméha;
Kouakini s’empressa de m’y conduire, et je lui en sus dautant
plus de gré, qu’il marche péniblement, à cause de son extrême embonpoint,
et que je l’obligeois à sortir pendant la plus forte chaleur du
jour, ce que les Sandwichiens n’aiment guère.
Nous ne vîmes pas moins de quatre hangars fermés à clef, et destinés
à la construction des grandes pirogues de guerre; d’autres servoient
à mettre à l’abri du soleil quelques canots de forme européenne. Ailleurs ,
c’étoient des bois de construction et du bois de sandal ; des lingots en
cuivre, une quantité prodigieuse de filets de pêche, qui tous me parurent
être en très-bon état. Plus loin, sur le bord de la mer et dans un lieu
isolé, sans doute par crainte du feu, on avoit installé la forge et l’atelier de
tonnellerie, et, en remontant, sur la berge voisine, plusieurs cases (pl. 8ô)
appartenant à Kraïmokou, premier ministre du roi (pl. 84 , fig. i ); dans
LIVRE IV. — D e G ® a m a u x S a n d w i c h i n c l u s i v e m e n t . 525
l’une se trouvoient des instrumens de navigation, tels que boussoles,
sextans, thermomètres et montres, dont une même étoit un chronomètre,
ce qu’assurément je n'eusse pas soupçonné. Deux autres magasins,
construits en maçonnerie, mais dans lesquels nous n’entrâmes
pas, parce que le roi en garde les clefs lui-même, contiennent les liqueurs
fortes, la poudre de guerre, le fer, les étoffes, et autres marchandises
précieuses.
Un des moráis [i] du roi défunt étoit dans la partie septentrionale de
la ville, à côté de son tombeau, énorme cabane fermée de tout côté.
Celui de Riorio étoit au contraire au Sud.
Sur ma demande, Kouakini mit à notre disposition deux cases con-
tiguës, devant lesquelles une plate-forme en pierre nous parut propre
à recevoir nos instrumens, et dès le lendemain nous commençâmes à y
faire quelques observations de magnétisme et d’astronomie.
Nos médecins-naturalistes, de leur côté, parcouroient le pays d’alentour,
sous la direction d’un guide que Kouakini leur avoit donné, et
examinoient les productions de la nature. « Dans le dessein de nous
rendre à la montagne qui avoisine la ville vers le Sud-Est, ditM. Gaimard,
nous traversâmes d’abord des champs stériles, où végétoient à peine
quelques arbustes clairsemés; mais, parvenus à une certaine hauteur,
nous vîmes un terrain d’une plus riche apparence où l’on cultivoit le
mûrier à papier, l’arbre à pain, les jamblers, le tabac, les choux, les
patates douces et les ignames. On nous fit boire de l’eau d’une délicieuse
fraîcheur. Un grand nombre de femmes nous poursuivoient avec l’intention
manifeste de nous offrir leurs faveurs, ou, pour parler plus exactement
, d’obtenir les nôtres : celles qui étoient trop vieilles pour prétendre
à séduire nos coeurs, nous exhortoient vivement à couronner les
feux de leurs jeunes compagnes, et nous montroient du doigt, comme
des retraites propices, les cases des environs.
« Une autre fois, en cheminant le long de la côte au Sud de Kayakakoua,
pour gagner un petit village, nous fûmes accompagnés par des
hommes et des enfans qui, pour des épingles, portoient nos effets et
( i ) M o r a l , sorte d’enceinte où sont contenues ¡es idoles des insulaires; ils appellent plus
particulièrement ces temples héiao et héiaou.
1819.
Août.